braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

dimanche 2 juin 2013

LA DESTRUCTION DES ARABES




C'est l'intitulé du prêche du cheikh Imran Hosein, prononcé en octobre 2011 à Kuala Lumpur, Malaisie (cf plus bas). Imran Hosein est un savant religieux musulman d'origine indienne et d'obédience sunnite hanafite. Il est né à Trinidad-et-Tobago -État dont il sera un haut fonctionnaire des Affaires étrangères. Imran Hosein a énormément voyagé et occupé divers postes à l'ONU et dans différents pays. C'est dire qu'il ne ressemble en rien à ces prêcheurs saoudiens ou égyptiens -ces derniers généralement et mystérieusement aveugles- qui n'ont jamais mis le nez en dehors de leur pays et qui lisent le monde à travers des catégories vides.

[Une parenthèse ici pour rappeler que l'ex-Urss était dirigée par des apparatchikis qui n'étaient jamais sortis de chez eux (et pour cause : quand il fallait un passeport pour se déplacer à l'intérieur de son propre pays, que ne fallait-il pas pour en sortir ! ). Ce n'est pas un hasard que les acteurs du changement -Gorbatchev et consorts- furent tous issus de l'institut Amérique-Canada, organisme ouvert sur le monde réel et non le monde vu à travers les catégories idéologiques de Mikhaïl Souslov, l'inamovible idéologue du Kremlin. C'est Youri Andropov, chef du KGB à l'époque, qui couva tout ce petit monde de futurs réformateurs. Lui-même fut un protégé du secrétaire général du Komintern, Otto Kuusinen, qui était finlandais ! La morale de cette affaire ? La compréhension de son propre monde exige d'en sortir, d'être capable de prendre, à tout le moins, quelque distance avec lui.]

Revenons à Imran Hosein et à son prêche. Au terme d'un rappel de l'épisode d'Abraham s'apprêtant à sacrifier son fils Ismaël, par obéissance à l'ordre divin, le cheikh se lance dans une réflexion hardie sur l'eschatologie -la fin des temps- islamique. (Le lieu de rappeler que la fin des temps selon l'islam verra revenir le vrai messie, Jésus Christ, qui sauvera le monde de l'emprise du Dejjâl, le faux messie). Selon le prêcheur, lorsque Dieu a arrêté le bras d'Abraham, il lui a dit, en substance, qu'il n'exigeait pas qu'il égorge son fils sur l'heure mais lui a demandé s'il était disposé à le faire quand le temps serait venu. C'est ce sacrifice différé qui sonnera la fin des Arabes quand il aura lieu. Selon Imran, en effet, le sacrifice d'Ismaël, l'ancêtre des Arabes, doit être compris en son sens symbolique : la fin des Arabes. Et cette fin, notre prêcheur croit en voir se dessiner les prémisses : la fin des temps ne verra-t-elle pas l'entrée en scène de l'Antéchrist, ce faux messie qui usurpe la place du vrai ? Ne verra-t-elle pas également la venue et le triomphe de Gog et Magog -les forces du mal ? Et que sont les USA et l'État sioniste qui, sous nos yeux, sont en train de détruire les Arabes ? Assurément, la fin des Arabes est proche. D'autant plus qu'ils participent de gaîté de cœur à leur propre perte. Ne les a-t-on pas vus collaborer avec les USA et l'État sioniste en Palestine ? Avec l'Otan en Lybie ? Rendus sourds et aveugles par le Dejjâl -l'Antéchrist- de la propagande anglo-saxonne et sioniste, ils courent à leur mort programmée.

On pourrait objecter au docte prêcheur que Gog et Magog ne s'en prennent pas uniquement aux Arabes. Que ce serait beaucoup plus largement aux musulmans qu'ils en voudraient : à preuve les carnages commis quotidiennement en Afghanistan et le feu nucléaire qui se prépare contre l'Iran. On pourrait lui faire remarquer que, à l'inverse, Gog-yankee a protégé et favorisé la création de deux états islamiques en Europe : la Bosnie et le Kosovo. Notre cheikh -qui a également tâté de la géostratégie et de la géopolitique- répondra certainement qu'il s'agissait dans les deux cas d'affaiblir le monde chinois et le monde slave qui n'ont pas vocation à se plier au diktat anglo-saxo-sioniste visant à l'établissement d'une hégémonie planétaire à travers un gouvernement mondial à sa dévotion. Certes.

Mais alors, pourquoi ne pas envisager -et regarder- les choses sous ce prisme ? Celui d'une lutte entre une volonté impériale de domination tous azimuths et une volonté d'indépendance et de liberté des peuples du monde ? Pourquoi choisir une grille de lecture raciale ? La réponse est simple : quels que soient par ailleurs les sentiments intimes de Imran Hosein à l'égard des Arabes, sa faute est de foncer, tête baissée, dans le plus mortel des pièges tendu aux Arabes et aux musulmans, le piège concocté par les officines qu'il dénonce dans son langage comme étant le Gog et Magog de la Bible et du Coran : les think-tanks américano-sionistes qui ont fourbi cette arme létale dite de la guerre des civilisations. Imran Hosein a beau être un érudit au fait de tous les grands enjeux mondiaux, il n'en est pas moins en manque d'un logiciel de pensée autre que celui qu'il emploie et qui n'est que le symétrique exact de celui de Gog et Magog qu'il dénonce. C'est ainsi que les extrêmes se rejoignent et que le pire ennemi de votre ennemi n'est pas forcément votre ami, contrairement à ce que l'on croit spontanément. Deux exemples parmi cent pour illustrer ce propos :

1) Le Soudan vient d'être amputé du tiers de son territoire, la portion sud, la plus riche, celle où il y a de l'eau et du pétrole. Pendant plus de trente ans, une guérilla dirigée par un officier progressiste -John Garang- a vainement demandé à l'État central de faire droit aux revendications des populations du sud, chrétiennes et animistes, et de renoncer à sa volonté de faire de la chari'a la base du droit soudanais. John Garang, ce faisant, n'a jamais cédé aux sirènes de la sécession du sud. Ses « frères » sécessionnistes finiront par l'assassiner et s'aboucher avec les USA et l'État sioniste. Lequel sera le premier à ouvrir une ambassade à Juba où il est à demeure maintenant, établi sur les arrières de l'Égypte et bien décidé à pomper l'eau du Nil pour arroser le Néguev. Qui a mené ce pays à ce désastre ? Nul autre que les gouvernants qui se sont succédé depuis le coup d'état de Numeyri -aidé par le parjure Kheddafi qui lui a livré les officiers progressistes auxquels il avait offert l'asile ! Le sanguinaire Numeyri les fera exécuter le soir même de leur livraison par la Lybie. Pour faire bonne mesure, il fera exécuter également le SG du PC le plus puissant d'Afrique, Abdelkhaleq Mahjoub, et celui des syndicats soudanais. Il livrera ensuite le pays aux islamistes de Hassan Tourabi -sourds, aveugles, obtus- qui le mèneront là où il en maintenant, un moignon de pays privé de l'essentiel de ses richesses hydrauliques et géologiques. Ils pourront toujours se consoler en appliquant, enfin, la chari'a. Sans la traîtrise de Kheddafi, les progressistes prenaient de vitesse Numeyri et s'emparaient du pouvoir ; l'entente avec John Garang aurait été naturelle et le Soudan aurait pu, sinon devenir le grand pays dont l'ONU disait qu'il pouvait à soi seul nourrir toute l'Afrique, du moins aurait évité la partition. Au lieu de quoi, il y a fort à craindre que le dépeçage du pays ne fait que commencer, foi de George Clooney-Nespresso !

2) En 2008, parut un livre qui provoqua une grande controverse : « Aristote au Mont Saint-Michel ». Son auteur, Sylvain Gougenheim, prétendait démontrer à travers son ouvrage que les Arabes n'ont jamais été le lien entre la culture grecque et l'Occident mais que tout s'était passé à l'abbaye du Mont Saint-Michel où des moines chrétiens ont recueilli et traduit l'héritage grec. Le culot d'une telle assertion menée tambour battant avec force arguments de raccroc, grossièrement bricolés quand ils n'étaient pas inventés, fourmillant d'erreurs et d'approximations, levait le voile sur ses véritables intentions quand il déclarait à plusieurs reprises que leur conception du monde et du temps, inspirée du Coran, rendait les Arabes incapables de comprendre les Grecs.(Le triste propagandiste oublie opportunément qu'il y a des Arabes juifs, des Arabes chrétiens et qu'El-Kindi, El-Farabi, Avicenne ou Ibn-Rochd ont produit une compréhension originale parce que syncrétique de la philosophie grecque). La presse (particulièrement le journal Le Monde) et les sites islamophobes et racistes lui firent une telle publicité que les vrais spécialistes de la question réagirent. Une équipe de chercheurs en majorité européens, sous la direction du français Alain de Libéra, régla promptement son compte à ce libelle raciste qui procédait tout entier d'une vision venue droit de la thèse de la guerre des civilisations. Constatons que ce ne sont pas les penseurs arabes ni musulmans -même s'il y en eut- qui furent en première ligne pour la défense de la vérité historique mais bien des Français, des Allemands, des Anglo-saxons. Voilà qui est roboratif.

Ce n'est donc pas un complot américano-sioniste -même si Gog et Magog en ont tiré profit- qui a mené au désastre soudanais mais bien la débilité et l'inculture politiques de ses dirigeants islamistes.

Ce ne sont pas les penseurs arabes et musulmans qui ont fait face à une attaque sauvage, tout droit venue des thinks tanks américano-sionistes et relayée par leurs laquais français, contre la pensée universelle, mais des penseurs européens.

La morale de l'histoire est qu'il faut se méfier comme de la peste de la notion piégée de civilisation et ne pas craindre de soumettre l'un de ses plus prestigieux théoriciens -Fernand Braudel- à la critique : il n'y a pas de blocs humains constitués une fois pour toutes et séparés des autres blocs. Il n'y a que des mouvements, des échanges, des transformations par lesquels les hommes tissent leur histoire.

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