braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

samedi 29 novembre 2014

LA LENTE AGONIE DU DOLLAR, LES MONDIALISATIONS ET L'ALGERIE

Abderrahmane Hadj-Nacer

Le quotidien El watan vient de publier une contribution de M. Hadj-Nacer qui fera date. L'ancien gouverneur de la banque d'Algérie s'y livre, en effet, à une analyse géostratégique d'une extrême sagacité. Voilà qui nous change heureusement des pseudo-analyses à l'emporte-pièce et au simplisme effarant qui encombrent les espaces médiatiques. 

Je me permets de faire cette recommandation aux amis lecteurs du blogue : à lire absolument.


MORCEAUX CHOISIS

Et il est même possible pour l’Empire (US) d’envisager de ne jamais rembourser (sa dette de 200 000 milliards $) parce qu’il peut, pour ce faire, recourir à la guerre.


Les États Unis ont choisi de faire payer non seulement les emprunteurs mais aussi le reste du Monde, pour sauver les banques. 


Il y a lieu de bien comprendre que lorsque l'on parle de « puissances d’argent », on désigne une composante majeure de ce qu’on appelle aujourd’hui  « l’Etat profond », c'est-à-dire les vrais décideurs et en premier lieu, ceux qui ont décidé de la financiarisation du monde.


Ainsi lorsque les Américains subventionnent l’exploitation du soit disant miracle que serait le gaz de schiste pour en baisser le prix, ce qu’ils font  en réalité, à travers ce miroir aux alouettes, c’est affaiblir les producteurs directs d’hydrocarbures, vendre les intrants d’une technologie qui leur appartient, diminuer en somme la capacité de résistance de leurs rivaux, le temps nécessaire à la restructuration du monde. 


Alors, l’Empire actuel a mis la main sur des instruments essentiels que sont, pour les catholiques l’Opus Dei, pour les musulmans le Wahhabisme et pour les protestants l’Evangélisme.  Le tout s’inscrit dans une stratégie géopolitique définie en alliance avec le sionisme. 


Que fait en effet  le Wahhabisme ? Il détruit les témoignages de l’histoire, tout ce qui permet aux musulmans de se rattacher à un lieu, un espace, un territoire, un passé en détruisant les lieux de mémoire.


La première (des sources) ayant trait à l'origine supposée "Dönmeh" d'Abdelwahhab et des Saoud. Les Dönmeh étant les disciples du Messie cabaliste (juif) Sabbataï Zevi, converti à l'islam en 1666. 


... comme il est incontestable que Haïm Weizmann, futur président de l'Etat hébreu, a reçu l'aval et le soutien de Fayçal fils du Shérif de la Mecque pour l'établissement d'Israël.


... les Oulémas algériens n'ont pas mené à terme la réforme et se sont transformés en vecteur du Wahhabisme pendant que le maraboutisme sombrait dans le folklore et dévoyait le Soufisme. 


Le crime organisé rapporte à l’international plus de 900 milliards de dollars grâce aux trafics de drogue et d’êtres humains... depuis la signature du traité de commerce libre entre le Canada, les USA et le Mexique, toute l’Amérique centrale est devenue une zone de non droit.


Le commerce de la drogue est une constituante principale de la gestion du monde. Certains économistes affirment même qu’il n’est pas possible de financer des services secrets sans trouver de sources de financement parallèle... La saga de Mokhtar Belmokhtar et la traversée sans encombre de l'Atlantique, de l'Afrique de l'Ouest et du Maghreb par des quantités colossales de drogues dures nous laissent  pantois.


 ... la définition d’Israël comme foyer juif seulement ne pouvait trouver de justification idéologique que si la preuve était faite que les religions et les civilisations ne pouvaient cohabiter. La naissance du Hamas, pour liquider l’OLP trop laïque et multiconfessionnelle, trouve ici tout son sens.


Les pays non encore détruits, comme l’Iran et l’Algérie, doivent assumer le rôle de supplétifs pour la réalisation d’objectifs politiques et militaires contraires à leurs intérêts.


Selon un ancien homme politique français, Jacques Attali pour ne pas le nommer, le monde a besoin de guerres petites ou moyennes mais gérables pour éviter les grandes ou « La Grande Guerre ». Ainsi, c’est avec légèreté qu’il est fait référence à 300 Millions de morts nécessaires à l’équilibre du monde.


 Aux Etats-Unis, la création d’une administration fédérale chargée des opérations d’urgence (FEMA) soulève beaucoup de questions et ne fournit encore aucune réponse. La FEMA crée des dizaines de camps, grillagés et fermés où s’entassent des centaines de milliers de cercueils en plastique prêts à l’emploi. Des voix s’élèvent contre les desseins encore inconnus de cette agence.


Et le pouvoir de ce chiffre des 3% européens correspond pour l’Allemagne à la garantie que l’Europe est en processus de réforme et ne dérive pas vers les Etats Unis. Cette limitation budgétaire a un autre effet fondamental, elle ôte aux européens la capacité d’avoir des armées capables d’intervenir dans le monde.


Nous voyons qu’à propos de l’Ukraine, les Etats Unis font pression sur l’Europe pour qu’elle se réarme, et, simultanément, nous observons l’Allemagne qui elle tient ferme sur l’interdit de dépasser le  plafond de déficit budgétaire. Le réarmement massif européen est donc rendu impossible. Il s’agit, en somme, d’une résistance extraordinairement intelligente à l’Empire américain, organisée par  l'Allemagne... 


Un événement incroyable s’est déroulé récemment: l’Or Allemand stocké aux USA a disparu. Attention, est en question l’Allemagne, la troisième puissance mondiale : son or, physiquement, n’est plus où l’Allemagne l’a mis. A- t- il été gagé par les USA auprès de créanciers souverains comme s’il s’agissait de leurs biens, ou s'agit-il d'autre chose? Cela pourrait effectivement signifier que les Etats Unis font pression, font du chantage sur l’Allemagne, lui intimant de se soumettre.


Les hommes des strapontins, les postulants oligarques d’origine algérienne peuvent certes entretenir cette double illusion d’être, pour services rendus, promus dans le micro-cercle intouchable de l’oligarchie mondiale et, pour le moins, de jouir à vie et de transmettre en héritage la part du butin qui leur revient sur leurs rapines, déloyautés et trahisons pour certains. Ils ne comprennent pas, malgré les précédents célèbres, du Shah d’Iran, Marcos, Ben Ali mais aussi les Khalifa, Berezovski et consorts qu’ils n’ont ni la patine généalogique, ni les strates d’accumulations, ni les codes pour accéder au Gotha, qu’ils sont des « parvenus »en mission porteurs d’une tare indélébile : leur argent sent trop fortement, trop fraîchement l’illégitimité, l’illégalité. Les admettre à sa table serait pour l’oligarchie mondiale, pour les notabilités internationales qui tant ont œuvré à en effacer les traces, être renvoyés à ses propres origines... 




N.D.B : Deux remarques que je fais à cette analyse remarquable :
1) Le pape François actuel n'était pas un adepte de la Théologie de la libération; on lui a souvent reproché de ne pas avoir été solidaire des prélats d'Amérique latine engagés sur ce terrain.
2) Il y est dit que les Oulémas algériens "se sont faits les vecteurs du wahabbisme". Certes, mais j'aurais aimé que Benbadis en fût excepté -ne serait-ce qu'en mémoire du glorieux Congrès musulman algérien, ce front Oulémas-Communistes-Démocrates qui a initié la lutte non-violente pour la citoyenneté.





http://www.elwatan.com/contributions/la-lente-agonie-du-dollar-les-mondialisations-et-l-algerie-partie1-29-11-2014-279534_120.php

http://www.elwatan.com/une/la-lente-agonie-du-dollar-les-mondialisations-et-l-algerie-partie2-29-11-2014-279575_108.php


vendredi 21 novembre 2014

LES VERSETS DE L'INVINCIBILITE




Fanny Colonna, anthropologue, vient de nous quitter. Paix à son âme. En 1996, j'avais écrit un article de recension pour la revue "Hommes et migrations". Il s'agissait d'un compte-rendu du maître ouvrage de Fanny Colonna, "Les versets de l'invincibilité". En hommage à Fanny, chrétienne-progressiste algérienne, le voici :

C'est l'histoire d'une perte, entrevue et pensée en termes de courbe, dont le tracé, "lent, très lent, séculaire", dessine en définitive la disparition d'une figure centrale de la société algérienne : le "saint", ce clerc, ce lettré, ce "taleb" nourri à la sève unique du Livre Invincible, le Coran. Avec l'effacement du saint, c'est un "bouleversement dans l'épistémé des gens" qui se produit : la manière de lire et d'interpréter le monde au moyen du Coran change. Notons bien, cependant, que le Coran reste présent dans son immuabilité et que la perception et l'appropriation du monde se font toujours par son truchement ; c'est son mode de présence au monde qui a changé.

Disons-le autrement : une fracture décisive se produit au XX ème siècle, en Algérie, qui voit la religiosité changer : la silhouette familière et fantasque du saint s'estompe pour laisser la place à l'Islahi, le réformateur qui, revenu du fond des âges -et, accessoirement de quelque voyage d'études au Moyen-Orient- entend rappeler la société à l'observance stricte de l'Islam "véritable", celui des Origines, des premiers croyants, les "Salaf".

C'est donc cette permanence de l'Islam et ces changements dans la religiosité dans l'Algérie contemporaine, que Fanny Colonna scrute, décompose et reconstruit à travers un exposé méthodologique-critique et une analyse de quatre "nouvelles", récits de Coran, de terre et de sang dans le massif montagneux de l'Aurès, dans l'est de l'Algérie.

Dans la première partie, intitulée "une religion introuvable", F. Colonna s'interroge sur les enjeux cognitifs du religieux et sur sa place et sa fonction dans les sociétés maghrébines. Elle relève que l'historiographie et la sociologie du Maghreb ont, très longtemps, été élaborées à la lumière épistémologique du positivisme durkheimien dominant dans les sciences sociales, et qui n'accordait pas de place à la religion dans son analyse des faits sociaux.

Pourtant, en dehors du cadre universitaire, une foule d'études et de travaux étaient produits sur l'Algérie qui accordaient à la religion une place centrale, essentielle même, dans la vie sociale : il s'agissait de la "littérature" des officiers des Bureaux arabes et des Administrateurs des Affaires indigènes, dont la préoccupation immédiate était, il est vrai, de comprendre, pour mieux la combattre, la dynamique de mobilisation et d'insurrection des tribus.

Cette alternative, "la religion est tout / la religion n'est rien", est la manifestation symptomale d'un autre enjeu, celui de l'inscription identitaire du Maghreb. En effet, toute une tradition intellectuelle se rattachant à la "Cité antique" de Fustel de Coulanges, via Durkheim, a abouti à la négation de l'ancrage du Maghreb dans la culture islamique, au profit de son inclusion dans l'espace méditerranéen, aux côtés de la Grèce, de Rome, de l'Anatolie... Emile Masqueray, Jean Servier et, surtout, Albert Camus figurent parmi les nombreux promoteurs de cette annexion; (F. Colonna rappelle que le premier épisode du célèbre reportage d'A.Camus, "Misère de la Kabylie", était titré : "la Grèce en haillons"!). On le voit bien : ce stéréotype de la "méditerranéité est incompatible avec une religion révélée scripturaire comme l'Islam; il n'est compatible qu'avec un paganisme de fait."

Pourtant, la présence de l'Écriture et de textes dans les sociétés maghrébines était un fait têtu et massif : pas une des manifestations de la vie en société n'était indemne de l'empreinte de la religion et du texte sacré; rien n'échappait à leur magistère. C'est cette réalité que les anthropologues anglo-saxons en particulier, Clifford Geertz, Jack Goody et Ernest Gellner -entre autres- vont placer au centre de leurs réflexions sur les sociétés islamiques ; leurs travaux vont marquer le début de la déconstruction de la raison objectiviste durkheimienne et ouvrir la voie à une interprétation du sens de la religiosité : "l'accent va être mis, dès lors, sur l'autonomie du religieux et, surtout, sur la construction d'un paradigme qui offre les moyens de questionner l'évolution des manières de croire comme un phénomène endogène, c'est à dire ne se ramenant pas à la conséquence directe des rapports avec un autre."

C'est, explicitement, que F.Colonna inscrit son travail dans le cadre général de ce paradigme ; comme C. Geertz avec Bali, ou E. Gellner avec le Haut-Atlas marocain, elle choisira le massif des Aurès, en Algérie, sur lequel, pendant plus de vingt ans, elle enquêtera et réfléchira, car il offre des homologies troublantes avec ces deux situations : " même résistance à la conversion, aussi bien à la laïcité qu'au Christianisme. Même besoin de se légitimer comme croyants aux yeux des autres et de l'État central. Et, surtout, même prise en main de l'opération de réformation religieuse par la caste religieuse elle-même; par le haut, si on peut dire. "

Dans cette immense montagne berbère de l'est algérien, qui fut le tombeau des premiers conquérants arabes, mais aussi, et paradoxalement, une forteresse de la langue arabe et de l'Islam - à la différence de sa "cousine", la Kabylie, massivement berbérophone et souvent consentante à la conversion au Christianisme-, les récits des Origines situent l'éponyme fondateur à l'ouest (en général dans la Séguia El Hamra, le Sahara Occidental, lieu de départ de ces moines-soldats qui tiennent les marches du Dar El Islam, la "maison de l'Islam", dans leurs "Ribat", ces avant-postes fortifiés : d'où leur nom les Mourabitounes, ceux qui tiennent le Ribat, et sa déformation en "Mrabtines", les marabouts, saints, guérisseurs et savants.)

Le premier récit est consacré à l'histoire d'une tribu des Aurès qui situe ainsi ses origines.
Le second traite de la tribu des M'samda, protagoniste et ordonnatrice d'un grand rituel ambulatoire au caractère " astronomique" (lié aux saisons) et orgiaque évident.
Le troisième est l'histoire d'un homme dont la prétention à la sainteté est en débat.
La quatrième "nouvelle", enfin, raconte l'émergence de la Réformation religieuse à travers la biographie d'un membre de l'association des Ulémas musulmans, ces lettrés d'un nouveau style qui vont mener cette tentative de retour à un Islam épuré des "scories" maraboutiques.

Au terme de cette recherche qui devrait introduire à une " sociologie intellectuelle " de la société algérienne, que retenir ?

D'abord, que les figures successives des clercs, saints et autres lettrés, procédaient toutes d'un substrat intellectuel qui a rendu ce pays "invincible", qui l'a préservé contre l'aliénation mentale : ce substratum, c'est le 'Ilm, la tradition scolastique -point aveugle de l'historiographie et de la sociologie officielles- qui s'est fondée, durant des siècles, sur l'inculcation et la retransmission d'un savoir religieux autochtone.

Ensuite, que c'est dans le creuset d'une langue liturgique et d'une pensée religieuse que l'idée de nationalité est née ; en ce sens, on peut dire que ces réformateurs, qui ont tenté de remplacer les saints traditionnels, sont bien les "pères de la nation, mais en une filiation non sanglante, au contraire de celle du pouvoir politique".

Mais le lecteur ne pourra pas s'empêcher de penser à ces figures sanglantes, venues d'un autre âge, elles aussi, et, accessoirement, d'un voyage dans le Moyen-Orient, et qui ont entrepris de réislamiser -encore !- cette pauvre Algérie. Il ne pourra pas ne pas remarquer que, par leur haine du festif, de la joie et de la foi populaire, elles sont, décidément, à la ressemblance de leurs illustres devanciers, les réformateurs, dont il faut excepter les esprits les plus éclairés, les plus occidentalisés, les plus modernistes, tel Benbadis.



Messaoud Benyoucef (02/11/96)

LES VERSETS DE L'INVINCIBILITE

Permanence et changements religieux dans l'Algérie contemporaine
Fanny Colonna

Presses de Sciences Po 400p.