braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

mercredi 12 juin 2013

CARNETS SANS DATE



Le Glaive de l'Islam déchu



GUERRE DE L'OMBRE AUTOUR D'UNE SUCCESSION... QUI N'A PAS EU LIEU

Il y a quelques mois, on apprenait que les autorités civiles et militaires de Tlemcen avaient fait le pied de grue pendant des heures : « Le Glaive de l'islam » soi-même -Seif-El-Islam Gueddafi- devait venir inaugurer son hôtel, un Marriot -excusez du peu- à Lalla Setti ! et, accessoirement, passer la bague au doigt à sa promise. La presse algérienne ne révélait rien de l’élue du Glaive mais quand on sait que les Moukhabarates d’Égypte et d’Algérie se livraient à une course-poursuite pour imposer leur poulain respectif (Le Glaive pour l’Algérie, Le Résistant-Mouatassim Gueddafi, pour l’Egypte) comme successeur au trône de Caligula-Maamar, on comprend que la bonne ville de Tlemcen devait servir une stratégie matrimoniale bien précise. En somme, un atout maître qui devait disqualifier le chef des Moukhabarate égyptiennes, Omar Suleiman (dit « Dracula ») et sa marionnette, le Résistant-Mouatassim.

Voilà le genre de calculs et de compétitions auxquels s’adonnent les James Bond arabes. L’ex-n°2 lybien, compagnon de Maamar Gueddafi et stratège du coup d'état du 1er septembre 1969, le commandant Abdesselam Djalloud, s'était répandu, à l'époque, sur les chaînes satellitaires arabes à propos du Glaive-Seif-El-Islam, justement. Lui qui connaissait intimement la famille du guide-Caligula avait été prié de dire ce qu'il savait du Glaive. Il ne s'est pas fait prier : « Servile, lâche, plus menteur que son père (authentique exploit), escroc (voir l’affaire de ses diplômes), fasciste ! », a éructé avec dégoût le commandant Djalloud. Et c'est ce personnage que les services secrets algériens voulaient installer à la tête de la Lybie. Les frères Lybiens apprécieront.

Aujourd'hui, Caligula a été dépecé par les insurgés, le Glaive est entre les mains de ceux de Zenten -qui ne sont pas près de le livrer à un pouvoir provisoire en lequel ils n'ont aucune confiance-, Dracula a passé l'arme à gauche chez Big Brother -à moins que les yankees ne lui aient fait traverser « l'avare Achéron [qui] ne lâche point sa proie » pour la raison qu'il en savait trop- et Moubarak, le valet de l'État talmudique, est derrière les barreaux, dans une cage en fer ainsi qu'un animal. À Alger, où l'on a soutenu mordicus le régime de Caligula contre l'insurrection populaire, on ne sache pas qu'une autocritique soit à l'ordre du jour. (Autocritique, dites-vous ? Que le lecteur se rassure : c'était une simple plaisanterie.)

LE CULTE DE LA BALANCE

De nombreux chroniqueurs, politologues et journalistes se demandent encore comment il se fait que l'Algérie soit restée en marge des mouvements insurrectionnels arabes de 2011. Les Algériens, fierté nationale -et mal placée- oblige, répondent : « Nous avons déjà fait notre révolution en octobre 88, bien avant les frères arabes », comme le dit le commandant Moulessehoul (alias Yasmina Khadra) dans une interview à « Berbère TV ». (Soit dit en passant, nous on croyait naïvement que la place naturelle -et obligée- d'un commandant de l'armée était aux côtés de ceux qui ont abattu des centaines de jeunes manifestants, les officiers et soldats dirigés par le général Nezzar. Nous avons là un autre exemple de ce sport lamentable des Algériens qui est la pratique de l'irresponsabilité : ce n'est pas moi, c'est houma, les autres).

Pourtant, la réponse à la question posée est limpide si l'on veut bien regarder du côté de ce que l'on feint de ne pas voir, l'inextricable maillage policier dans lequel la société algérienne est tout entière prise. Tous les lieux de vie et de travail, toutes les organisations de la société civile sont infestés de mouchards. Qu'ils relèvent de la SM, de la police ou de la gendarmerie, les indicateurs sont en nombre effrayant. Même des organisations politiques rompues aux règles du cloisonnement et de la clandestinité, ont été infiltrées par les mouchards. Le cas du PAGS est, à cet égard, exemplaire : après sa destruction menée de l'intérieur par des agents de la SM et de la DGSN, infiltrés dans le saint des saints du parti, les militants de base découvraient que nombre de leurs camarades étaient en réalité des indicateurs, dont beaucoup, d'ailleurs, n'hésitaient même plus à afficher publiquement leurs relations policières. Dont certaines de très haut niveau.

Les Algériens, en nombre hélas considérable, ont profondément intériorisé cette logique perverse qui fait d'un indicateur un patriote et le déculpabilise. Tout le monde a bien conscience de cette situation mais personne ne l'aborde jamais. Pourquoi ? Cela tient au poids du mythe attaché aux soi-disant libérateurs du pays et au culte de la force et de la ruse chez nous. Il faut dire également que l'intelligentsia a été tellement pénétrée et circonvenue par la police politique qu'elle a été totalement défaillante de ce point de vue. 

À défaut de nous regarder en face, souvenons-nous que, de notre temps, les instituteurs nous avaient appris à ne jamais « rapporter » (ce qui voulait dire dénoncer un camarade). Un rapporteur était l'objet d'opprobre et même de quarantaine. La sagesse populaire de chez nous n'était pas en reste qui stigmatisait le « chekkam », le « reffad » -termes infamants que la bienséance interdit de traduire-, le « bayaa » (le vendu), pour désigner celui qui balance ses connaissances, ses amis et proches, et même ses parents. C'était cela la saine appréciation des choses, du reste universellement partagée.

DES PROGRAMMES RÉVOLUTIONNAIRES POUR QUOI ?

Depuis le mois de janvier 2011, les peuples arabes ont entrepris une critique radicale des systèmes politiques en place chez eux. Leur courage inouï suscite l'admiration du monde entier, leur exemple inspire des mouvements de masse en Europe et même -quel pied de nez!- « dans la seule démocratie du Moyen-Orient », entendre par là le système spoliateur, tribal et talmudique qui s'est mis en place dans la Palestine occupée. Il est évident que nous n'avons pas encore pris la mesure de cet immense événement. Pourtant, il suffirait de revenir au mots d'ordre des foules de manifestants : « le peuple veut la chute du système ». Pourquoi ce mot d'ordre connaît-il cette fortune à travers tout le monde arabe, en dépit des différences de situations ? Parce que les systèmes de domination arabes sont de même essence : la patrimonialisation, en vertu de quoi le pouvoir, le pays et le peuple sont propriété privée d'une FAMILLE, le terme étant compris comme désignant un groupe uni par des liens de sang ou d'intérêts ; pour le dire autrement, dans un sens anthropologique ou sicilien.

[Le cas de l'Algérie est, à cet égard, exemplaire puisque les dominateurs ont inventé la notion de « FAMILLE REVOLUTIONNAIRE » par quoi ils désignent benoîtement l'ensemble de ceux qui sont admis au buffet froid de la prédation. ]

Gageons que les peuples arabes -qu'ils en aient conscience ou non, qu'ils le veuillent ou non- sont en train de faire la critique pratique (pas théorique) de leur propre système anthropologique dominant : le patriarcat. Les nouvelles générations, alphabétisées, cultivées, au fait des technologies de la communication, se retrouvent en décalage abyssal avec les dictateurs incultes et kleptocrates qui se sont arrogé un droit de vie et de mort sur eux. Ces jeunes sont en train de « tuer le père », que ce dernier prenne l'apparence du bouffon sanguinaire qui les gouverne ou du « prêtre » qui prétend les guider. En un mot : finie la dictature et fini l'islamisme politique. (Les plus perspicaces parmi les leaders islamistes l'ont bien compris ; « Nous ne voulons pas un état islamique, nous voulons un état de droit moderne qui garantisse les droits et les libertés de chacun » ne cesse de répéter Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste tunisien d'En-Nahda.)

Face à ce mouvement de fond (prévu de longue date par des chercheurs comme Olivier Roy et Emmanuel Todd), on peut toujours continuer à proposer, sur le modèle paléo-FLN (Soummam 1956, Tripoli 1962, Alger 1964 et 1976) une... charte ! Karl Marx disait que « Tout pas fait en avant, toute progression réelle importe plus qu'une douzaine de programmes. » (in Critique du programme de Gotha).


DES OPPOSANTS « DÉMOCRATES » EN APPELLENT À L'ARMÉE                   

Prenant prétexte des violences -et particulièrement d'un attentat contre l'académie militaire de Cherchell-, un « démocrate » en appelle à l'armée algérienne. L'appel part de prémisses probablement justes -énième épisode de la guerre qui oppose les clans de pouvoir entre eux- pour en conclure que l’armée algérienne doit intervenir afin de faire cesser ces violences. Mais attention ! Le texte ajoute qu'elle doit le faire « tout en respectant les droits de l’homme ». Sans blague ?
 Dans ce texte, il n'y a pas moins de trois inepties :

 * Se dire démocrate et en appeler à l'armée pour qu'elle règle un problème politique, il n'y a qu'en Algérie que l'on est capable d'une telle audace intellectuelle. Et quand cela vient de la part d'un site qui fustige (à juste titre) les intellectuels des années 90 qui appelaient les chars à la rescousse face à la menace islamiste, il y a de quoi perdre son latin. Mais, en Algérie, on se moque bien d'Aristote (Cest qui lui ? C'est pas un musulman ! Alors...) et de son principe de non-contradiction ! 

** Lui demander de le faire « en respectant les droits de l'homme », revient à demander au crabe de marcher droit : ça ne mange pas de pain et c'est une hypocrisie.

 *** Parler de lutte de clans en oubliant que l'armée est partie prenante de cette lutte de clans, est encore un sophisme hypocrite. L'armée est elle-même organisée comme le clan d’essence régionaliste (Est) qu’elle a toujours été. Tout comme sa soeur-ennemie, la Sécurité militaire, est un clan d’essence régionaliste (Ouest-Kabylie).

 Finira-t-on par admettre que ces deux structures, forgées à l’étranger, derrière des frontières protectrices, par des hommes de clan -et non d’État- sont LE mal du pays ? la maladie qui le mine ? Les Algériens ont intériorisé ce mensonge historique que l’ANP est « la glorieuse héritière de l’ALN». L’ANP est l’héritière de l’armée des frontières augmentée des éléments de la Force locale et de supplétifs de l’armée coloniale ; c’était une force de frappe pour la conquête du pouvoir, rien d’autre qu’une troupe prétorienne. Ce qu’elle est restée dans son essence. Si elle était la digne descendante des Ali Khodja, Bouguerra, Benboulaïd, Lotfi… aurait-elle tiré sur des jeunes gens désarmés et manipulés par la police en octobre 88 ? Aurait-elle produit des officiers supérieurs baignant dans les rétro-commissions et le trafic de cocaïne ?   
   
Pour le dire autrement, la question de fond que soulève cet appel peut être formulée ainsi : sur quoi doit compter un peuple pour s’émanciper ? Dans la situation où se trouve notre pays, sur qui, sur quoi doit-il compter pour se libérer d’un système complexe fondé sur l’usage débridé de la violence, la récupération idéologique tout azimuth et la corruption ? La réponse est aussi immédiate que catégorique : le peuple ne doit compter que sur lui-même, que sur ses propres ressources qui sont -heureusement- infinies.

Que par souci tactique, il soit utile d’opérer des différenciations dans le système de pouvoir, on peut le comprendre. Mais si des forces saines existent dans l’armée et la SM, qu’elles commencent par nettoyer leurs propres institutions ! Charité bien ordonnée commence par soi-même et qui peut le plus, peut le moins ! En vérité, le système militaire est en soi hiérarchisé et verrouillé à un point tel qu’il n’autorise d’autre forme de contestation que le coup d’État. Alors, veut-on un nouveau pronunciamiento militaire après ceux de 1957, 1962, 65, 92 ? Ce serait s’enfoncer dans la même ornière qui nous a menés là où nous en sommes. Bertolt Brecht disait : « Malheur au pays qui a besoin de héros ». Il faut entendre par là qu’un peuple qui attend son salut d’un sauveur providentiel est un peuple serf. Le peuple n’a pas besoin d’autre chose que de prendre conscience que son sort est entre ses seules mains et qu'il n'y a pas de Sauveur suprême.

Le rôle des politiques nouveaux, c’est de l’aider à en finir avec les mythes qui lui voilent encore la vérité. Politiques « nouveaux » parce que les anciens sont prisonniers de ces mythes justement -car eux-mêmes produits du système- et qu’ils ne peuvent qu’obscurcir l’horizon du peuple. Parmi ces mythes, la glorification de l’armée et des services de sécurité me paraît le plus pervers : un peuple parvenu à la maturité politique n’a que faire de ces contes pour enfants. C’est le peuple, et lui seul, qui a payé le prix (très) fort pour accéder à une liberté et une dignité qui lui sont encore déniées par ceux qui se sont posés en libérateurs. Libérateurs ? Combien de cartouches Boukharrouba a-t-il tirées sur l’ennemi colonialiste ? Et Boussouf (qui employait l’expression cynique « Eddouh lel Qahira », langage codé pour signifier à ses tueurs d’éliminer un adversaire) ? Et Bouteflika ? Et d’autres, tous les autres, à l’exception de ceux qui sont restés unis à leur peuple, qui sont restés insensibles aux espèces sonnantes et trébuchantes que le pouvoir des usurpateurs faisait tinter à leurs oreilles; on conviendra que ceux-là se comptent sur les doigts de la main. La délégitimation d’un pouvoir -propédeutique obligée à sa chute- commence par là : par la critique radicale des mythes sur lesquels il se fonde.

À l’agenda des Algériens aujourd’hui, il y a une tâche centrale qui est la refonte générale de la vie politique : élection d’une constituante; rédaction d’une Loi fondamentale moderne consacrant la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, l’habeas corpus, et la mise hors-la-loi de la torture ; recomposition de l’armée et de la Sécurité militaire selon des principes simples et intangibles : la nation commande à l’armée et aux services de sécurité qui sont faits pour protéger le pays, pas un pouvoir ; comme toutes les institutions, elles sont dirigées par des civils (des politiques) et rendent compte régulièrement et sous des formes appropriées aux représentants élus de la nation.


Se hisser à la hauteur de cette tâche historique exige des Algériens, encore une fois, qu'ils se libèrent des mythes qui les paralysent, au premier rang desquels l'attitude servile face à l'armée et aux institutions policières. 



Aller dans le sens de l’histoire, c’est saisir le moindre événement pour faire avancer ces tâches dans les formes les plus vivantes, c’est-à-dire liées aux aspirations, même les plus banales, des gens.

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