braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

mardi 20 août 2013

SAUVAGES !

          


Lors du coup d'état contre le président élu du Chili, Salvador Allende -coup d'état perpétré par l'armée chilienne mais préparé par l'ogre yankee, et précisément par Henry Kissinger-, le président algérien Boukharrouba s'était fendu d'un discours historique. Stigmatisation de l'armée chilienne félonne ? Condamnation de l'empire yankee assassin ? Demande de poursuites judiciaires contre le criminel Kissinger ? Vous n'y êtes pas. Boukharrouba, frappant d'un index méprisant le microphone, s'en prit à... Allende -pour l'heure, mort- en lui administrant la leçon : « J'ai dit à Allende : si tu n'as pas l'armée avec toi, tu risques... ». Pas un mot à la mémoire du président ni des milliers de morts. Pas un mot pour les emprisonnés du stade de Santiago du Chili. Rien que l'arrogance du soudard qui élevait son ignorance des choses politiques au rang de science. Donner des leçons à un Allende, vieux et subtil routier de la politique, la vraie, il fallait avoir l'impudence d'un quasi analphabète de la politique (mais pas que...) pour le faire. Ce disant, Boukharrouba criait ainsi la vérité de sa personne : auteur de deux coups d'état et d'autant de félonies, Boukharrouba avouait que pour lui, la politique, c'est l'usage de la force primaire.

Mais de quoi cette outrecuidance était-elle le nom ? De la lâcheté qu'elle était chargée de cacher : s'en prendre à la victime pour faire oublier que l'on n'a pas le courage de s'en prendre au bourreau. (Ce qui est du même tonneau que cet épisode odieux que nous avons rapporté ici même -cf les chroniques de la guerre des lâches- quand un journaliste qui signait Y.B. s'en était pris, dans un article d'une violence rare, à … quelqu'un qui agonisait dans un hôpital de la banlieue algéroise, victime d'un attentat. Il est vrai que la victime, Tahar Djaout, avait, en matière de courage et de talent, de quoi rendre jaloux les écrivaillons nécessiteux.)

Aujourd'hui, face au coup d'état et à la boucherie innommable que vient de perpétrer l'armée égyptienne, les « politologues » autoproclamés (mais de quoi donc la politologie est-elle la science ?), au premier rang desquels ces ADS (Arabes de service), sempiternels « spécialistes » des choses arabes et sempiternels invités des chaînes de télévision françaises, se répandent, dans l'indécence la plus débridée, sur la sauvagerie... des partisans du président égyptien légalement élu mais déposé et kidnappé par l'armée ! Tant de lâcheté et d'ignominie a de quoi révulser, même venant de la part de coolies des officines néo-conservatrices françaises, qui vendraient père et mère pour complaire à leurs maîtres. Et que dire de ces organisations de Coptes émigrés, de Paris et de Washington, qui déversent sans retenue des tombereaux de haine sur les Frères Musulmans qui n'ont eu que le tort de remporter des élections (en faisant place sur leurs listes électorales à des candidats coptes.) Tant d'hostilité et d'intolérance confine à la pathologie mentale.


Le plus sidérant dans ce festival de lâchetés, d'hypocrisie et de mensonges révoltants, est que ces propagantistes hyper-zélés -on a même vu, c'est dire ! des journalistes français essayer de mettre un bémol à leur torrent de haine : « Tout de même, il s'agit d'un coup d'état... »-, accusent les FM d'intolérance et de visées totalitaires ! Mais de quelle autorité morale pourraient disposer ceux qui se font les complices actifs des baïonnettes déchaînées contre des manifestants pacifiques accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants ? Une fois n'est pas coutume : ce sont les soudards égyptiens qui singent leurs homologues algériens en s'offrant même leur Tahadi local sous les espèces d'un soi-disant Tamarrod, autant de marionnettes des moukhabarates, là et ici.

Revenons au fond des choses : de quoi est-il question ? Un président normalement et régulièrement élu est renversé -et kidnappé !- par l'armée de son pays au bout d'une année de mandat. A-t-il commis un crime d'état ? quelque chose comme une haute trahison mettant le pays en situation exceptionnellement critique ? Les putschistes eux-mêmes ne le prétendent pas car la haute trahison, c'est l'armée égyptienne qui l'a commise il y a des décennies en se mettant dans la pogne sioniste et yankee, sous la houlette d'Anouar Es-Sadate et de Hosni Moubarek. Les putschistes disent que le président élu menait le pays au désastre économique. Au bout d'une année de mandat, les haruspices de l'armée ont lu dans les entrailles de poulet la faillite économique d'un pays failli. Pillé par 32 années de règne de la famille Moubarek et 43 années d'infitah.

La vérité est que Mohamed Morsi s'était rapproché de l'Iran et de la Turquie, semant la panique chez les Al Saoud et les sionistes qui ont pressé les yankees d'agir. La preuve ? Larguant toute précaution diplomatique, les Al Saoud ont claironné que leur hacienda était prête à suppléer à toute sanction européenne ou américaine contre les putschistes. On n'avait jamais vu les Al Saoud menaçant l'ogre yankee, leur protecteur ! C'est qu'ils savent que ce dernier a également son maître -le petit ogre sioniste- et que tant que les intérêts des Al Saoud coïncideront avec ceux de l'état sioniste, les yankees se coucheront. (Les Al Saoud ne sont pas les derniers à avoir vu Nethanyahu infliger les pires humiliations au NDS -Noir de service- Obama.) Or les propriétaires de l'hacienda -Arabie saoudite- qui porte leur nom ont désigné leur ennemi principal : l'Iran.

Au lieu d'accompagner la montée en puissance de deux puissances régionales -dont elle pouvait être le lien-, l'armée égyptienne, comme en 1973 et en 1978, a préféré trahir sa nation et ses intérêts bien compris contre le plat de lentilles des 1,3 Mds $ US (qui servent probablement à acheter de vieux chars Abrams complètement obsolètes mais suffisants pour écraser le peuple).


Les FM égyptiens ont résisté à toutes les tentatives de Nasser, Sadate, Moubarak... pour les faire disparaître et ils sont toujours là. La seule façon de les réduire, démocratiquement et pacifiquement, est de leur permettre d'exercer le pouvoir de manière civilisée, c'est-à-dire conforme aux normes modernes de séparation des pouvoirs et de respect des droits civiques. (Là, les FM auraient compris que l'idéologie ne peut pas tout -sinon les régimes dits « communistes » auraient réussi- et que répéter « L'islam est la solution » ne donne pas à manger ni ne procure de travail.) Or c'était exactement ce qui était en train de se mettre en place. Les soudards félons ont compris que commençait une ère politique nouvelle où ils n'auraient plus leur place et qu'il leur faudrait rentrer dans leurs casernes et/ou se préparer à affronter l'armada sioniste. Ou bien aller chercher du travail, du vrai...


Au risque de nous répéter, disons qu'il n'y a qu'une façon de lever définitivement l'hypothèque islamiste, c'est de les accepter comme partenaires légitimes dans le jeu démocratique, du moment qu'ils en acceptent les règles, et de leur permettre d'exercer le pouvoir, si le peuple leur en donne mandat. Et ce n'est pas là sacrifier à la sornette du siècle, la prétendue « régression féconde » dont l'auteur n'a apparemment pas conscience qu'elle démarque celle des néo-conservateurs, « le chaos constructif ». (En quoi le pouvoir iranien a-t-il été une régression ? Par rapport à quoi ? À celui du shah et de sa Savak ?) 


Le jeu démocratique moderne ne doit pas être pensé et vu comme une singerie de celui qui a cours en Occident -lequel est entré dans une crise profonde ; il doit faire sa juste place à la morale, oui la morale, c'est-à-dire la prise en compte de ce qu'il y a des choses qui ne se font pas -ce que G. Orwell, souvent cité ces temps-ci, ce n'est pas par hasard, nommait la décence commune, « the common decency » et qui n'est que le sens moral dont aucun homme n'est dépourvu. À moins d'être un monstre.


Le général El Sissi déclarait, quelques jours avant le coup d'état, que « l'armée égyptienne était digne de respect [car] c'est un lion et le lion ne dévore pas ses petits » (sic). De son côté, M. Morsi déclarait : « Il faut prendre soin de l'armée... Nous avons des trésors dans cette armée... ».


Le soudard mentait perfidement en préparant son coup et le président se trompait. Le mensonge de l'un et l'erreur de l'autre sont l'indice d'une même vérité : le jeu politique civilisé n'est possible que par la mise à l'écart -en attendant de la mettre au rancart- de cette vieille et horrible chose qu'est une armée, horde de soudards dont le cerveau est tout entier dans le flingue et qui vit en parasite sur la bête. (Saluons au passage le Costa-Rica qui a décidé de se passer de son armée).