braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

samedi 15 juin 2013

L'ANP GLORIEUSE HERITIERE DE L'ALN, DISENT-ILS...



                                     L'ALN AU CONGRÈS DE LA SOUMMAM

                         
             L'ANP À UN UN QUELCONQUE CONGRÈS OÙ ON A BIEN BÂFRÉ

La photo montrant des officiers de l'ANP, chamarrés comme des sapins de noël et affalés, dormant profondément, a disparu inexplicablement de l'article. Impossible de la replacer. Le contraste entre les deux photos -ALN et ANP- a dû décidément être bien trop cruel pour justifier un acte de censure-piraterie informatique aussi minable. Mais comme disait Freud, "ça n'empêche pas d'exister".

mercredi 12 juin 2013

CARNETS SANS DATE



Le Glaive de l'Islam déchu



GUERRE DE L'OMBRE AUTOUR D'UNE SUCCESSION... QUI N'A PAS EU LIEU

Il y a quelques mois, on apprenait que les autorités civiles et militaires de Tlemcen avaient fait le pied de grue pendant des heures : « Le Glaive de l'islam » soi-même -Seif-El-Islam Gueddafi- devait venir inaugurer son hôtel, un Marriot -excusez du peu- à Lalla Setti ! et, accessoirement, passer la bague au doigt à sa promise. La presse algérienne ne révélait rien de l’élue du Glaive mais quand on sait que les Moukhabarates d’Égypte et d’Algérie se livraient à une course-poursuite pour imposer leur poulain respectif (Le Glaive pour l’Algérie, Le Résistant-Mouatassim Gueddafi, pour l’Egypte) comme successeur au trône de Caligula-Maamar, on comprend que la bonne ville de Tlemcen devait servir une stratégie matrimoniale bien précise. En somme, un atout maître qui devait disqualifier le chef des Moukhabarate égyptiennes, Omar Suleiman (dit « Dracula ») et sa marionnette, le Résistant-Mouatassim.

Voilà le genre de calculs et de compétitions auxquels s’adonnent les James Bond arabes. L’ex-n°2 lybien, compagnon de Maamar Gueddafi et stratège du coup d'état du 1er septembre 1969, le commandant Abdesselam Djalloud, s'était répandu, à l'époque, sur les chaînes satellitaires arabes à propos du Glaive-Seif-El-Islam, justement. Lui qui connaissait intimement la famille du guide-Caligula avait été prié de dire ce qu'il savait du Glaive. Il ne s'est pas fait prier : « Servile, lâche, plus menteur que son père (authentique exploit), escroc (voir l’affaire de ses diplômes), fasciste ! », a éructé avec dégoût le commandant Djalloud. Et c'est ce personnage que les services secrets algériens voulaient installer à la tête de la Lybie. Les frères Lybiens apprécieront.

Aujourd'hui, Caligula a été dépecé par les insurgés, le Glaive est entre les mains de ceux de Zenten -qui ne sont pas près de le livrer à un pouvoir provisoire en lequel ils n'ont aucune confiance-, Dracula a passé l'arme à gauche chez Big Brother -à moins que les yankees ne lui aient fait traverser « l'avare Achéron [qui] ne lâche point sa proie » pour la raison qu'il en savait trop- et Moubarak, le valet de l'État talmudique, est derrière les barreaux, dans une cage en fer ainsi qu'un animal. À Alger, où l'on a soutenu mordicus le régime de Caligula contre l'insurrection populaire, on ne sache pas qu'une autocritique soit à l'ordre du jour. (Autocritique, dites-vous ? Que le lecteur se rassure : c'était une simple plaisanterie.)

LE CULTE DE LA BALANCE

De nombreux chroniqueurs, politologues et journalistes se demandent encore comment il se fait que l'Algérie soit restée en marge des mouvements insurrectionnels arabes de 2011. Les Algériens, fierté nationale -et mal placée- oblige, répondent : « Nous avons déjà fait notre révolution en octobre 88, bien avant les frères arabes », comme le dit le commandant Moulessehoul (alias Yasmina Khadra) dans une interview à « Berbère TV ». (Soit dit en passant, nous on croyait naïvement que la place naturelle -et obligée- d'un commandant de l'armée était aux côtés de ceux qui ont abattu des centaines de jeunes manifestants, les officiers et soldats dirigés par le général Nezzar. Nous avons là un autre exemple de ce sport lamentable des Algériens qui est la pratique de l'irresponsabilité : ce n'est pas moi, c'est houma, les autres).

Pourtant, la réponse à la question posée est limpide si l'on veut bien regarder du côté de ce que l'on feint de ne pas voir, l'inextricable maillage policier dans lequel la société algérienne est tout entière prise. Tous les lieux de vie et de travail, toutes les organisations de la société civile sont infestés de mouchards. Qu'ils relèvent de la SM, de la police ou de la gendarmerie, les indicateurs sont en nombre effrayant. Même des organisations politiques rompues aux règles du cloisonnement et de la clandestinité, ont été infiltrées par les mouchards. Le cas du PAGS est, à cet égard, exemplaire : après sa destruction menée de l'intérieur par des agents de la SM et de la DGSN, infiltrés dans le saint des saints du parti, les militants de base découvraient que nombre de leurs camarades étaient en réalité des indicateurs, dont beaucoup, d'ailleurs, n'hésitaient même plus à afficher publiquement leurs relations policières. Dont certaines de très haut niveau.

Les Algériens, en nombre hélas considérable, ont profondément intériorisé cette logique perverse qui fait d'un indicateur un patriote et le déculpabilise. Tout le monde a bien conscience de cette situation mais personne ne l'aborde jamais. Pourquoi ? Cela tient au poids du mythe attaché aux soi-disant libérateurs du pays et au culte de la force et de la ruse chez nous. Il faut dire également que l'intelligentsia a été tellement pénétrée et circonvenue par la police politique qu'elle a été totalement défaillante de ce point de vue. 

À défaut de nous regarder en face, souvenons-nous que, de notre temps, les instituteurs nous avaient appris à ne jamais « rapporter » (ce qui voulait dire dénoncer un camarade). Un rapporteur était l'objet d'opprobre et même de quarantaine. La sagesse populaire de chez nous n'était pas en reste qui stigmatisait le « chekkam », le « reffad » -termes infamants que la bienséance interdit de traduire-, le « bayaa » (le vendu), pour désigner celui qui balance ses connaissances, ses amis et proches, et même ses parents. C'était cela la saine appréciation des choses, du reste universellement partagée.

DES PROGRAMMES RÉVOLUTIONNAIRES POUR QUOI ?

Depuis le mois de janvier 2011, les peuples arabes ont entrepris une critique radicale des systèmes politiques en place chez eux. Leur courage inouï suscite l'admiration du monde entier, leur exemple inspire des mouvements de masse en Europe et même -quel pied de nez!- « dans la seule démocratie du Moyen-Orient », entendre par là le système spoliateur, tribal et talmudique qui s'est mis en place dans la Palestine occupée. Il est évident que nous n'avons pas encore pris la mesure de cet immense événement. Pourtant, il suffirait de revenir au mots d'ordre des foules de manifestants : « le peuple veut la chute du système ». Pourquoi ce mot d'ordre connaît-il cette fortune à travers tout le monde arabe, en dépit des différences de situations ? Parce que les systèmes de domination arabes sont de même essence : la patrimonialisation, en vertu de quoi le pouvoir, le pays et le peuple sont propriété privée d'une FAMILLE, le terme étant compris comme désignant un groupe uni par des liens de sang ou d'intérêts ; pour le dire autrement, dans un sens anthropologique ou sicilien.

[Le cas de l'Algérie est, à cet égard, exemplaire puisque les dominateurs ont inventé la notion de « FAMILLE REVOLUTIONNAIRE » par quoi ils désignent benoîtement l'ensemble de ceux qui sont admis au buffet froid de la prédation. ]

Gageons que les peuples arabes -qu'ils en aient conscience ou non, qu'ils le veuillent ou non- sont en train de faire la critique pratique (pas théorique) de leur propre système anthropologique dominant : le patriarcat. Les nouvelles générations, alphabétisées, cultivées, au fait des technologies de la communication, se retrouvent en décalage abyssal avec les dictateurs incultes et kleptocrates qui se sont arrogé un droit de vie et de mort sur eux. Ces jeunes sont en train de « tuer le père », que ce dernier prenne l'apparence du bouffon sanguinaire qui les gouverne ou du « prêtre » qui prétend les guider. En un mot : finie la dictature et fini l'islamisme politique. (Les plus perspicaces parmi les leaders islamistes l'ont bien compris ; « Nous ne voulons pas un état islamique, nous voulons un état de droit moderne qui garantisse les droits et les libertés de chacun » ne cesse de répéter Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste tunisien d'En-Nahda.)

Face à ce mouvement de fond (prévu de longue date par des chercheurs comme Olivier Roy et Emmanuel Todd), on peut toujours continuer à proposer, sur le modèle paléo-FLN (Soummam 1956, Tripoli 1962, Alger 1964 et 1976) une... charte ! Karl Marx disait que « Tout pas fait en avant, toute progression réelle importe plus qu'une douzaine de programmes. » (in Critique du programme de Gotha).


DES OPPOSANTS « DÉMOCRATES » EN APPELLENT À L'ARMÉE                   

Prenant prétexte des violences -et particulièrement d'un attentat contre l'académie militaire de Cherchell-, un « démocrate » en appelle à l'armée algérienne. L'appel part de prémisses probablement justes -énième épisode de la guerre qui oppose les clans de pouvoir entre eux- pour en conclure que l’armée algérienne doit intervenir afin de faire cesser ces violences. Mais attention ! Le texte ajoute qu'elle doit le faire « tout en respectant les droits de l’homme ». Sans blague ?
 Dans ce texte, il n'y a pas moins de trois inepties :

 * Se dire démocrate et en appeler à l'armée pour qu'elle règle un problème politique, il n'y a qu'en Algérie que l'on est capable d'une telle audace intellectuelle. Et quand cela vient de la part d'un site qui fustige (à juste titre) les intellectuels des années 90 qui appelaient les chars à la rescousse face à la menace islamiste, il y a de quoi perdre son latin. Mais, en Algérie, on se moque bien d'Aristote (Cest qui lui ? C'est pas un musulman ! Alors...) et de son principe de non-contradiction ! 

** Lui demander de le faire « en respectant les droits de l'homme », revient à demander au crabe de marcher droit : ça ne mange pas de pain et c'est une hypocrisie.

 *** Parler de lutte de clans en oubliant que l'armée est partie prenante de cette lutte de clans, est encore un sophisme hypocrite. L'armée est elle-même organisée comme le clan d’essence régionaliste (Est) qu’elle a toujours été. Tout comme sa soeur-ennemie, la Sécurité militaire, est un clan d’essence régionaliste (Ouest-Kabylie).

 Finira-t-on par admettre que ces deux structures, forgées à l’étranger, derrière des frontières protectrices, par des hommes de clan -et non d’État- sont LE mal du pays ? la maladie qui le mine ? Les Algériens ont intériorisé ce mensonge historique que l’ANP est « la glorieuse héritière de l’ALN». L’ANP est l’héritière de l’armée des frontières augmentée des éléments de la Force locale et de supplétifs de l’armée coloniale ; c’était une force de frappe pour la conquête du pouvoir, rien d’autre qu’une troupe prétorienne. Ce qu’elle est restée dans son essence. Si elle était la digne descendante des Ali Khodja, Bouguerra, Benboulaïd, Lotfi… aurait-elle tiré sur des jeunes gens désarmés et manipulés par la police en octobre 88 ? Aurait-elle produit des officiers supérieurs baignant dans les rétro-commissions et le trafic de cocaïne ?   
   
Pour le dire autrement, la question de fond que soulève cet appel peut être formulée ainsi : sur quoi doit compter un peuple pour s’émanciper ? Dans la situation où se trouve notre pays, sur qui, sur quoi doit-il compter pour se libérer d’un système complexe fondé sur l’usage débridé de la violence, la récupération idéologique tout azimuth et la corruption ? La réponse est aussi immédiate que catégorique : le peuple ne doit compter que sur lui-même, que sur ses propres ressources qui sont -heureusement- infinies.

Que par souci tactique, il soit utile d’opérer des différenciations dans le système de pouvoir, on peut le comprendre. Mais si des forces saines existent dans l’armée et la SM, qu’elles commencent par nettoyer leurs propres institutions ! Charité bien ordonnée commence par soi-même et qui peut le plus, peut le moins ! En vérité, le système militaire est en soi hiérarchisé et verrouillé à un point tel qu’il n’autorise d’autre forme de contestation que le coup d’État. Alors, veut-on un nouveau pronunciamiento militaire après ceux de 1957, 1962, 65, 92 ? Ce serait s’enfoncer dans la même ornière qui nous a menés là où nous en sommes. Bertolt Brecht disait : « Malheur au pays qui a besoin de héros ». Il faut entendre par là qu’un peuple qui attend son salut d’un sauveur providentiel est un peuple serf. Le peuple n’a pas besoin d’autre chose que de prendre conscience que son sort est entre ses seules mains et qu'il n'y a pas de Sauveur suprême.

Le rôle des politiques nouveaux, c’est de l’aider à en finir avec les mythes qui lui voilent encore la vérité. Politiques « nouveaux » parce que les anciens sont prisonniers de ces mythes justement -car eux-mêmes produits du système- et qu’ils ne peuvent qu’obscurcir l’horizon du peuple. Parmi ces mythes, la glorification de l’armée et des services de sécurité me paraît le plus pervers : un peuple parvenu à la maturité politique n’a que faire de ces contes pour enfants. C’est le peuple, et lui seul, qui a payé le prix (très) fort pour accéder à une liberté et une dignité qui lui sont encore déniées par ceux qui se sont posés en libérateurs. Libérateurs ? Combien de cartouches Boukharrouba a-t-il tirées sur l’ennemi colonialiste ? Et Boussouf (qui employait l’expression cynique « Eddouh lel Qahira », langage codé pour signifier à ses tueurs d’éliminer un adversaire) ? Et Bouteflika ? Et d’autres, tous les autres, à l’exception de ceux qui sont restés unis à leur peuple, qui sont restés insensibles aux espèces sonnantes et trébuchantes que le pouvoir des usurpateurs faisait tinter à leurs oreilles; on conviendra que ceux-là se comptent sur les doigts de la main. La délégitimation d’un pouvoir -propédeutique obligée à sa chute- commence par là : par la critique radicale des mythes sur lesquels il se fonde.

À l’agenda des Algériens aujourd’hui, il y a une tâche centrale qui est la refonte générale de la vie politique : élection d’une constituante; rédaction d’une Loi fondamentale moderne consacrant la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, l’habeas corpus, et la mise hors-la-loi de la torture ; recomposition de l’armée et de la Sécurité militaire selon des principes simples et intangibles : la nation commande à l’armée et aux services de sécurité qui sont faits pour protéger le pays, pas un pouvoir ; comme toutes les institutions, elles sont dirigées par des civils (des politiques) et rendent compte régulièrement et sous des formes appropriées aux représentants élus de la nation.


Se hisser à la hauteur de cette tâche historique exige des Algériens, encore une fois, qu'ils se libèrent des mythes qui les paralysent, au premier rang desquels l'attitude servile face à l'armée et aux institutions policières. 



Aller dans le sens de l’histoire, c’est saisir le moindre événement pour faire avancer ces tâches dans les formes les plus vivantes, c’est-à-dire liées aux aspirations, même les plus banales, des gens.

dimanche 2 juin 2013

QUELLE EST LA NATURE DU POUVOIR POLITIQUE ALGERIEN ?



CLIQUEZ SUR LE LIEN :



http://www.koreus.com/video/wildebeest.html

LA DESTRUCTION DES ARABES




C'est l'intitulé du prêche du cheikh Imran Hosein, prononcé en octobre 2011 à Kuala Lumpur, Malaisie (cf plus bas). Imran Hosein est un savant religieux musulman d'origine indienne et d'obédience sunnite hanafite. Il est né à Trinidad-et-Tobago -État dont il sera un haut fonctionnaire des Affaires étrangères. Imran Hosein a énormément voyagé et occupé divers postes à l'ONU et dans différents pays. C'est dire qu'il ne ressemble en rien à ces prêcheurs saoudiens ou égyptiens -ces derniers généralement et mystérieusement aveugles- qui n'ont jamais mis le nez en dehors de leur pays et qui lisent le monde à travers des catégories vides.

[Une parenthèse ici pour rappeler que l'ex-Urss était dirigée par des apparatchikis qui n'étaient jamais sortis de chez eux (et pour cause : quand il fallait un passeport pour se déplacer à l'intérieur de son propre pays, que ne fallait-il pas pour en sortir ! ). Ce n'est pas un hasard que les acteurs du changement -Gorbatchev et consorts- furent tous issus de l'institut Amérique-Canada, organisme ouvert sur le monde réel et non le monde vu à travers les catégories idéologiques de Mikhaïl Souslov, l'inamovible idéologue du Kremlin. C'est Youri Andropov, chef du KGB à l'époque, qui couva tout ce petit monde de futurs réformateurs. Lui-même fut un protégé du secrétaire général du Komintern, Otto Kuusinen, qui était finlandais ! La morale de cette affaire ? La compréhension de son propre monde exige d'en sortir, d'être capable de prendre, à tout le moins, quelque distance avec lui.]

Revenons à Imran Hosein et à son prêche. Au terme d'un rappel de l'épisode d'Abraham s'apprêtant à sacrifier son fils Ismaël, par obéissance à l'ordre divin, le cheikh se lance dans une réflexion hardie sur l'eschatologie -la fin des temps- islamique. (Le lieu de rappeler que la fin des temps selon l'islam verra revenir le vrai messie, Jésus Christ, qui sauvera le monde de l'emprise du Dejjâl, le faux messie). Selon le prêcheur, lorsque Dieu a arrêté le bras d'Abraham, il lui a dit, en substance, qu'il n'exigeait pas qu'il égorge son fils sur l'heure mais lui a demandé s'il était disposé à le faire quand le temps serait venu. C'est ce sacrifice différé qui sonnera la fin des Arabes quand il aura lieu. Selon Imran, en effet, le sacrifice d'Ismaël, l'ancêtre des Arabes, doit être compris en son sens symbolique : la fin des Arabes. Et cette fin, notre prêcheur croit en voir se dessiner les prémisses : la fin des temps ne verra-t-elle pas l'entrée en scène de l'Antéchrist, ce faux messie qui usurpe la place du vrai ? Ne verra-t-elle pas également la venue et le triomphe de Gog et Magog -les forces du mal ? Et que sont les USA et l'État sioniste qui, sous nos yeux, sont en train de détruire les Arabes ? Assurément, la fin des Arabes est proche. D'autant plus qu'ils participent de gaîté de cœur à leur propre perte. Ne les a-t-on pas vus collaborer avec les USA et l'État sioniste en Palestine ? Avec l'Otan en Lybie ? Rendus sourds et aveugles par le Dejjâl -l'Antéchrist- de la propagande anglo-saxonne et sioniste, ils courent à leur mort programmée.

On pourrait objecter au docte prêcheur que Gog et Magog ne s'en prennent pas uniquement aux Arabes. Que ce serait beaucoup plus largement aux musulmans qu'ils en voudraient : à preuve les carnages commis quotidiennement en Afghanistan et le feu nucléaire qui se prépare contre l'Iran. On pourrait lui faire remarquer que, à l'inverse, Gog-yankee a protégé et favorisé la création de deux états islamiques en Europe : la Bosnie et le Kosovo. Notre cheikh -qui a également tâté de la géostratégie et de la géopolitique- répondra certainement qu'il s'agissait dans les deux cas d'affaiblir le monde chinois et le monde slave qui n'ont pas vocation à se plier au diktat anglo-saxo-sioniste visant à l'établissement d'une hégémonie planétaire à travers un gouvernement mondial à sa dévotion. Certes.

Mais alors, pourquoi ne pas envisager -et regarder- les choses sous ce prisme ? Celui d'une lutte entre une volonté impériale de domination tous azimuths et une volonté d'indépendance et de liberté des peuples du monde ? Pourquoi choisir une grille de lecture raciale ? La réponse est simple : quels que soient par ailleurs les sentiments intimes de Imran Hosein à l'égard des Arabes, sa faute est de foncer, tête baissée, dans le plus mortel des pièges tendu aux Arabes et aux musulmans, le piège concocté par les officines qu'il dénonce dans son langage comme étant le Gog et Magog de la Bible et du Coran : les think-tanks américano-sionistes qui ont fourbi cette arme létale dite de la guerre des civilisations. Imran Hosein a beau être un érudit au fait de tous les grands enjeux mondiaux, il n'en est pas moins en manque d'un logiciel de pensée autre que celui qu'il emploie et qui n'est que le symétrique exact de celui de Gog et Magog qu'il dénonce. C'est ainsi que les extrêmes se rejoignent et que le pire ennemi de votre ennemi n'est pas forcément votre ami, contrairement à ce que l'on croit spontanément. Deux exemples parmi cent pour illustrer ce propos :

1) Le Soudan vient d'être amputé du tiers de son territoire, la portion sud, la plus riche, celle où il y a de l'eau et du pétrole. Pendant plus de trente ans, une guérilla dirigée par un officier progressiste -John Garang- a vainement demandé à l'État central de faire droit aux revendications des populations du sud, chrétiennes et animistes, et de renoncer à sa volonté de faire de la chari'a la base du droit soudanais. John Garang, ce faisant, n'a jamais cédé aux sirènes de la sécession du sud. Ses « frères » sécessionnistes finiront par l'assassiner et s'aboucher avec les USA et l'État sioniste. Lequel sera le premier à ouvrir une ambassade à Juba où il est à demeure maintenant, établi sur les arrières de l'Égypte et bien décidé à pomper l'eau du Nil pour arroser le Néguev. Qui a mené ce pays à ce désastre ? Nul autre que les gouvernants qui se sont succédé depuis le coup d'état de Numeyri -aidé par le parjure Kheddafi qui lui a livré les officiers progressistes auxquels il avait offert l'asile ! Le sanguinaire Numeyri les fera exécuter le soir même de leur livraison par la Lybie. Pour faire bonne mesure, il fera exécuter également le SG du PC le plus puissant d'Afrique, Abdelkhaleq Mahjoub, et celui des syndicats soudanais. Il livrera ensuite le pays aux islamistes de Hassan Tourabi -sourds, aveugles, obtus- qui le mèneront là où il en maintenant, un moignon de pays privé de l'essentiel de ses richesses hydrauliques et géologiques. Ils pourront toujours se consoler en appliquant, enfin, la chari'a. Sans la traîtrise de Kheddafi, les progressistes prenaient de vitesse Numeyri et s'emparaient du pouvoir ; l'entente avec John Garang aurait été naturelle et le Soudan aurait pu, sinon devenir le grand pays dont l'ONU disait qu'il pouvait à soi seul nourrir toute l'Afrique, du moins aurait évité la partition. Au lieu de quoi, il y a fort à craindre que le dépeçage du pays ne fait que commencer, foi de George Clooney-Nespresso !

2) En 2008, parut un livre qui provoqua une grande controverse : « Aristote au Mont Saint-Michel ». Son auteur, Sylvain Gougenheim, prétendait démontrer à travers son ouvrage que les Arabes n'ont jamais été le lien entre la culture grecque et l'Occident mais que tout s'était passé à l'abbaye du Mont Saint-Michel où des moines chrétiens ont recueilli et traduit l'héritage grec. Le culot d'une telle assertion menée tambour battant avec force arguments de raccroc, grossièrement bricolés quand ils n'étaient pas inventés, fourmillant d'erreurs et d'approximations, levait le voile sur ses véritables intentions quand il déclarait à plusieurs reprises que leur conception du monde et du temps, inspirée du Coran, rendait les Arabes incapables de comprendre les Grecs.(Le triste propagandiste oublie opportunément qu'il y a des Arabes juifs, des Arabes chrétiens et qu'El-Kindi, El-Farabi, Avicenne ou Ibn-Rochd ont produit une compréhension originale parce que syncrétique de la philosophie grecque). La presse (particulièrement le journal Le Monde) et les sites islamophobes et racistes lui firent une telle publicité que les vrais spécialistes de la question réagirent. Une équipe de chercheurs en majorité européens, sous la direction du français Alain de Libéra, régla promptement son compte à ce libelle raciste qui procédait tout entier d'une vision venue droit de la thèse de la guerre des civilisations. Constatons que ce ne sont pas les penseurs arabes ni musulmans -même s'il y en eut- qui furent en première ligne pour la défense de la vérité historique mais bien des Français, des Allemands, des Anglo-saxons. Voilà qui est roboratif.

Ce n'est donc pas un complot américano-sioniste -même si Gog et Magog en ont tiré profit- qui a mené au désastre soudanais mais bien la débilité et l'inculture politiques de ses dirigeants islamistes.

Ce ne sont pas les penseurs arabes et musulmans qui ont fait face à une attaque sauvage, tout droit venue des thinks tanks américano-sionistes et relayée par leurs laquais français, contre la pensée universelle, mais des penseurs européens.

La morale de l'histoire est qu'il faut se méfier comme de la peste de la notion piégée de civilisation et ne pas craindre de soumettre l'un de ses plus prestigieux théoriciens -Fernand Braudel- à la critique : il n'y a pas de blocs humains constitués une fois pour toutes et séparés des autres blocs. Il n'y a que des mouvements, des échanges, des transformations par lesquels les hommes tissent leur histoire.

samedi 1 juin 2013

SILOVIKI ET CIVILOVIKI

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Le terme de siloviki désigne, en Russie, les tenants de la manière forte (silo en russe = la force), eux-mêmes issus des appareils de force –sécurité d'État (Fsb ex-Kgb), police (ministère de l'Intérieur), armée (ministère de la Défense). Les siloviki sont partisans d'un État russe fort et interventionniste dans tous les domaines. Leur représentant est le Premier ministre actuel, V. Poutine.

Le terme de civiloviki n'existe pas, à vrai dire, dans la langue russe : il a été forgé pour servir d'antonyme commode au premier, donc pour désigner les partisans de la société civile. Beaucoup de Russes (et pas seulement eux) auraient voulu faire du nom du Président actuel, D. Medvedev, l'emblême des civiloviki. Il leur faudra patienter, les choses ne s'étant pas encore suffisamment décantées.

L'Algérie a singé l'ex-Urss dans tous les domaines. Comme l'Urss, elle avait un système de parti unique (dont Bélaïd Abdeslam est allé copier à Moscou-même l'organigramme et le mode de fonctionnement pour le compte du comité central du Fln) ; comme l'Urss, elle a encore un système policier tentaculaire dont les cadres, d'ailleurs, ont été formés par le Kgb ; Comme l'Urss, elle avait (a) un système économique étatisé qui a généré une corruption spécifique et phénoménale ; comme l'Urss, l'Algérie a une armée pléthorique, gravement retardataire aux plans de la stratégie et de la technologie ; comme l'Urss, enfin, l'Algérie, par une répression permanente et obtuse (y compris par la torture systématisée), a rendu toute vie associative relativement autonome de l'État impossible.

Lors de l'implosion de l'Urss, la société civile, réduite à des individus impuissants et déboussolés, a regardé, hébétée, s'opérer le pillage faramineux du patrimoine national par d'anciens apparatchiks du parti (de la Jeunesse du Pcus, plus précisément), du Kgb, de l'armée... Elle a vu un Président alcoolique obéir au doigt et à l'oeil à Bill Clinton qui a exigé du poivrot qu'il nomme le valet attitré des Usa au poste de chargé des privatisations au Kremlin. Elle a vu ses jeunes femmes s'adonner à une prostitution massive et ses vétérans de la Seconde guerre mondiale vendre leurs décorations et mendier pour manger. Elle a vu ses jeunes hommes ravagés par la drogue. Elle a vu sa natalité tomber sous le niveau d'alerte. Un effondrement. Politique, économique mais surtout moral. Car une société humaine, c'est certes un réseau de production et d'échanges, mais soutenu par un système de valeurs éthiques. Et plus ce système est solidement établi, mieux il permet à ladite société d'affronter les crises et d'en sortir victorieuse. La dictature paternaliste du parti unique, qui ne tolérait pas le moindre contre-pouvoir, a infantilisé les soviétiques. N'ayant pas été mis en contact avec le Capital, ils n'ont pas développé d'anticorps spécifiques. Alors, ils se sont fait pulvériser par le Léviathan au billet vert.

Sur un tout autre plan, l'Algérie partage, jusqu'à un certain point, avec la Russie un modèle anthropologique de type patriarcal : le père est tout-puissant et les enfants, tous formellement égaux, lui doivent obéissance. Ce modèle familial autoritaire et égalitaire est en congruence parfaite avec le modèle politique dictatorial et socialiste qu'ont à subir les deux peuples. (Cf les analyses d'Emmanuel Todd sur les modèles anthropologiques).

Aujourd'hui, alors que la Russie tâtonne pour trouver un chemin de sortie de crise et que les siloviki n'ont rien d'autre à proposer que la politique du bâton parce qu'ils confondent un État fort avec un État dictatorial -alors qu'un État n'est fort que de la légitimité qu'il tire de la volonté populaire librement exprimée-, l'Algérie est encore plus mal lotie. Ses siloviki tiennent encore tout en main mais ils savent que tout peut leur filer entre les doigts d'un moment à l'autre, alors qu'ils n'ont pas mis en place une solution de rechange crédible -faute de consensus entre eux. Mais, dans l'un et l'autre pays, les civiloviki sont également faibles et ne savent où donner de la tête car l'humanité n'a pas produit d'expérience équivalente ; c'est, en effet, la première fois que des sociétés sont confrontées à ce type de problématique : comment sortir du socialisme primitif que le faible développement de leurs forces productives au moment des révolutions leur imposait fatalement ?

À l'annonce de la Révolution d'octobre 1917, Antonio Gramsci avait écrit un article passé à la postérité. Il l'avait intitulé : « La révolution contre "Le capital" ». Il y écrivait « les Bolcheviks renient Karl Marx... » et expliquait que selon la théorie marxienne, il aurait fallu attendre que se développe en grand, en Russie, un capitalisme moderne. Mais l'arriération de la Russie tsariste et le faible développement du capitalisme (particulièrement dans les campagnes), n'ont pas empêché les Bolcheviks de prendre le pouvoir et d'entreprendre de développer les forces productives, sans en passer par la phase capitaliste.

La même illusion a sous-tendu les efforts de l'Algérie indépendante : l'édification du socialisme en empruntant la voie non capitaliste de développement ainsi qu'elle a été théorisée par la conférence mondiale des partis communistes (substitut du Komintern).

On sait bien aujourd'hui que c'est K. Marx qui avait raison contre Gramsci et contre Lénine : les expériences socialistes n'ont pas tenu face au développement extraordinaire des forces productives que le Capital contenait encore en son sein. Une formation sociale ne disparaît jamais avant d'avoir développé toutes ses forces productives, avait dit le Vieux...

Tirant la leçon de cette séquence historique, les siloviki algériens et russes tentent une manœuvre en forme de double contrainte contradictoire : impulser le développement du capitalisme tout en restant maîtres du processus. Autrement dit, à la chinoise. Sauf que les Chinois ont conservé l'instrument qui leur permet l'hégémonie sur la société, le parti communiste, alors que les siloviki russes ne veulent plus en entendre parler et que les siloviki Algériens n'ont jamais permis le développement d'aucun parti y compris celui dont ils se réclament formellement, le Fln, qu'ils ont constamment torpillé, pour la bonne raison qu'ils entendaient tenir eux-mêmes ce rôle.

C'est ainsi que l'Histoire se venge de la prétention des hommes : par des pieds-de-nez. Et au philistin algérien qui regimberait, « Grâce à Dieu, notre religion et nos valeurs coutumières sont fermes et nous prémunissent contre une perdition à la Russe », voici un fait divers rapporté par le quotidien Liberté qui devrait lui donner à réfléchir : pendant que les insurrections arabes avançaient au cri de « Ech-chaab yourid isqat el nidham -le peuple veut en finir avec le système », le bon peuple de cette coquette et rupine station balnéaire de la côte algérienne, envahie par des cohortes de péripatéticiennes venues de tous les coins du pays, squattant les hôtels à l'année ou contractant mariage blanc avec des hommes du coin, avançait derrière une immense banderolle portant le slogan suivant : « Ech-chaab yourid tarhil el 'ahirate = le peuple veut déménager les putes » (sauf votre respect). Ce qui en dit long sur l'état réel de la religion et sur celui des valeurs morales.

UNE AUTRE CIVILISATION ?


Wassily Kandinsky Saint-Georges contre le dragon

Le quotidien algérien El-Watan a publié, (cf lien), une contribution signée « Saïd Bouamama. Front uni des immigrations et des quartiers populaires » (sic) et intitulée « Une autre civilisation s'impose ».

Le texte est un réquisitoire violent, sans nuances, contre la « civilisation » dite « européenne » et/ou « occidentale ». Cette dernière est accusée de toutes les barbaries : du génocide des amérindiens aux bombes nucléaires sur les civils japonais, de la traite esclavagiste aux massacres perpétrés contre les peuples d'Algérie, du Cameroun, de Madagascar, etc., de la destruction des autres « civilisations » au pillage systématique de leurs ressources, de la fétichisation de l'économie considérée comme fin en soi à la marchandisation de toute chose y compris la nature... Le texte s'achève par un appel à un changement de registre civilisationnel que devront accomplir les « damnés de la terre ». C'est donc sous les auspices de Frantz Fanon que le texte, in fine, se place.

La notion centrale de ce texte est le mot « civilisation ». Mais à aucun moment le texte ne l'explicite. Ainsi, par endroits, le mot semble recouvrir la notion de valeurs morales : la « civilisation » dénoncée n'en ayant plus aucune, étant d'un cynisme absolu. À d'autres endroits, le mot semble signifier plutôt ce qui ressortit de la culture, comprise au sens d'inclination de l'esprit : la « civilisation » en question étant accusée d'imposer une culture thanatique, une culture de guerre et de destruction de la nature, une culture du profit à tout prix. Bref, le texte mêle les considérations éthiques, philosophiques, historiques, économiques sans souci de faire la part des choses et surtout -c'est bien là le plus grave- sans fournir une clé de lecture, une logique, à même d'éclairer ce fouillis d'éléments disparates.

Face à ce Léviathan, la seule attitude recommandée par l'appel est de se détourner de lui, de construire une autre « civilisation » dont les fondements seront les valeurs mêmes que nie le monstre : retour à la solidarité de groupe contre l'individualisme destructeur, rapports harmonieux avec la nature au lieu de son exploitation-destruction forcenée, condamnation sans retour du profit-roi et de la marchandisation (sans doute pour les remplacer par le troc?), etc. Bref, il s'agit de prendre le contrepied du Léviathan. Et qui a vocation à mener à bien ce combat ? Les immigrés, cantonnés dans les périphéries de la « civilisation occidentale ».

Il y a de quoi rester confondu devant ces naïvetés néo-rousseauistes et néo-marcusiennes et cela d'autant plus que l'auteur emprunte à Marx une partie de ses analyses (sans le dire) mais en le citant incidemment, comme si de rien n'était, dans les dernières lignes de l'article à propos de la « préhistoire » de la société. Cette technique d'exposition -qui consiste à utiliser des notions marxiennes coupées de leur corpus théorique général et à les amalgamer avec des emprunts à Rousseau, à Fanon, à Marcuse...- porte un nom -l'éclectisme- et a pour objectif (même non conscient) de contourner les questions gênantes en les noyant dans le fatras d'une condamnation dont l'auteur suppute qu'elle est largement partagée : les méfaits de cette « civilisation » étant si prégnants, si indubitablement établis, qui donc trouverait à redire à cette oraison nécrologique, sinon « l'homme blanc » déjà disqualifié par sa lourde hérédité ? Désolés, mais nous nous demandons à voir, c'est-à-dire à essayer de comprendre.

Sur un plan pratique d'abord : l'usage imprudent et indifférencié du terme explosif de « civilisation » emmène l'auteur de l'appel à sauter allègrement, et à pieds joints, dans le piège tendu par les officines néo-conservatrices sionistes (pléonasme). Depuis l'effondrement du système socialiste siloviki (pléonasme là aussi), ces officines se sont attachées à forger le profil du nouvel ennemi (conformément aux enseignements de leur maître spirituel, le théoricien de l'État nazi, Carl Schmit) qui se trouve être la « civilisation arabo-musulmane ». Qu'il en ait donc conscience ou non, l'auteur du texte appelle ses ouailles à entrer de plain-pied dans la « guerre des civilisations », leur enjoint de tourner le dos à l'Europe, définitivement, de bâtir une contre-civilisation. Voilà donc un texte qui réjouira les artisans et partisans du « choc des civilisations », ceux qui ont planifié et exécuté l'agression contre l'Irak et ne rêvent que de devenir le directoire du monde.

On ne manipule pas impunément des notions aussi ambiguës et dangereuses que celle de « civilisation » qui portent, inscrit en elles, le principe d'exclusion de ce qui est décrété comme n'appartenant pas à elles. La civilisation comme bloc intégré de valeurs culturelles, géographiquement localisé et historiquement stable n'existe nulle part. Tout est partout le résultat d'emprunts, d'échanges incessants, d'influences réciproques. Sur ce même blog (cf « La destruction des Arabes »), était cité l'exemple d'une tentative de falsification grotesque menée par le vir obscurus Gouguenheim qui aurait bien voulu délester les Arabes de leur apport aux progrès de l'esprit universel en leur déniant ce fait, pourtant historiquement bien établi, qu'ils ont été les passeurs des œuvres de l'antiquité grecque. Et pour quelle raison ? Parce que la langue arabe n'est pas structurellement apte à pénétrer le logos grec, dit avec aplomb (et racisme) un homme qui reconnaît... qu'il ne sait pas l'arabe ! Le triste sire a reçu en retour, et dans les gencives, une réfutation en règle menée par toute une équipe de chercheurs européens de renom. (Cf « Les Grecs, les Arabes et nous : enquête sur l'islamophobie savante », Fayard). Notons, à ce propos, que cette tentative de hold-up était contemporaine de la polémique soulevée par le pape Benoît XVI qui, dans sa conférence de Ratisbonne (septembre 2006), quittait le terrain de l'universel et du dialogue entre les religions, pour affirmer, au contraire, la supériorité du christianisme sur l'islam par sa soi-disant conaturalité avec le logos grec. C'est exactement du même tonneau raciste que celui auquel s'abreuvent les Gougenheim et consorts. (Certains ont dit que l'Église aurait quand même pu trouver mieux comme pape qu'un homme ayant servi dans les Jeunesses Hitlériennes. Mais nous, nous le dirons pas.)

Dès lors, comment affronter cette formidable et impitoyable bataille d'idées -dans laquelle se joue le sort du monde- si l'on adopte l'attitude puérile qui consiste à se retirer sous sa tente parce que le réel est décidément trop cruel, pour y bricoler un bon petit univers fraternel et juste qui n'existe que dans le fantasme ? L'auteur du texte mesure-t-il bien que son appel aux immigrés et aux populations des quartiers populaires déplace le centre de gravité du problème vers le racialisme et l'ethnicisation ? Que pense-t-il de ces Européens qui défendent l'apport des Arabes au patrimoine universel ? Ou de ces autres qui se battent aux côtés des Palestiniens ? Fanon, lui, s'adressait à toute une humanité faite d'Africains, d'Asiatiques, de latino-américains et Marcuse visait, quant à lui, tous ceux que le système capitaliste n'avait pas encore intégrés (étudiants, marginaux, etc.) sans distinction.

En réalité, ce que le texte nomme « civilisation » est beaucoup plus sûrement la superstructure développée par le mode de production capitaliste dans sa marche effrénée vers l'unification du marché mondial. Dans l'une de ses dernières lettres à son ami Engels, Marx disait que telle était la mission historique du Capital : faire du monde un seul marché. C'est ce processus en voie d'achèvement qui se déroule sous nos yeux. Tout le monde en a pris acte, même si rares sont ceux qui mentionnent le nom du géant de la pensée qui l'a vu venir : c'est que l'horizon des nains est très bas.

Le Capital ne se subsume pas seulement les anciens rapports économiques pour les intégrer dans son mode particulier de produire et de distribuer ; en créant ces rapports nouveaux et en annexant les anciens, il crée également les formes juridiques et idéologiques chargées de les contenir, au double sens du terme « contenir » : tenir ensemble et cacher. Prenons un exemple simple : le Capital se présente comme le chantre de la liberté qu'il décline sur tous les registres ; il crée les cadres juridiques qui la rendent possible et l'encadrent ; cela est indéniable. Mais la logique économique qui sous-tend cette idéologie de la liberté est que le Capital a besoin, pour se mettre en marche, d'individus libres, c'est-à-dire sans attaches, sans autre possibilité de survie que de louer leur force de travail. Illustration : Abraham Lincoln libère les Noirs du sud des USA de l'esclavage ; quelque années plus tard, on assiste à un grand mouvement de migration des Noirs du sud agricole vers le nord industriel, Chicago et Detroit en particulier où ils seront employés dans les abattoirs et les usines Ford. Limpide.

On peut -on devrait- faire une lecture « symptômale » (comme disait Althusser) similaire pour toutes les « valeurs » que promeut le capitalisme contemporain : l'exhibitionnisme, le narcissisme, la promotion du féminin, la ringardisation de la virilité (bien comprise, celle du caractère sacré de la parole donnée, du sens de l'estime de soi), la consommation (Un bon citoyen doit consommer pour maintenir les emplois !), etc.. Dans les années 80-90, un sociologue marxiste français, Michel Clouscard, avait produit des analyses pénétrantes à ce titre (cf, en particulier : « Le capitalisme de la séduction », Editions sociales). Guy Debord avait, quant à lui, déjà produit le concept du capitalisme libéral libertaire tel que, devant nos yeux, il se déploie.

Tout cela veut dire, en d'autres termes, que la logique de la formation sociale capitaliste contemporaine se trouve là où elle a toujours été : dans sa base matérielle. Il n'est pas besoin d'aller chercher les clés dans une régression vers l'anthropologie ou vers l'ethnicisation de la problématique. Pour cela, ne jamais perdre de vue l'universel. Et l'universel est le monde réel tel qu'il évolue. Évidemment, face à l'extraordinaire complexité des sociétés modernes, il peut être tentant de revenir par la pensée à la simplicité (supposée, car elle n'est pas réelle) des sociétés précapitalistes et de leur attribuer toutes les vertus. Hegel avait déjà montré que l'esclave, incapable de se libérer des chaînes qui l'assujetissent, se libère du monde réel et de celui des passions par la pensée (in La phénoménologie de l'esprit). Le même Hegel avait coutume de dire « Hic Rhodus hic salta » qu'il traduisait par : C'est ici qu'est la rose, c'est ici qu'il faut danser. Il n'y a pas d'autre monde hormis le monde réel et c'est là, et pas ailleurs, que se mène la lutte pour le transformer.




UN HOMME NOMME GILAD ATZMON



Gilad Atzmon est assurément un homme au courage rare. Osons dire qu'il est à l'égal -mais à sa manière propre- du Marx de la « Question juive » et du Spinoza du « Traité théologico-politique ». Ce qui veut dire que ce musicien de jazz et écrivain mène, à l'instar des deux grands penseurs, une critique radicale -celle qui entend remonter aux racines des choses, aux conditions de possibilité même des phénomènes- de l'idéologie et de la politique juives.

Gilad Atzmon est né en « Israël ». (Les guillemets sont de mise parce que cet État, né de la spoliation violente d'une terre, ne sait pas lui-même comment se définir : ni république, ni démocratie, ni théocratie, ni frontières reconnues ; il veut devenir l'État « juif » ou « hébreu »; il veut s'étendre du Nil à l'Euphrate, dans cet espace où nomadisaient des tribus sémitiques -c'est-à-dire parlant une des langues sémitiques : arabe, araméen, amharique, hébreu...-, prétendant que là est la terre d'Israël, confondant ainsi opportunément une peuplade et une terre.)

Nourri aux mythes sionistes fondateurs, Gilad Atzmon a reçu deux chocs : le premier lorsqu'il a découvert un musicien de jazz noir nommé Charlie Parker. On peut donc n'être pas juif mais noir, et être un sublime saxophoniste ? Le second, lors de la guerre d'agression (ce qui est un pléonasme car toutes les guerres « d'Israël » sont des guerres d'agression) contre le Liban -1982- quand il vit des Palestiniens parqués dans des camps de concentration, en plein soleil. Il s'est dit : "Ce sont les Juifs et nous sommes les nazis". G. Atzmon quittera peu après le pays qui l'a vu naître. Il s'établira au Royaume-Uni, deviendra un saxophoniste célèbre et s'engagera aux côtés de la Résistance palestinienne.

Depuis quelques jours, Gilad Atzmon est violemment pris à partie par une cohorte de Palestiniens américains : une pétition signée par une vingtaine de professeurs, enseignant au USA, et de militants, intitulée « Pas de quartier », lui reproche son « racisme » et son « antisémitisme ». Diable ! Cet appel vengeur vient à point nommé : G. Atzmon entreprend, en effet, une tournée musicale aux USA. Il en profitera pour faire la promotion de son dernier livre, « The wandering who », traduit en français sous le titre « La parabole d'Esther – Anatomie du peuple élu ». Qu'a donc dit, écrit ou fait notre jazzman pour mériter cet appel au pogrom, symbolique certes mais pogrom quand même ? Essayons de résumer la pensée de G. Atzmon dans quelques propositions aussi claires que possible.

1) Le découplage entre les notions de sionisme (expression pratique du nationalisme juif) et de judéité (l'identité juive) est une illusion. La judéité est le socle robuste sur lequel s'est construit le sionisme ; s'il n'y a pas de sionisme sans judéité, la réciproque n'est pas, formellement, vraie : on peut, en effet, être juif et antisioniste. Illustration de la chose : les dizaines d'organisations antisionistes -remarquons qu'elles s'intitulent quand même « juives »-, sans parler de ces authentiques personnalités laïques et antisionistes -mais qui soutiennent malgré tout « Israël » et se démènent comme de beaux diables pour empêcher le boycott de cet État. Cette prégnance de la judéité -donc même chez ceux qui se proclament "antisionistes"- est très largement visible dans le champ social européen et étatsunien : des myriades d'organisations à caractère syndical, juridique, d'entraide ou autres arborent l'épithète « juif ». Pourquoi cette volonté farouche de se distinguer ?

2) Le désir de séparation d'avec autrui est indubitablement à rapporter au dogme ravageur du « Peuple Élu ». C'est bien le sentiment, profondément enfoui sous des strates d'histoire, d'appartenance à un peuple d'élite qui structure la judéité et qui pousse à s'en réclamer sans cesse, tant il est vrai que c'est là un processus psychique valorisant pour le moi. Ce sentiment de supériorité est entièrement passé dans la pratique politique et l'idéologie juives telles que l'on peut les voir à l'oeuvre en « Israël » et à travers les organisations juives aux USA et en Europe : indifférence à la souffrance que l'on inflige aux autres et volonté de domination.

3) La volonté de séparation n'est pas seulement visible dans les murs que l'on dresse ; elle est aussi et d'abord repérable dans la pratique talmudique du « Herem » qui est l'anathémisation, l'excommunication, dont le sens est la séparation du groupe d'avec celui qui a osé mettre en doute ses dogmes. Ainsi Spinoza a-t-il été frappé de Herem par le Mahamad  (conseil) juif. La pratique a pris aujourd'hui une ampleur inouïe avec l'accusation récurrente d'antisémitisme qui frappe indistinctement juifs et non-juifs. (Notons au passage que la notion de « sémite » désigne, au sens scientifique, un groupe de langues et non des groupements humains : c'est dire combien elle a subi de bricolages pour être amenée à désigner la haine des Juifs seuls.)

4) Les conclusions que l'on peut tirer, avec G.A., de ces prémisses sont les suivantes :
- « Israël » n'est pas une colonie de peuplement : il n'est pas rattaché à une métropole originelle qui y aurait envoyé une partie de ses nationaux y vivre, puisque tout Juif où qu'il se trouve y a droit de cité.
- « Israël » n'est pas un État d'apartheid : l'apartheid cantonne les populations indigènes ; « Israël » cherche à s'en débarrasser définitivement et totalement.
- « Israël » est une étape franchie par l'idéologie et la politique juives dans leur marche vers la domination.

Où est-il question ici de racisme ou de haine des Juifs, comme le prétendent les Américains Palestiniens ? (Écrit dans cet ordre est plus pertinent). On peut comprendre que, pris de panique face à une pensée sans concession, ils se soient dépêchés de s'aligner sur leurs amis juifs antisionistes (que G.A. appelle « les sionistes antisionistes »). On imagine aisément que ces messieurs les professeurs, bien installés dans l'Empire, aient voulu montrer patte blanche, dire aux USA : « Vous voyez, nous sommes comme vous ; nous avons bien intériorisé la leçon ». Pitoyable. Alors qu'ils ont sous les yeux la réalité de ce que dénonce G.A. : la capacité de nuisance incommensurable de certaines organisations juives telles l'AIPAC ou l'Anti Defamation League, les multiples humiliations infligées au président de l'État le plus puissant du monde par le Premier ministre « d'Israël ». Cela n'est-il pas de nature à faire réfléchir plus haut et plus loin que son petit nez ?

La violence de la réaction de ces Arabes américains n'a qu'une seule explication : face aux thèses de Gilad Atzmon, ils se sont trouvés renvoyés à leur position politique véritable, celle de supplétifs de l'idéologie et de la pratique politique juives.

Quant à Gilad Atzmon, ce Juif détribalisé, il sait qu'il trouve dans le cœur et l'esprit des Arabes détribalisés, aspirant comme lui à l'universalité du genre humain, la compréhension et la fraternité.

N.B. Pour une analyse approfondie, voir l'article de G. Atzmon "Entre Dominique Vidal et Esther" in :
www.palestine-solidarite.org/analyses.Gilad_Atzmon.090412.htm