braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

samedi 1 juin 2013

UN HOMME NOMME GILAD ATZMON



Gilad Atzmon est assurément un homme au courage rare. Osons dire qu'il est à l'égal -mais à sa manière propre- du Marx de la « Question juive » et du Spinoza du « Traité théologico-politique ». Ce qui veut dire que ce musicien de jazz et écrivain mène, à l'instar des deux grands penseurs, une critique radicale -celle qui entend remonter aux racines des choses, aux conditions de possibilité même des phénomènes- de l'idéologie et de la politique juives.

Gilad Atzmon est né en « Israël ». (Les guillemets sont de mise parce que cet État, né de la spoliation violente d'une terre, ne sait pas lui-même comment se définir : ni république, ni démocratie, ni théocratie, ni frontières reconnues ; il veut devenir l'État « juif » ou « hébreu »; il veut s'étendre du Nil à l'Euphrate, dans cet espace où nomadisaient des tribus sémitiques -c'est-à-dire parlant une des langues sémitiques : arabe, araméen, amharique, hébreu...-, prétendant que là est la terre d'Israël, confondant ainsi opportunément une peuplade et une terre.)

Nourri aux mythes sionistes fondateurs, Gilad Atzmon a reçu deux chocs : le premier lorsqu'il a découvert un musicien de jazz noir nommé Charlie Parker. On peut donc n'être pas juif mais noir, et être un sublime saxophoniste ? Le second, lors de la guerre d'agression (ce qui est un pléonasme car toutes les guerres « d'Israël » sont des guerres d'agression) contre le Liban -1982- quand il vit des Palestiniens parqués dans des camps de concentration, en plein soleil. Il s'est dit : "Ce sont les Juifs et nous sommes les nazis". G. Atzmon quittera peu après le pays qui l'a vu naître. Il s'établira au Royaume-Uni, deviendra un saxophoniste célèbre et s'engagera aux côtés de la Résistance palestinienne.

Depuis quelques jours, Gilad Atzmon est violemment pris à partie par une cohorte de Palestiniens américains : une pétition signée par une vingtaine de professeurs, enseignant au USA, et de militants, intitulée « Pas de quartier », lui reproche son « racisme » et son « antisémitisme ». Diable ! Cet appel vengeur vient à point nommé : G. Atzmon entreprend, en effet, une tournée musicale aux USA. Il en profitera pour faire la promotion de son dernier livre, « The wandering who », traduit en français sous le titre « La parabole d'Esther – Anatomie du peuple élu ». Qu'a donc dit, écrit ou fait notre jazzman pour mériter cet appel au pogrom, symbolique certes mais pogrom quand même ? Essayons de résumer la pensée de G. Atzmon dans quelques propositions aussi claires que possible.

1) Le découplage entre les notions de sionisme (expression pratique du nationalisme juif) et de judéité (l'identité juive) est une illusion. La judéité est le socle robuste sur lequel s'est construit le sionisme ; s'il n'y a pas de sionisme sans judéité, la réciproque n'est pas, formellement, vraie : on peut, en effet, être juif et antisioniste. Illustration de la chose : les dizaines d'organisations antisionistes -remarquons qu'elles s'intitulent quand même « juives »-, sans parler de ces authentiques personnalités laïques et antisionistes -mais qui soutiennent malgré tout « Israël » et se démènent comme de beaux diables pour empêcher le boycott de cet État. Cette prégnance de la judéité -donc même chez ceux qui se proclament "antisionistes"- est très largement visible dans le champ social européen et étatsunien : des myriades d'organisations à caractère syndical, juridique, d'entraide ou autres arborent l'épithète « juif ». Pourquoi cette volonté farouche de se distinguer ?

2) Le désir de séparation d'avec autrui est indubitablement à rapporter au dogme ravageur du « Peuple Élu ». C'est bien le sentiment, profondément enfoui sous des strates d'histoire, d'appartenance à un peuple d'élite qui structure la judéité et qui pousse à s'en réclamer sans cesse, tant il est vrai que c'est là un processus psychique valorisant pour le moi. Ce sentiment de supériorité est entièrement passé dans la pratique politique et l'idéologie juives telles que l'on peut les voir à l'oeuvre en « Israël » et à travers les organisations juives aux USA et en Europe : indifférence à la souffrance que l'on inflige aux autres et volonté de domination.

3) La volonté de séparation n'est pas seulement visible dans les murs que l'on dresse ; elle est aussi et d'abord repérable dans la pratique talmudique du « Herem » qui est l'anathémisation, l'excommunication, dont le sens est la séparation du groupe d'avec celui qui a osé mettre en doute ses dogmes. Ainsi Spinoza a-t-il été frappé de Herem par le Mahamad  (conseil) juif. La pratique a pris aujourd'hui une ampleur inouïe avec l'accusation récurrente d'antisémitisme qui frappe indistinctement juifs et non-juifs. (Notons au passage que la notion de « sémite » désigne, au sens scientifique, un groupe de langues et non des groupements humains : c'est dire combien elle a subi de bricolages pour être amenée à désigner la haine des Juifs seuls.)

4) Les conclusions que l'on peut tirer, avec G.A., de ces prémisses sont les suivantes :
- « Israël » n'est pas une colonie de peuplement : il n'est pas rattaché à une métropole originelle qui y aurait envoyé une partie de ses nationaux y vivre, puisque tout Juif où qu'il se trouve y a droit de cité.
- « Israël » n'est pas un État d'apartheid : l'apartheid cantonne les populations indigènes ; « Israël » cherche à s'en débarrasser définitivement et totalement.
- « Israël » est une étape franchie par l'idéologie et la politique juives dans leur marche vers la domination.

Où est-il question ici de racisme ou de haine des Juifs, comme le prétendent les Américains Palestiniens ? (Écrit dans cet ordre est plus pertinent). On peut comprendre que, pris de panique face à une pensée sans concession, ils se soient dépêchés de s'aligner sur leurs amis juifs antisionistes (que G.A. appelle « les sionistes antisionistes »). On imagine aisément que ces messieurs les professeurs, bien installés dans l'Empire, aient voulu montrer patte blanche, dire aux USA : « Vous voyez, nous sommes comme vous ; nous avons bien intériorisé la leçon ». Pitoyable. Alors qu'ils ont sous les yeux la réalité de ce que dénonce G.A. : la capacité de nuisance incommensurable de certaines organisations juives telles l'AIPAC ou l'Anti Defamation League, les multiples humiliations infligées au président de l'État le plus puissant du monde par le Premier ministre « d'Israël ». Cela n'est-il pas de nature à faire réfléchir plus haut et plus loin que son petit nez ?

La violence de la réaction de ces Arabes américains n'a qu'une seule explication : face aux thèses de Gilad Atzmon, ils se sont trouvés renvoyés à leur position politique véritable, celle de supplétifs de l'idéologie et de la pratique politique juives.

Quant à Gilad Atzmon, ce Juif détribalisé, il sait qu'il trouve dans le cœur et l'esprit des Arabes détribalisés, aspirant comme lui à l'universalité du genre humain, la compréhension et la fraternité.

N.B. Pour une analyse approfondie, voir l'article de G. Atzmon "Entre Dominique Vidal et Esther" in :
www.palestine-solidarite.org/analyses.Gilad_Atzmon.090412.htm

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