braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

vendredi 15 juillet 2016

AU FIL DE L'HISTOIRE




1) Aït-Ahmed, automne 1962

Attablé au café Davos, dans mon village de Rio-Salado, je lis le journal Alger républicain qui rend compte des débats à l'assemblée constituante. Cette dernière -comme s'il n'y avait rien de plus urgent à faire !-, était saisie d'un projet de loi visant à interdire le PCA. C'est Ahmed ben Mahjoub ben M'barek (alias Benbella) qui en était à l'initiative. Un seul député osa refuser cette interdiction -Aït-Ahmed- et prit la parole pour ce faire. Un homme, un seul, avait eu le simple courage d'exprimer une opinion en porte-à-faux avec le lâche unanimisme du troupeau bêlant. Ce qui n'empêchera pas, hélas, le PCA de rejoindre le troupeau bêlant du FLN en se sabordant (1964). Il faut imaginer la tête de Aït-Ahmed !

2) Aït-Ahmed, automne 1964

Attablé à la terrasse d'un café du square Bresson (à Alger), je lis sur Alger rep le compte-rendu de la capture de Aït-Ahmed dans son maquis de Kabylie. Lui aussi -que je prenais pour un politique civilisé- avait succombé à l'appel des sirènes de la violence primaire !

[Pour la petite histoire, j'étais venu à Alger pour me présenter à l'examen d'entrée à l'ENS. L'école devait ouvrir cette année-là ; en tant qu'enseignant titulaire (prof au CEG de mon village), j'avais été informé par l'académie que, à condition de réussir à l'examen, je serais considéré comme en détachement avec maintien de mon salaire. Une fois l'épreuve de français passée (un sujet de dissertation sur Balzac et le roman réaliste), je voulus aller visiter l'école. Là, surprise : au secrétariat de la fac centrale, on m'apprit que l'école n'était pas prête, que les futurs élèves seraient logés dans les cités universitaires. Je notai qu'il n'y avait même pas un embryon d'administration spécifique. Une ENS virtuelle, en somme. Soutien de famille, je ne pouvais me permettre de rester des mois sans salaire. Je renonçai donc à l'ENS fantomatique. Comme je renoncerai, pour les mêmes raisons, à quitter le pays pour Paris où mon cousin -employé à la BNCI, boulevard des Italiens- m'attendait avec promesse d'embauche ferme dans cette banque. C'est qu'en cette année 64, le triomphe de Benbella (que j'abhorrais), ajouté au régionalisme d'Aït-Ahmed et à l'autosabordage du PCA, m'avaient désespéré de l'avenir politique de l'Algérie. La situation de ma mère –sans ressources, la guerre nous ayant complètement ruinés- et celle de ma soeur, veuve d'un combattant de l'ALN de l'intérieur, avec 4 enfants à charge [aujourd'hui, un village nouveau, non loin de notre douar, El Messaada, porte le nom de mon beau-frère, Aïssaoui Bouziane] m'interdisaient de penser à moi-même.]

3) Aït-Ahmed, décembre 1991

Entre les deux tours des soi-disant élections législatives, une marche est organisée à Alger, à l'appel de différents partis et personnalités dits « démocratiques ». La manifestation, qui regroupa quelque 300 000 marcheurs, fut une indéniable réussite. On en attribua le mérite au seul Aït-Ahmed et à son mot d'ordre : « Ni Etat policier, ni république intégriste ». Si le mot d'ordre était clairement un sophisme (la république intégriste n'est-elle pas, elle aussi, un Etat policier?), on ne voulait y voir que le rejet de l'alternative FLN/FIS.
Au Champ de manœuvres, je croisai le coordinateur de ce qui restait du PAGS -i.e. presque rien. On se salua. Après s'être interrogé sur les intentions réelles de AA, il me dit, au mot près : « De toute façon, les patriotes vont les (i.e. les islamistes) faire sortir du bois ! ». Sous-entendu « tout ce cirque est inutile ».

Oran, 10 janvier 92 : je participe à une manifestation squelettique -deux ou trois dizaines de personnes au square Port-Saïd- pour mettre en garde contre ces élections dont nous étions quelques-uns -assez bien renseignés- pour nous douter qu'elles étaient piégées. Alors que je devisais avec un ami, un peu à l'écart, une berline allemande de luxe, vitres teintées, nous accosta. « Ne vous tracassez pas, les gars ! Demain ça sera fini ! Salut. » Et la voiture démarra. Celui qui nous avait apostrophés était un général de notre connaissance dont j'appris plus tard qu'il faisait partie du cercle des « décideurs ». Le lendemain, nous vîmes, au JT de 20H, un Bendjedid blême, défait, remettre sa lettre de démission à un Socrate (A. Benhabylès, président du soi-disant conseil constitutionnel) sceptique.

Aït-Ahmed réagit en s'alliant avec le FLN et le FIS ! Donc avec l’État policier et la république intégriste. Misère de la politique en Algérie !

4) L. Addi récidive

Dans un récent entretien accordé à El Khabar (qui ne l'a pas publié!), Addi a déclaré que « l'ALN a créé en 1962 l’État algérien » et que « l'ANP a empêché qu'il ne tombe entre les mains des capitalistes ». Addi devra expliquer ce paradoxe subtil : comment quelque chose qui n'existe pas (l'ALN en 62, laminée par les opérations Challe et dont les chefs avaient calté en Tunisie et refusaient de rentrer en Algérie -seuls Lotfi, Benchérif et Zbiri obtempérèrent à l'ordre du GPRA) peut créer quelque chose qui n'existe pas plus (il n'y a pas d’État algérien, seulement un pouvoir de fait, de type despotisme asiatique). Quant à la seconde assertion, il suffit de regarder ce qu'est devenue la hiérarchie de l'ANP (une caste compradore) pour comprendre pourquoi elle avait (et a) intérêt à empêcher l'émergence d'une classe de capitalistes nationaux.
La reptation devant l'uniforme reste le sport favori en Algérie. Est-ce un hasard que le pays soit si malade de sa violence ?

5) Les 19 ayants-droit

19 ayants-droit sur la mazraa (l'hacienda Algérie) ont interpellé publiquement le Dey pour savoir si c'était bien lui qui tenait la barre de la felouque Algérie ! Manoeuvre pathétique d'une SM en perte de vitesse pour essayer d'enfoncer un coin dans l'alliance (Dey+Odjaq) qui s'est nouée contre elle. Les porte-parole de ce groupe sont les inénarrables et vociférantes Louiza Hanoune et Khalida Toumi. La première se pose crûment et sans vergogne comme l'avocat de la SM, renvoi d'ascenseur obligé en faveur de la police politique qui lui a permis d'occuper le créneau ouvrier laissé vacant par le sabordage du PAGS. Quant à la seconde, Saïd Mekbel nous apprend, dans Mort à la lettre, qu'elle est la nièce du tortionnaire en chef de la SM, Abdallah Benhamza -celui qui a donné du gourdin de chien, hraouat el kleb, comme le lui recommandait Boukharrouba, en ces propres termes-, aux militants communistes, et que durant les années de plomb, elle résidait chez cet oncle. C'était plus facile dans ces conditions de jouer au boute-feu !
Ce que sont en vérité les prétendues pasionarias de l'Algérie militaro-policière.

[L'enquête minutieuse menée par le chercheur en histoire Boumédiène Lechlech nous apprend que A. Benhamza était, jusqu'au 19 mars 1962, secrétaire de la mairie de Oued-Berkèche (aujourd'hui Hsasna, près de 'Aïn-Témouchent), membre du conseil général d'Oran et l'une des figures locales de la 3° Force. Comment cet homme s'est-il retrouvé à la place qui fut la sienne dans le système Boukharrouba-Merbah -responsable du service Action de la SM? Tout simplement parce qu'il a été désigné (par qui?) membre de la commission locale de cessez-le-feu, comme nous l'apprend encore B.Lechlech. Voilà en tout cas qui jette une lumière révélatrice sur le prétendu nationalisme ombrageux de Boukharrouba.]

L'épisode lamentable des 19 me rappelle 2 anecdotes.

* Lors de je ne sais plus quelle assemblée du PAGS et durant une interruption de séance, j'entendis cette conversation qui se déroulait derrière mon dos. À quelqu'un qui lui demandait où il comptait passer ses vacances, A. Chergou, membre de la direction, répondit avec véhémence : « Tu es fou ! Et s'il arrivait quelque chose dans le pays et que je ne sois pas là ? » ( Mahboul ! Kanch' ma yasra haja fel bled ou ma nkounch' hna!).

Cette réaction, comme la lettre des 19, sont de même nature : elles témoignent d'une identification pathologique au pays, au sens où ces gens croient que l'Algérie leur appartient de droit et qu'ils sont comptables de son destin. Et tous, les dominants comme ceux qui croient s'opposer à ces derniers, procèdent d'une même tare : le patrimonialisme patriarcal tribal. Et tous protestent de leur républicanisme alors que la république est d'abord et avant tout la chose publique, le bien commun qui n'appartient justement à personne en propre.

** Lors de son voyage en Algérie, et visitant le musée d'Oran, Fidel Castro tombe en admiration devant les deux superbes pistolets de l'émir Abdelkader exposés dans une vitrine. Ce que voyant, son accompagnateur, le colonel Bendjedid chef de la région militaire d'Oran, saisit un tournevis, force la vitre et offre les pistolets à un Castro stupéfait. Le directeur du musée dut attendre que Bendjedid -promu chef d’État entretemps, c'est dire !- fût chassé du pouvoir pour exposer cette affaire si éclairante dans colonnes du journal El- Watan.

Les soudards incultes (pléonasme!) qui ont fait main-basse sur l'Algérie en 1962, révèlent par leurs pratiques l'essence exacte de leur nationalisme aboyeur : s'approprier littéralement le pays comme on le ferait d'une mazraa. Et, bien sûr, sans considération d'aucune sorte pour les indigènes qui y vivent. La preuve en est qu'ils empêchent encore les Algériens d'accéder au jeu politique civilisé -ce qui était l'objectif fondamental du Code de l'indigénat-, ne leur laissant d'autre voie que la violence -ce qui permet de justifier l'usage de la violence militaro-policière contre eux !




1 commentaire:

  1. merci bcp pour cette annalyse aussi cinglante que précise. Nous savons tout cela sans les détails ni la mise en phase. Et il faut te remercier. Il faut penser au futur aux nouvelels générations. Comment traduire en leçons ces errements destructeurs dont la cause tient bien sûr à l'état social et moral d'un peuple dont la colonisation ne fut pas quelconque et dont le régime apparaît comme un production alchimique aussi singulière que représentative de l'ordre du monde tel que figuré par les situations de la région Pakistan /Afghanistan, du Moyen orient dominé par les cheikhs richissimes dégoulinat de bijoux et patisseries londoniennes, de l'Egypte et de la Libye , du Soudan, de l'Afrique piquée de Boko Haram, etc. etc.

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