braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

samedi 23 mai 2015

LETTRE A UN AMI ET CAMARADE

Un ami m'avait envoyé un écrit dans lequel il développait ses réflexions sur la crise algérienne et m'avait demandé ce que j'en pensais. Voici ce que je lui avais répondu :


Très cher ...

Merci pour ton message et pour ton exposé. 


Je suis d'accord avec toi sur l'analyse -excellente- que tu fais du populisme, cette maladie infantile de l'Algérie (que je choisis d'appeler le plébéio-nationalisme, puérile glorification du petit peuple, de la plèbe, à quoi on a réduit le nationalisme véritable, c'est-à-dire la volonté de construire une nation moderne et pérenne). J'ai été souvent porté à me demander si cette aberration ne ressortissait pas de l'influence dominante de la capitale où le poids des couches déracinées, déclassées et marginalisées a toujours été très important. Deux épisodes à plus de 50 ans de distance paraissent le montrer : la soi-disant bataille d'Alger (où tout sens politique semble avoir été submergé par la volonté de rendre coup pour coup, dans une sorte de western où les houmistes à la Omar-Gatlatou-er-redjla ont entraîné le PCA, les libéraux algériens et européens ainsi que toute l'organisation FLN dans leur fuite en avant) et l'ascension fulgurante du FIS algérois avec ses dirigeants ignares et incroyablement jusqu'au-boutistes.

S'agissant de la construction de la nation, ne penses-tu pas que nous sommes encore prisonniers de la vision typiquement française qui veut que la nation s'édifie à partir d'un centre politique ? Ce que l'on nomme par raccourci le jacobinisme centralisateur ? (Mais la Convention n'a fait que poursuivre le travail accompli au moins depuis Louis XI, c'est-à-dire la soumission progressive de la périphérie plurielle à un centre unique et normatif). Cette vision a bien fait les affaires de notre pouvoir d'état qui a jusqu'à présent dissimulé sa véritable nature de despotisme oriental sous des apparences d'État jacobin. Le concept d'État moderne est synonyme de redistribution des pouvoirs au sein de la société. Or, de ce côté, il n'y a rien à attendre de la caste militaro-compradore qui règne en maître sur notre pays ; d'autant moins à en attendre que le pouvoir d'État est le lieu de la réalisation de la rente avec la formidable corruption qu'elle génère. Il faut, dès lors, avoir l'audace de penser l'édification de la nation à partir de la base ; ce qui suppose de travailler à l'affaiblissement du pouvoir despotique.

De la même manière, je pense que nous avons le devoir de produire une évaluation plus objective de la colonisation française. Le mouvement national moderne, à partir de l'émir Khaled, a été le fait des avant-gardes formées par l'école française ; ce qui veut dire qu'en même pas un siècle, les Algériens ont commencé à accéder à une conscience politique moderne, alors que ce processus a pris des centaines d'années à d'autres peuples. Comme nous devrions produire une évaluation tout aussi objective des 3 siècles de domination ottomane à laquelle on fait très rarement référence, comme si les diktats de Mouloud Kassim -qualifiant cette domination de « nationale »- avaient toujours cours. Et pourtant, il y aurait à dire sur cette séquence historique et ses graves séquelles : confiscation du pouvoir par une junte (les Janissaires), économie de prédation (piraterie et pression fiscale), exacerbation des rivalités tribales (tribus ra'iya contre tribus makhzen), etc..


Je ne suis pas d'avis de considérer l'ANP comme une institution étatique (d'ailleurs, il n'y a pas d'institutions au plein sens du mot, chez nous). L'ANP est encore et toujours un appareil répressif obéissant à une logique, même pas étatiste, mais clanique et régionaliste. L'ANP est toujours à l'est comme la SM est toujours à l'ouest et à la Kabylie : l'héritage des équilibres de Boukharrouba court toujours. L'épisode tragique du FIS a illustré avec éclat cette vérité : le FIS a bien passé un accord avec l'ANP, via Bendjedid (cf les révélations de Taleb Ahmed); mais la SM, de concert avec les officiers du cadre français tractés par Larbi Belkheir, a promptement saboté cet accord et mené la répression dans les deux sens.

Pour réprimer les islamistes, la SM et l'ANP ont utilisé les mêmes méthodes que celles de l'armée française durant la guerre d'indépendance. Combattre la barbarie par les moyens de la barbarie est une aberration que la simple conscience morale ne peut admettre. En outre, du point de vue politique et idéologique, c'est un désastre : l'hypothèque de l'islamisme n'est pas levée pour autant et les blessures terribles de cette guerre ne sont pas près de se refermer. Les islamistes sont partis à l'assaut du pouvoir ; le pouvoir -la SM- a réussi à détourner la violence qui le visait, sur la société, la divisant ainsi davantage. À mon avis, toutes ces choses maléfiques nous reviendront en pleine face dans les années qui viennent.

Voilà, cher ..., quelques considérations que m'inspire ton texte trop riche pour être ramené à ces quelques points ; mais je voulais te répondre sur quelques questions que je trouve essentielles.

Porte-toi bien, cher ami et à bientôt.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire