braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

lundi 27 avril 2015

UN AN APRÈS LA DÉSIGNATION DU DEY...




Le petit monde des chroniqueurs, politologues et autres journalistes fait dans la sidération : "Ils ont osé !" Le "Ils" désigne évidemment les gens du "système". Le "système" a, en effet, désigné -à sa manière propre, c'est-à-dire sous le couvert de pseudo-élections- son représentant. Un vieillard podagre et mutique. Ce qui veut bien dire que le représentant nominal du "système" n'est pas l'essentiel ; il est de l'ordre du phénomène, c'est-à-dire de l'apparence. L'essence du "système" -sa réalité-, longtemps cachée, apparaît aujourd'hui avec l'éclat de la fleur en quoi s'est réalisée la graine enfouie sous le sol. Parvenue à ce stade de son développement, elle se donne à voir telle qu'en elle-même, une caste militaro-compradore, ce qui veut dire : une classe sociale fermée, faisant tout pour préserver ses privilèges, formée d'officiers supérieurs, de leurs rejetons -la notion de caste est consubstantielle à celle d'hérédité, ce qui explique la floraison des organisations d'ayants-droit- et de leurs prête-nom et devantures civils, qui a imposé son pouvoir par la violence et le crime et qui accumule les fortunes en rançonnant les opérations d'import-export.

Pourquoi, les choses étant claires pour tout le monde, ceux qui font profession d'aller au fond des choses -analystes, commentateurs, éditorialistes, "politologues", partis politiques-, persistent-ils à parler de "système" et évitent-ils d'appeler par son nom la caste qui tient le pays en son pouvoir despotique ? 

Parce que parler de "système" -terme vague et neutre- n'engage à rien, ne mange pas de pain. Mais également parce que ces gens sont incapables de sortir du cadre de la raison militaire : pour eux, point de salut hors de l'ANP et de ce qu'ils appellent "les services de sécurité" afin d'éviter de nommer la Sécurité militaire (SM).

Certains d'entre eux qui se piquent de théorie parlent plus volontiers d'un "système rentier", comme le météorique Tahadi qui glosait sur une soi-disant "double rupture avec le système rentier et l'intégrisme" dont il avait fait sa panacée. Ce qui n'empêchait pas ses dirigeants de se tenir à l'abri dans le bunker du Club des pins, aux côtés des maîtres du "système rentier", livrant leurs militants de base aux attentats terroristes. Tout comme certains journalistes dits indépendants d'ailleurs, logés dans ledit bunker et qui vilipendent le "système". C'est à croire que le principe de non-contradiction serait inconnu en Algérie (alors que l'émir 'Abdelkader était un lecteur d'Aristote, l'inventeur du concept : A est A et n'est pas NON-A...).

Le fait de disposer d'une rente géologique (par exemple en hydrocarbures) ne fait pas ipso facto d'un pays un État rentier, vivant aux crochets de sa rente tel un vieillard édenté agrippant sa cassette de ses doigts crochus et ayant abandonné toute activité productive : l'exemple éclatant de la Norvège est là pour montrer que la question ressortit d'abord à la nature de l'organisation politique de la société. La Norvège, État démocratique pluraliste, affecte les revenus générés par les hydrocarbures à un fonds souverain géré par l'État en toute transparence, c'est-à-dire sous le contrôle de la représentation nationale qui en fixe la destination.

En Algérie, par contre, nous avons affaire à une appropriation privée de l'État et des ressources naturelles du pays par ce que l'on peut valablement nommer « "complexe militaro-compradore", une organisation qui ressemble à s'y méprendre, mutatis mutandis, à l'ordre de l'Odjaq des Janissaires qui se tenait, lui aussi, sur deux jambes, la violence militaire et le pillage et qui a dominé l'Algérie pendant trois siècles. Tout se passe donc comme si la séquence de la colonisation française une fois refermée, l'ordre janissaire avait repris ses droits. Rappelons, au passage, que le gestionnaire du Religieux au temps de Boukharrouba, Mouloud Kassim Naït Belkacem, n'avait de cesse d'encenser les "glorieux amiraux algériens". Que le brouillon ministre du Religieux ait, ce faisant, pris de larges libertés avec la vérité historique (les "amiraux" étaient des pirates et ils n'étaient pas Algériens mais slaves du sud -Saqaliba), ne doit pas faire perdre de vue le noyau rationnel inconscient de son discours : à son insu, M. Kassim énonçait la vérité du clan des "Marocains" de Boukharrouba, des Janissaires -étrangers au pays- qui ne pouvaient se comporter -tôt ou tard- que comme des Janissaires vivant sur la bête. 

L'essence du "système" étant aujourd'hui visible à l'oeil nu, il faut se poser la question de ses conditions de possibilité historiques : qu'est-ce qui a permis l'émergence et la durabilité de ce complexe militaro-compradore ? la réponse ressortit à la simple observation des faits : ce qui a permis l'éclosion et le développement du complexe militaro-compradore, c'est l'existence d'une police politique, la Sécurité Militaire (SM). La domination des militaires n'a pu se réaliser que parce que ces militaires se sont dotés d'un appareil policier tentaculaire qui a fini par terroriser l'ensemble de la société et les militaires eux-mêmes. En rendant simplement impossible l'exercice de la politique civilisée dans l'Algérie indépendante (torpillage et infiltration des institutions pour les décrédibiliser et rendre leur fonctionnement impraticable, répression de toute organisation ou association libre, persécution tenace et multiforme des individus libres, ceux qui ont refusé de faire allégeance et ne donnent aucune prise au chantage...), la SM a figé le "système" dans une glaciation digne de la pire période soviétique, celle où le monde selon Souslov (l'idéologue borné du Kremlin) s'était substitué au monde réel. 

Ajouter à cela que, fonctionnant comme le véritable parti unique au pouvoir -c'est-à-dire exerçant son hégémonie idéologique et politique sur la société-, en même temps qu'elle est son propre bras armé, la SM a sécrété un système totalitaire digne de celui dont rêvait le FIS : c'est pourquoi l'opposition entre les deux ne pouvait être que radicale, exigeant la disparition de l'un ou de l'autre. C'est pour tout cela que l'emprise de la SM dure et qu'elle peut même s'autoriser une façade "démocratique" : presse "libre", multipartisme, etc. destinée à une consommation extérieure pas très regardante.  

Interdiction faite aux indigènes d'adhérer à un parti politique, à une association, à un syndicat, telles étaient les dispositions politiques les plus saillantes du code de l'indigénat, cet apartheid à la française. Ce code raciste avait clairement pour objectif d'empêcher les Arabo-berbères d'accéder à la pratique civilisée de la politique et les enfermer à jamais dans la culture de la violence primaire -ce qui légitimait, en retour, le racisme à leur endroit. Si ce code a été aboli par le Front populaire en 1936, il  connaît une seconde vie depuis 1962. Qui peut nier, en effet, que l'interdiction signifiée aux Algériens, dès les premiers jours de l'indépendance, de pratiquer la politique ne soit pas du même acabit que le code de l'indigénat ? On objectera que ce dernier était raciste. Mais la haine de soi, retournée en haine du peuple, du "ghachi", des "Arabes", dont témoignent tous les dirigeants de l'Algérie indépendante qui n'ont pas estimé ce peuple digne d'accéder au politique civilisé, n'est-elle pas l'expression d'une intériorisation du vieux racisme colonial, ou même ottoman ?  

L'affaire remonte à loin, en vérité. En effet, mis à part les séquences historiques précises durant lesquelles des formations politiques civilisées ont fait prévaloir le travail d'éducation et de conscientisation des masses -référence aux Badissites (entendre les 'Oulamas fidèles à la ligne de Benbadis, pas les épigones de Bachir El Ibrahimi), au PCA et à l'UDMA-, la tendance prégnante du mouvement national a été celle imposée par le parti de la petite bourgeoisie urbaine et des notables ruraux : la violence comme forme privilégiée d'action politique. Prenant prétexte de ce que le colonisateur ne pouvait entendre que son propre langage, celui de la violence, il fallait lui parler dans sa langue, disait la "doctrine" de ceux qui se présentaient comme les seuls porte-parole authentiques du peuple, le PPA puis son rejeton, le FLN.

Examinons un court instant cette assertion : dire que la seule forme de lutte possible est de prendre un fusil et prétendre en même temps que l'on est le porte-parole authentique du peuple sous-entend -par transitivité- que le peuple ne souhaite que le langage de la force. Ainsi se referme le piège sur ceux qui idolâtrent la violence : ils utiliseront, vis-à-vis de leur propre peuple, le seul langage qu'ils pensent compréhensible par lui, la violence. En réalité, ces porte-parole autoproclamés du peuple avaient un profond mépris pour lui qu'ils rendaient responsable de la colonisation du pays (c'est le sens de la pétition de principe de Malek Bennabi : l'Algérie a été colonisée parce qu'elle était colonisable). 

Le cas du chef spirituel et politique de cette tendance est exemplaire (ou caricatural, si l'on veut) : Ahmed Mesli, koulougli tlemcénien, s'était inventé une généalogie qui faisait remonter sa lignée à des ancêtres venus prétendument de Mossoul (Irak). Et il se choisit un nom en fonction de ses soi-disant origines : Messali Hadj. Que le chef du Parti du peuple algérien (PPA) clame qu'il n'appartient pas à ce peuple qu'il dit représenter relève de la schizophrénie. Comme de s'habiller à l'algérienne (gandoura et chéchia) et de prendre pour femme une Européenne. Rien ne m'est plus étranger que l'idée de lui en faire le reproche, mais  prétendre incarner dans sa personne l'authenticité d'un peuple et s'enferrer dans des contradictions aussi criantes est bien l'indice d'un rapport anormal au peuple. 

A contrario, personne ne verrait une inconséquence dans le fait que Ferhat 'Abbas ait également pris pour épouse une européenne : la chose est congruente avec sa personnalité sociale et politique de bourgeois occidentalisé acquis aux valeurs démocratiques et républicaines françaises dans le sens desquelles il voulait éduquer son peuple. Ceux qui se battent aujourd'hui pour un État de droit, civil et démocratique, contre la caste militaro-compradore, donnent raison à Ferhat 'Abbas contre Ahmed Mesli. Magistrale ruse de l'histoire !

Ce combat contre la caste militaro-compradore exige une clarification toujours plus exigeante des termes dans lesquels il s'exprime ainsi que des objectifs qu'il s'assigne. Au moment où se multiplient les appels à l'unité contre le "système", il convient de rappeler un certain nombre de prérequis :

1) On ne fait pas du neuf avec du vieux. Les canassons de retour, blanchis sous le harnais à l'intérieur du "systèmeet qui vocifèrent tant et plus contre ce même "système" sont des menteurs et des opportunistes qui n'ont pas capacité à changer les choses. Qui a empêché aucun d'entre eux de démissionner s'il n'était pas d'accord avec le "système? Personne, à part le manque de courage… ou l'engagement pris vis-à-vis de ceux qui les ont cooptés, c'est-à-dire la SM.

2) Parler de "système rentier", c'est parler pour ne rien dire ; et ne rien dire veut dire cacher la vérité des choses sous un fatras de mots. L'essentiel étant, ici, de savoir qui détourne la rente à son profit. Ne pas nommer le voleur -la caste militaro-compradore-, c'est faire preuve de lâcheté et de complicité.

3) Parler d'"État policier" c'est commettre une double erreur (voulue?) : d'abord, en ce qu'il n'y a pas d'État à proprement parler (un État est dans son essence des institutions fonctionnant selon leur propre logique : y a-t-il quelque chose qui ressemble à cela, en Algérie?) mais un despotisme de type oriental (patrimonialisation de la puissance publique et des ressources économiques). Ensuite, parce que parler de "policier" tout court occulte le caractère essentiellement militaire de ce despotisme. Militaro-policier serait plus juste donc, mais a un prix : rompre avec l'à-plat-ventrisme devant l'armée.

4) Parler de "lutte de clans" sans nommer les deux principaux issus de la guerre d'indépendance -le clan des "Marocains" (SM) et celui des "Tuniso-aurésiens" (ANP)-, revient à essayer de voiler le soleil avec un tamis. Si cette rivalité n'a pas encore fait éclater le pays, c'est simplement parce que ses protagonistes se tiennent par la barbichette du partage de la rente qu'ils détournent. Mais que se produise une divergence profonde (comme l'attitude à adopter envers le FIS dans les années 90) ou une raréfaction de la ressource piratable, et c'est la guerre civile assurée.

La seule alternative véritable au complexe militaro-compradore serait celle qui se revendiquerait du Congrès musulman algérien de 1936. Réactiver les valeurs badissites d'un islam moderne, soit la laïcité, la citoyenneté et l'égalité ; celles de Ferhat 'Abbas pour une démocratie parlementaire moderne, c'est-à-dire pour un État de droit civil qui commande au sabre et qui contrôle les services de police ; celles du PCA historique pour une république démocratique et sociale et un État protecteur.






2 commentaires:

  1. Salut Messaoud

    Dans les Affranchis, Ray Liotta campe le rôle d’Henry Hill qui, dès le début du film, annonce la couleur : ″Pour moi, être gangster, c’était mieux que d’être président des Etats-Unis″. Remarquable aveu. Il n’y a pas que le public américain qui fait la différence entre la mafia et l’Etat, il y aussi des gangsters comme Henri Hill. Cela est évident puisque de temps à autre le FBI arrêtait les capo que les juges condamnaient à de lourdes peines de prisons. Parfois, c’étaient les agents du fisc qui accomplissaient un travail de fourmis et arrivaient à neutraliser ou à mettre hors d’état de nuire un criminel de la pire espèce, tel fut le cas d’Al Capone.
    Les succès dans les affaires des familles Genovese, Gambino, Lucchese, Colombo et Bonanno duraient le temps que la police et le fisc apportent la preuve de leur efficacité en se conformant aux LOIS. Tous ou presque ont agi en tant qu’agents de l’état. Le ministère public, le juge et l’avocat y veillaient. L’homme politique, lui, a fermé les yeux le temps que des organisations criminelles fassent le sale travail que les syndicats ouvriers ne pouvaient accomplir normalement dans des secteurs jugés vitaux comme le transport routier et les ports. La guerre froide avait ses règles.

    Dans notre cas, la confusion entre système, régime et (plus grave) l’état est totale parce que le public algérien n’a jamais connu ce niveau d’abstraction qu’est l’état. De tout temps, dans l’esprit collectif, l’homme-état archétypale est le psychopathe Tommy DeSimone excellemment interprété par Joé Pesci sous le nom de Tommy DeVito dans les Affranchis. La différence est que dans le film il y a, outre les mafiosi, les policiers, les magistrats et la prison, donc la Loi alors qu'ici, Tommy DeSimone concentre entre ses mains tous ces attributs. Une preuve ? Aux Etats-Unis, Robert de Niro et Joé Pesci ont connu la consécration et en Algérie Othmane Ariouet vit presque caché.

    Autrefois, pour duper le Surmoi et bercer notre inconscience, on disait : c’est le mektoub et aujourd’hui, pour se disculper de notre responsabilité, on dit : c’est le système. Deux notions pour un même sens ; deux ruses très pratiques pour plier une discussion et désarmer quiconque chercherait à fouiller dans les services d’état civil de ce régime, deux remparts qui empêchent quiconque de chercher à accéder à son casier judiciaire. Le Moi peut continuer à ronfler. Mais là où l’universitaire délire dans des valses entre système, état et régime, le ghachis, lui, a cerné courageusement la chose et lui a donné le nom qu’elle n’a pas volé : dawlat mickey. On dit aussi mafia politico-financière, une formule consacrée par boudiaf, et pourtant, quant on regarde les choses de plus près, il n’y a nulle trace de politique mais seulement des militaires et les çoffs reconstitués comme on peut les voir dans le film de Martin Scorcese.


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    1. Salut à toi,

      Je m'achemine lentement mais sûrement vers cette conviction qu'il n'y a ni « système », ni état, ni quoi que soit qui y ressemble, mais seulement un retour (Aslouka, aslouka!) vers le despotisme oriental primitif : patrimonialisation du pouvoir dans tous les domaines : politique, économique, idéologique. Le penseur palestinien 'Azmi Bichara a un terme approprié pour qualifier ce despotisme et brocarder les dirigeants arabes : il parle de pays gérés comme une "Mazra'a", une ferme, héritée de ses parents et dont on peut faire ce que l'on veut sans égards pour les gens qui se trouveraient malencontreusement vivre sur ses terres. La caste des néo-janissaires -engeance fruste, sanguinaire et cupide- qui gère notre mazra'a n'agit pas -et ne peut pas agir- autrement.

      Salvatore Maranzano, premier à s'être proclamé capo di tutti capi de Cosa Nostra aux USA (après avoir envoyé Joe Masseria ad patres), se piquait d'histoire et avait un faible pour l'empire romain et Jules César.

      Si l'empire est intervenu si grossièrement au cours du processus de désignation de la devanture des familles, c'est que le vrai Maranzano (Médiène) lui donne satisfaction... en attendant de lui susciter un Salvatore Lucania (alias Lucky Luciano) pour le refroidir à jamais.

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