braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

mercredi 28 mai 2014

MÉMOIRE EN FRAGMENTS : CHRONIQUES SALADÉENNES (13)

Eugène Delacroix. Les fanatiques de Tanger
L'EXPÉDITION TRAGIQUE DE L'ÉMIR ABDELKADER AU MAROC

1845 : cela faisait 13 ans que l'émir Abdelkader combattait contre l'envahisseur français. Le dernier carré des tribus fidèles entre les fidèles se composait des Hachem (la tribu de l'émir, Mascara), des Béni-Amer (la mienne, Sidi-Belabbès, 'Aïn-Témouchent, cf Chroniques saladéennes 1) et des Ghorabas (Oran, Arzew).

1845. Cette année-là, survint la tragédie qui marquera la fin de l'épopée des Béni-Amer. Tout avait commencé par une action d'éclat de l'émir, pourtant réduit à la défensive par la guerre totale que lui faisaient les Bugeaud, Lamoricière, Pélissier, Cavaignac, brûlant tout sur leur passage, razziant les troupeaux, enfumant les humains. L'émir réussit à mystifier Cavaignac et Lamoricière en passant au milieu de leurs colonnes et à anéantir les régiments du colonel Montagnac à Sidi-Brahim. Galvanisés par cette victoire, les Béni-Amer consentirent à suivre l'émir dans sa marche vers le Maroc où il pensait obtenir l'aide du souverain. Alors "de la pointe du lac (Sebkha d'Oran) à Tlemcen, on ne rencontre personne. C'est le désert" dit Lamoricière. Les Béni-Amer abandonnent leurs terres, créant un vide sidéral devant les colonnes infernales des généraux français -les colonnes infernales étaient une stratégie de guerre d'anéantissement qui avait déjà servi en France contre les Vendéens.

LA GRANDE TRAHISON

Mais le roi du Maroc, cédant aux menaces et aux promesses des Français, attaqua les arrières de l'émir, pendant que Lamoricière et le duc d'Aumale lui coupaient les voies de retraite vers l'Algérie. L'émir perdit le contact avec les fractions Béni-Amer. Certaines de celles-ci, encerclées par les troupes du roi, préférèrent passer au fil de l'épée leurs femmes et leurs enfants plutôt que de les laisser tomber entre des mains fourbes, puis se battirent jusqu'au dernier. L'émir, qui avait retrouvé leurs traces, arriva à bride abattue sur les lieux mais c'était pour constater la tragédie qui venait de se dérouler. Il réussit encore à briser l'encerclement et à rentrer dans son pays. Mais c'était pour déposer les armes, profondément marqué par les atrocités d'une guerre inégale et par les trahisons et retournements de ses alliés.

INTERDITS DE REVENIR AU PAYS

Sur le territoire marocain, des fractions des Béni-Amer, qui étaient parvenues à échapper aux troupes royales, devaient passer sous les fourches caudines des Français pour espérer rentrer au pays. Les généraux -Bugeaud, Cavaignac, Lamoricière- s'y opposèrent catégoriquement ; Pélissier n'était pas en reste qui exultait : "Leur émigration nous a laissé un vaste et riche territoire. C'est la forteresse de la colonisation qui se prépare... ." Le gouverneur général (GG) de l'Algérie n'allait pas laisser passer cette occasion inespérée de rafler les riches terres des Béni-Amer. Le 18 avril 1846, il prenait un arrêté frappant de séquestre les terres des "émigrés". Il s'agissait, dès lors, de les empêcher de rentrer : le GG et le ministère de la Guerre donnèrent des instructions en ce sens. Mais le consul de France à Tanger, De Chasteau, leur désobéit. Il affréta des bateaux pour ramener ce qui restait des Béni-Amer à Oran. Puis son gendre, Léon Roches, qui le remplaça un moment, poursuivit l'opération de rapatriement. Roches raconte que les familles des Béni-Amer mouraient littéralement de faim, qu'il reçut une délégation qui lui dit :  "Il vaut mieux nous tuer ici que nous renvoyer au milieu des Marocains qui déshonoreront nos femmes sous nos yeux, nous assassineront et vendront nos enfants car c'est ainsi qu'ils ont agi à l'égard de nos frères." Devant les cris d'orfraie du GG et des généraux (le plus haineux à l'égard des Béni-Amer étant sans conteste Pélissier, qui commandait l'Oranie), Roches eut recours à des passeurs clandestins qui guidèrent les émigrés chez les Béni-Snassen et les Béni-Bouyahi, tribus rifaines en révolte contre le roi, qui leur firent passer la Moulouya.


LA SPOLIATION

"En tenant compte de ce qu'ils étaient, les Béni-Amer n'existent plus." Ainsi pouvait s'exprimer Cavaignac après ce désastre. Combien les Béni-Amer perdirent-ils des leurs au cours de cette expédition ? Quatre à cinq mille selon les estimations les plus raisonnables. Quant aux terres confisquées, et d'après les premières estimations faites en 1851 par les Bureaux arabes, ce sont cent mille ha de bonnes terres qui tombèrent dans un premier temps dans l'escarcelle de la colonisation. Encore que la spoliation ne fît que commencer. L'Oranie devint ainsi la "forteresse de la colonisation", ainsi que le souhaitait Pélissier. Le sénatus-consulte de 1863 officialisera les prélèvements fonciers déjà opérés au profit de la colonisation.

N.B. Vous pouvez retrouver l'ensemble des "épisodes" de "Mémoire en fragments" dans la rubrique "PAGES" du blogue.

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