braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

dimanche 19 juillet 2015

MZAB, MAZRA'A ET RÉVOLUTIONS COLORÉES



La vallée du Mzab, en Algérie, est à feu et à sang. Plus de 25 morts. L'armée s'y est déployée. Les médias algériens y vont de leurs analyses, outrancières souvent, racistes parfois, hélas. De quoi s'agit-il ? D'affrontements entre des fractions de la population locale qui ont vite pris une coloration religieuse -Ibadites contre Malékites- et ethnique -Berbères mozabites contre Arabes Ch'anba.

On pourra épiloguer longuement sur la notion d'ethnie -quelle est sa valeur scientifique, au juste ?-, ainsi que sur l'abîme qui sépare les données objectives, les faits, des représentations que les gens se font d'eux-mêmes, de leur identité. Il ne sert à rien de dire à tel groupe qu'il est berbère et non arabe si lui se sent, se vit comme arabe. L'inverse est également vrai. Et, au fond, quel intérêt -autre que strictement scientifique, documentaire-, pourrait avoir cette question ? Le seul intérêt immédiat, bien réel celui-là, est celui lié à des questions de stratégie. Yves Lacoste avait prononcé une sentence célèbre : "La géographie, ça sert d'abord à faire la guerre". Pas que la géographie certes, car en tant que productions de l'esprit humain et participant d'un ordre du monde, les sciences, quelles qu'elles soient, ne sont pas neutres socialement et politiquement parlant.

Quand l'émir 'Abdelkader reconstitua l'aghalik des Bni-'Ameur -tribu d'origine hilalienne établie dans le triangle Oran-Sidi-Bel'abbès-Tlemcen et l'un des fers de lance de la résistance à l'invasion française-, les experts militaires français notèrent que dans l'aghalik ainsi unifié, il y avait "deux tribus berbères assimilées" (sic). Dans le camp algérien, il n'y avait nulle différence entre les Ouled Khalfa ou les Chorfa Gtarnia -les deux "assimilées"- et les autres, tout le monde se percevant musulman et arabe. Pour l'envahisseur, si, dans la mesure où cela pourrait toujours servir à disloquer le redoutable aghalik (que les Ottomans s'étaient déjà échinés à diviser).

Le 02 novembre 1954, dans les Aurès -à Arris, précisément-, l'ethnologue et espion du BDL (bureau de liaison), Jean Servier réunit les chefs de la grande tribu des Ouled 'Abdi et les informa que ceux qui avaient fait parler la poudre dans la nuit étaient des Touabas (tribu de Mostfa Benboulaïd). Servier qui était au fait de la haine séculaire que se vouaient l'une et l'autre tribu, obtint sur le champ le ralliement des Ouled 'Abdi avec lesquels il forma la première harka de la guerre. Le mot et la méthode étaient démarqués des pratiques de Lyautey au Maroc.

Mais au lieu de rappeler ces faits, les commentateurs -à la notable exception de 'A. Hadj-Nacer dont l'analyse est très percutante- font généralement dans l'approximation -tel ce professeur dune université algérienne qui qualifie l'Ibadhisme de "branche du Chi'isme" (sic), c'est dire où en est l'université en Algérie-, quand ce n'est pas dans le racisme pur et simple -telle cette cette interminable contribution dans un quotidien francophone, honteuse et abjecte diatribe contre les "Arabes pillards et destructeurs" Et tout ce monde-là crie au loup (la main de l'étranger qui agit sous forme de révolutions colorées) en faisant justement le jeu du loup !

Pour mémoire : l'Ibadhisme est né de l'enseignement de 'Aïcha et de 'Abdallah Ibn Ibadh. L'Ibadhisme est rigoriste et ce n'est par hasard qu'il a donné une branche takfiriste en la personne des Azraqites (dont l'un d'eux assassinera le calife 'Ali). 'Aïcha était l'ennemi de 'Ali Ibn Abi Taleb qu'elle "affronta" même à la bataille dite du Chameau. C'est la question du pouvoir -donc la question politique- qui a été à l'origine de la discorde et de la naissance des différentes tendances, Chi'a, Sunna, Ibadhia, Khawaridj… et non des divergences sur le dogme (pour autant que le dogme soit séparable de la politique mais cela il n'y a que Jésus de Nazareth qui l'a énoncé clairement : "Mon royaume n'est pas de ce monde").

Rappelons également que c'est le da'i 'Obeïdallah el Mahdi, chef spirituel des Chi'ites Fatimides, qui a pris Tihert, massacré les Ibadhites et mis fin au royaume rostémide qu'ils avaient édifié en Algérie. Les survivants finiront par se poser justement dans la vallée du Mzab. C'est dire que Chi'a et Ibadhia sont dans le rapport le plus conflictuel qui soit.

Toutes ces choses sont bien connues mais apparemment pas par ce professeur (d'université ! Hélas).

D'autre part, il y a longtemps -au moins depuis la guerre d'indépendance quand l'armée française, craignant le trafic d'armes, a fixé de force les nomades ch'anba dans la vallée du Mzab- que ce mouvement de sédentarisation s'est amplifié. Le sociologue Nadir Ma'rouf avait produit des analyses pénétrantes -les meilleures, certainement- des espaces oasiens. Il suffisait de le lire. Quoi qu'il en soit, l'équilibre que le mozabite avait réussi à instaurer dans cet espace si exigu et si fragile a été rompu. C'est cela la vérité première. Après, apparaîtront les modalités d'expression de cette vérité de fond, celles qui emprunteront le langage de la religion ou celui de la race.

Alors, les gens de la vallée du Mzab croient qu'ils rejouent une geste héroïque (Sunna contre Khawaridj, Ibadhites contre Chi'ites, Arabes contre Berbères…), dans le même temps où ils ne sont en réalité agis que par les intérêts matériels immédiats, ceux de la survie dans un espace grandement menacé dans ses équilibres vitaux.

Les affrontements du Mzab viennent rappeler aux Algériens une leçon que leur avait déjà administrée la guerre des lâches de la décennie 90 : le grand, l'effrayant potentiel de violence qui gît en eux. La responsabilité du pouvoir d'état algérien est, à cet égard, écrasante. On ne reconduit pas impunément le mépris colonial à l'égard de l'indigène en privant les Algériens de leurs droits politiques (comme au temps du code de l'indigénat) ; on n'abreuve pas impunément des générations au discours de la vulgate de l'action directe, style "la glorieuse génération de novembre" ; on ne célèbre pas impunément l'ignorance et l'inculture et le mépris de l'intellect (Benbella, Boukharrouba, Bendjedid ! Boudiaf, 'Ali Kafi, Zéroual… se sont succédé au poste de Président de la république, donnant à croire au dernier des Algériens qu'il n'y avait pas besoin "d'être sorti de Saint-Cyr" pour accéder au Trône)… Lorsque l'on ne cultive pas la raison politique et l'observance de ses nécessaires médiations, on ne peut que renforcer les tendances impulsives et dogmatiques, ruineuses.


Cela étant, la réalité de la présence du loup est incontestable comme est évidente la vérité de son projet : pulvériser les états-nations (pour n'en laisser subsister que deux, les USA et l'état de la colonie juive de Palestine). Sauf que ce qui est à craindre le plus, ce n'est pas le loup -les peuples auront sa peau tôt ou tard-, mais l'incroyable aptitude des potentats arabes à mener leurs pays au suicide. Saddam Hussein, Gueddafi, Bachar El Assad… ont fait le malheur de leurs peuples. Quand on s'approprie un pays ainsi qu'une mazra'a (une hacienda comme dit le politologue palestinien 'Azmi Bichara), on ne se donne aucune chance de résister au loup. L'Algérie marche triomphalement sur cette voie. Et dans ces ces conditions, il ne faut pas être grand clerc pour voir venir la suite des événements : pas un pays arabe n'échappera à l'éclatement, pas même la tribu maudite des Al Sa'oud ni M6, le roi qui gère le Maroc comme sa propre cassette. L'empire judéo-anglo-saxon n'a pas d'amis ; il n'a qu'un intérêt. Celui de dominer le monde.

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