braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

mercredi 19 décembre 2012

UNE AFFAIRE DE BOOMERANG







Des milliers de gardes communaux marchant sur Alger ont été refoulés par les brigades anti-émeutes au terme d'affrontements violents qui ont fait un mort parmi les marcheurs.

Dès 1993, au commencement de ce que nous appelons ici « la guerre des lâches », des groupes dits les « jeunes Algériens libres » opéraient déjà, enlevant, exécutant des Islamistes. La vox populi en attribuait la paternité à Larbi Belkheir. Puis vint le temps de l'Organisation de sauvegarde de la république algérienne (OSRA... Tiens, tiens ! Cela ne vous rappelle rien ? Osra en arabe = famille). Enfin, arriva le temps des véritables milices, agissant au grand jour comme forces supplétives. La garde communale fut créée en 1994. C'est sous l'impulsion de la SM et de la hiérarchie de l'armée que cette milice a vu le jour. Pour mémoire : le premier groupe de civils qui a pris les armes contre les Islamistes djihadistes était dénommé « Les Patriotes » ; il activait près de Boufarik, dans le domaine Bouchaoui, et était constitué d'anciens militants locaux du PAGS. Ces militants communistes étaient menacés de mort par les djihadistes de 'Antar Zouabri (futur chef du GIA) qui sévissaient dans la Mitidja. Aujourd'hui, les preuves et les témoignages s'accumulent, montrant que Zouabri était manipulé par la SM. Laquelle SM a poussé à la constitution du groupe des « Patriotes » et l'a armé. Autrement dit « odhrob qoulla b'qoulla » -faire s'entrechoquer deux cruches pour qu'elles se fracassent ensemble-, le classique des classiques des "services".

Pour le recrutement des miliciens, les services de la SM et de l'armée ont exploité à fond le registre de l'appartenance à ce qu'ils ont dénommé « la Famille révolutionnaire ». Que faut-il exactement entendre par cette notion qui a fait florès depuis ? Est-ce à dire que le cœur de cible des services a été les familles des anciens combattants de la guerre d'indépendance ? Pour une part, sans doute ; seulement voilà : les anciens combattants et leurs ayants-droit, gorgés de prébendes et d'avantages, ne sont pas les plus malheureux des Algériens et ils ne sont pas suicidaires, encore moins dépourvus de jugeote, pour risquer leur vie et leur fortune dans une guerre trouble où personne ne sait qui est réellement qui. Beaucoup de ces familles, par ailleurs, finançaient le Front Islamique du Salut en subreptice, lequel FIS avait pris soin de choisir ses plus hauts dirigeants dans le milieu des anciens combattants et de leurs ayants-droit justement : Abassi Madani, le n° 1 du FIS en était un et Ali Benhadj, le n° 2, était fils de chahid (martyr de la guerre d'indépendance). Cela, les services le savaient mieux que personne.

De même qu'ils savaient que les élections municipales remportées par le FIS avec l'appui du gouvernement Hamrouche avaient été un signal clair pour les Algériens : les gouvernants étaient en train de larguer le FLN pour un nouveau-futur parti unique, le FIS. Les mouches sont en train de changer d'âne, dépêchons-nous d'occuper les places, a dû penser une large majorité d'Algériens (avec l'humour meurtrier qui nous caractérise). Si donc beaucoup d'Algériens étaient passés au FIS (y compris, et d'abord, une masse de militants FLN qui serviront à l'encadrement des troupes dudit FIS), le message subliminal que contenait le slogan de la « famille révolutionnaire » voulait dire : Ne vous trompez pas de monture. Ce qui vous mènera à bon port, c'est l'attelage SM+Armée. Des oreilles attentives captèrent le message qu'elles décodèrent : On nous ouvre les portes du saint des saints du pouvoir ! À nous la puissance et la gloire ! (Sans oublier la richesse).

Et c'est ainsi qu'ils furent 200 000 miliciens à servir de chair à canon et, surtout, -hélas- à contribuer à la réussite du plan diabolique visant à diviser les Algériens et à les renvoyer aux formes primitives de la vendetta tribale. Car il faut bien comprendre ce que veut dire que lever des milices. C'est, d'abord, privatiser les activités de police et de justice -qui sont les attributs régaliens de l'État ; ce qui signifie clairement que créer des milices, c'est affaiblir consciemment le concept de l'État. C'est, ensuite, ouvrir la voie aux règlements de comptes et au cycle sans fin des vengeances qui prennent inévitablement un caractère de masse dans des sociétés encore largement tribalisées. (Rappelons ce fait horrible : mille morts en une nuit à Remka, wilaya de Relizane).

Dans l'Algérie livrée à la terreur et aux exactions des années 90, très peu de voix dénoncèrent ce véritable crime contre l'État et contre la nation qu'est la constitution de milices : pour se défendre d'une sédition armée qui le visait, le pouvoir siloviki n'a pas hésité à la détourner contre le peuple, provoquant ainsi ce qu'il faut bien appeler une guerre civile. Cela dit, les choses paraissaient aller de soi dans un pays biberonné au mythe de la lutte armée et de l'action directe : après tout, le FIS n'avait-il pas pris les armes contre l'État ? Et l'État n'avait-il pas le droit de se défendre par tous moyens ? Non. Un État digne de ce nom se défend par les moyens de droit. Le FIS, n'ayant aucune culture de l'État, a pris les armes pour s'emparer d'un pouvoir ; lequel pouvoir est entre les mains d'hommes armés qui n'ont eux-mêmes aucun intérêt à construire un État ; bien au contraire, ils ont tout fait pour empêcher justement que s'édifie un État de droit. La boucle est bouclée : le FIS a singé le FLN de guerre ; en face, la SM et l'ANP ont singé l'armée française avec son Cinquième bureau et ses supplétifs, agissant hors des procédures de l'État de droit. Ce que le FLN d'aujourd'hui, cinquante après, condamne en exigeant un acte de repentance. Mais lui-même et le pouvoir armé qui se tient derrière son sigle ne feront rien pour reconnaître qu'ils ont agi exactement comme l'armée française durant la guerre d'indépendance. Ce qui promet pour le futur !

Les miliciens qui manifestent aujourd'hui et qui goûtent du bâton des brigades anti-émeutes mettent le pouvoir très mal à l'aise ; en témoigne la cacophonie qui s'est ensuivie au niveau du gouvernement. Le pourquoi de ce malaise réside dans la simple lecture du cahier de doléances des miliciens. Ils ne réclament rien moins que les avantages consentis aux membres du cercle restreint qui préside au destin de ce pays. Mais y consentir équivaudrait pour le pouvoir à accepter que le cercle s'élargisse, mettant à mal les équilibres fragiles qui le maintiennent en place. 

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