braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

lundi 24 mars 2014

ÉPHÉMÉRIDES 2 : DE QUOI HAMROUCHE EST-IL LE NOM ?


Dans une interview donnée à El Watan du 24 mars 2014, Mouloud Hamrouche montre de quoi il est capable : produire de la bouillie pour les chats, ou en d'autres termes de la "derdacha", ce bavardage invertébré et superficiel dans lequel excellaient les despotes arabes (à la Gueddafi). El Watan tente-t-il de remettre en selle l'ex soi-disant réformateur après sa première sortie ratée (et lamentable) ? Les intervieweurs lui ont complaisamment offert une planche de salut en lui faisant remarquer qu'il lui a été reproché de s'être adressé à l'armée et pas aux Algériens. Le réformateur a fait mine de reconnaître que le reproche était justifié. Il a également reconnu que "le lieu de naissance posait [désormais] problème". Eh ben voilà ! Encore un peu de courage pour employer les mots qu'il faut et ce sera bon : le régionalisme tribaliste hérité de la guerre d'indépendance bat encore son plein entre les "Marocains" et les "Tuniso-aurésiens". 

Ce "gène  létal", qui faute d'être d'être identifié et clairement nommé par tous, empêchera le pays de parvenir à sa phase adulte, c'est-à-dire de renvoyer les soudards à leurs casernes et d'édifier l'état de droit, civilisé et démocratique

Je remets donc en exergue l'article que j'avais rédigé à la suite de la première déclaration publique de Mouloud Hamrouche, histoire de rafraîchir les mémoires défaillantes. 


Mouloud Hamrouche y est donc allé, lui aussi, de sa déclaration. Le résumé de son propos est simple : « …  la renaissance de notre identité algérienne et notre projet national ont été cristallisés, abrités et défendus, successivement, par l’Armée de Libération Nationale, puis, l’Armée Nationale Populaire... ». Voilà tout est dit : l'Algérie appartient à l'armée ; plus même, l'armée est la condition de possibilité même de l'Algérie. L'antienne mensongère et débile, ressassée jusqu'à la nausée par le pouvoir militaro-policier depuis l'indépendance du pays, a encore frappé.

Rayée d'un trait de plume la longue maturation historique de l'idée de nation algérienne. Exeunt l'émir Abdelkader, fondateur de l'embryon d'État algérien moderne, le cheikh Benbadis promoteur de la réforme morale qui a rendu possible la perception par les Algériens de leur identité (« Nous sommes des Amazighs arabisés par l'islam », qui a dit mieux que cette formule profondément dialectique?), l'émir Khaled, fondateur du premier parti algérien moderne, 'Abdelkader Hadj-Ali (un autre mascaréen), fondateur de l'Étoile nord africaine (ENA), Ferhat 'Abbas dont le long combat a eu le mérite insigne de prouver à tous l'inanité d'une politique d'assimilation.

L'inculture musclée du soudard (on nous dit qu'il aurait été recueilli à l'âge de 15 ans par l'armée des frontières) plastronne sans effort, sans vergogne, sûre d'elle-même et dominatrice. Qu'à cela ne tienne, ils sont encore nombreux les commentaires favorables à celui que l'on honore encore du titre de réformateur, le donnant comme l'homme du consensus, capable de sortir le pays de la crise multiforme dans laquelle l'a plongé le pouvoir militaro-policier. Sans blague ?

Soit. Examinons le CV politique de cet homme qui a eu l'occasion de montrer de quoi il était capable au poste de Premier ministre (1989-1991).

Son sens de la solidarité nationale ? Il s'est immédiatement couché devant le FMI et a brutalement dévalué le dinar de 50 %, vouant à la ruine et au désespoir des millions de petits épargnants (alors que les gros, eux, n'avaient rien à craindre du moment que leurs dinars sont transformés -par quels moyens- en devises fortes, dormant dans les banques européennes et américaines).

Son sens de l'État ? Il s'est entouré de ministres dont certains (Ghazi Hidouci) avoueront que, tapis dans les rouages de l'appareil d'État sous les gouvernements précédents, ils ont consciencieusement saboté toutes les mesures qui n'allaient pas dans le sens de la libéralisation -l'Infitah- qu'ils appelaient de leurs vœux. Et que dire de ces négociations avec les dirigeants du FIS durant la grève insurrectionnelle de 1991, décrétée par ces derniers ? Négociations où il était question de l'usage de la force pour dégager les places publiques occupées par les militants islamistes. Ces négociations se conclurent par un accord au terme duquel le Premier ministre s'engageait à ne pas utiliser la force publique. Que l'État ait renoncé, ce faisant, à ce qui fait son être même en tant que seul dépositaire de l'usage de la violence légitime, que cette chose soit le pont-aux-ânes de la sociologie wébérienne, que voulez-vous qu'en sache un soudard inculte (pléonasme) ?

Son sens tactique ? Promoteur de la ligne consistant à promouvoir le FIS pour fracasser le FLN (ennemi des réformes), le Premier ministre organisa, par le truchement de son ministre de l'Intérieur, Mustapha Mohammedi, la gigantesque fraude électorale au terme de laquelle le FIS rafla la grande majorité des municipalités et des conseils de wilayas du pays. Devant un aréopage d'artistes conviés par lui à désigner un conseil national destiné à remplacer le ministère de la Culture et de l'Information, le Premier ministre, havane au bec, singeant Boukharrouba dans ses gestes, déclarait, en substance, qu'il avait mis dans les pattes du FLN « plus voyou que lui » (le FIS). C'est qu'il n'a pas rencontré dans ses lectures (?) cet adage qui dit que la politique du pire est souvent la pire des politiques. Politique du pire qui balaiera, du reste, son gouvernement de soi-disant "réformateurs" et qui était en réalité une équipe dominée par les infitahistes.

Son sens patriotique ? À chaque mesure d'importance qu'il comptait prendre, Hamrouche sollicitait l'avis du Premier ministre de la France (Michel Rocard). Avis désintéressé ? Les États n'ont pas d'amis ; ils n'ont que des intérêts. Mais ainsi sont ceux des dirigeants algériens qui se gargarisent de ce « nationalisme ombrageux » que les journalistes occidentaux leur prêtent si volontiers : plus ils extériorisent leur nationalisme à la gomme, plus ils sont serviles envers l'ex-puissance coloniale (cas de Messali, de Ahmed ben Mahjoub ben Embarek alias Benbella, de Bouteflika et d'une infinité d'autres ; rappelons que De Gaulle exécrait Ferhat 'Abbas, pourtant fin lettré en français, redoutable orateur, marié à une française, auquel il préférait Benbella « Cet homme ne nous veut pas de mal » disait-il de lui au moment où Ahmed ben Mahjoub vitupérait à qui mieux mieux la France. C'est que De Gaulle savait que le soudard viendrait tôt ou tard baiser la main qui l'avait décoré après Monte Cassino alors que le député de l'Assemblée nationale française qu'a été Ferhat 'Abbas, aux convictions patriotiques affirmées et cristallisées dans une longue expérience de la culture démocratique française, ne viendrait jamais à résipiscence.)

Pour en revenir à sa déclaration par laquelle il se pose en recours national, Hamrouche s'est-il avisé qu'elle est peut-être -qu'elle est sûrement pour ceux qui la lui ont soufflée, en tout cas- une machine infernale lancée dans les gencives du BTS et de Benflis en particulier ? Un homme de l'est contre un autre de l'est : « Odhrob qolla be qolla » (un clou chasse l'autre). De plus, cela permet d'enterrer Benhadid, et derrière lui, Zéroual.

L'inviincible Milice d'Alger
Après trois siècles de domination de l'Odjaq, l'Algérie, pressurée à mort par les Janissaires, était devenue une proie tentante pour les nations de la méditerranée qui vouaient une haine inexpiable à la piraterie maritime (ennemie du libre commerce) pratiquée par un Odjaq insatiable. Et quand les Français l'envahirent, ils ne trouvèrent finalement, face à eux, qu'un jeune homme, plus doux rêveur que guerrier, féru de poésie et de philosophie, qui tint tête à ce qui était, alors, la première armée du monde, pendant quinze ans. Où donc était "L'invincible Milice de la Régence", les soudards janissaires ? Débandée au premier affrontement.

Que ceux qui ânonnent après leurs maîtres que « notre armée est le bouclier de la nation » méditent le rappel historique précédent et celui qui va suivre : la "terrible" armée de Saddam Hussein a été balayée en deux temps trois mouvements parce que les yankees avaient pris soin auparavant d'acheter ses chefs. Quelques millions de dollars pour épargner nos boys, OK ? À bon entendeur...

vendredi 21 mars 2014

MÉMOIRE EN FRAGMENTS : CHRONIQUES SALADÉENNES (6)



LE DÉRACINEMENT

Nous déménageâmes durant l'année 1948 ou 1949 : l'estimation que je tente ici se fonde sur le fait que j'ai été scolarisé en 1949 ; or, j'ai le souvenir que c'était peu après notre arrivée au village. Je n'ai absolument rien gardé de ce déménagement, événement considérable pourtant. Le traumatisme a dû être tel que mon équilibre personnel a certainement exigé qu'il ne reste rien d'autre de l'épisode qu'une page blanche. Une image, pourtant, une seule m'en demeure : celle de ma mère, tenant son dernier fils dans ses bras et moi accroché à ces jupes et intimidé par cette très grande pièce nue où nous nous tenions. Nous venions d'arriver dans la journée ; mon père était sorti nous laissant là. Le vieux bébé -il avait tout de même près de trois ans et il tétait encore- braillait et ma mère n'arrivait pas à le faire taire, ce qui majorait mon angoisse. Alors, elle eut l'idée de le faire jouer avec le seul objet qui s'offrait à elle, la prise de courant électrique située à hauteur d'homme sur le mur. Ma mère ne savait évidemment pas à quoi pouvait servir la chose, pas plus qu'elle n'avait la moindre idée de ce que pouvait être l'énergie électrique. Elle saisit l'index de son fils et l'introduisit dans le trou ; comme l'exercice semblait intéresser le bébé, elle lui mit deux doigts. Le hurlement qu'ils poussèrent tous les deux, j'ai l'impression que je l'entends encore. Il me fit littéralement sauter avec les cheveux dressés sur ma tête. Ma mère absolument terrorisée, alla se réfugier dans un coin de la pièce. Je suppose qu'elle devait penser que c'étaient les génies malfaisants des lieux qui avaient frappé parce que nous n'avions pas sacrifié au rite de prise de possession de la maison et que nous avions, de ce fait, offensé la Maîtresse des Lieux. Un rite de ce genre ? Il ne fallait pas y songer avec l'ennemi déclaré de la superstition qu'était son mari. Quand celui-ci rentra, qu'il nous trouva prostrés et qu'il apprit ce qui s'était passé, il fut partagé entre le rire et le choc rétroactif de ce qui aurait pu arriver. Quant au vieux bébé, la décharge électrique l'avait calmé pour de bon. Je confesse qu'il m'arrivera par la suite, lorsque ses braillements mettront mes nerfs à rude épreuve, de penser que ma mère aurait été bien avisée de l'emmener de nouveau exercer la dextérité de ses menottes dans les petits trous qui secouent. 

GARSSIYA

Ma mère prononçait ainsi le nom de M. Garcia, l'homme à qui mon père avait acheté la maison. Or, M. Garcia habitait encore avec nous ! Il occupait une pièce dans une aile de la vaste maison à patio, patio qu'il devait traverser pour se rendre aux toilettes, des cabinets d'aisance à la turque surélevés par une maçonnerie en briques ; le trou était un entonnoir en fonte au périmètre extérieur très large, ce qui obligeait les enfants que nous étions à une gymnastique périlleuse : j'ai toujours eu la peur au ventre quand je me rendais dans ce lieu obligé ; je m'y voyais tombant dans le trou et finissant ma chute dans la fosse septique. Il n'y avait pas de tout-à-l'égout au village. Le cabinet fermait par une porte faite de planches jointes approximativement de sorte qu'il demeurait des espaces entre elles. Nul loquet ou verrou n'assurait l'intimité des usagers. Alors, lorsque M. Garcia utilisait des lieux, il s'enfermait en passant sa large ceinture de cuir dans les interstices des planches de sorte à avoir la porte fermée et bien en main ! Ensuite de quoi, il retournait à petits pas mesurés dans sa chambre. Ses allers-retours aux toilettes avaient lieu avec ponctualité deux fois par jour et étaient précédés par un signal sonore, la toux sépulcrale qui nous faisait si peur. On entendait, en effet, M. Garcia tousser la nuit et expectorer avec peine et de longs râles. Ce fut un motif d'angoisse pénible pour moi que cette toux, cette respiration difficile et constamment encombrée ; je ne savais pas alors que si j'étais tellement oppressé par la respiration de M. Garcia, c'est que j'étais moi-même asthmatique. Le souffle court de ceux qui sont atteints de cette affection doit les rendre inconsciemment attentifs à la respiration des autres et également au volume d'air qui parvient à leurs propres poumons. 

Pourquoi M. Garcia habitait-il encore avec nous ? Je me posais la question, la posait à ma mère qui n'avait pas la réponse. Si cette situation m'intriguait, c'est que je n'arrivais pas à me représenter un vieillard vivant seul, sans les membres de sa tribu grouillant autour de lui. Alors, je commençai de me prendre de pitié pour le vieil homme, je n'eus plus peur de lui ni de sa toux et, quand il traversait le patio pour aller au petit coin, je ne me sauvais plus dans la grande pièce. J'osai même le regarder avec curiosité passer devant moi de son pas incertain, glissant plus qu'il ne marchait. Et, un jour, il marmonna quelque chose qui m'était sans conteste destiné puisque j'étais seul dans le patio, guettant son passage. Je ne compris pas ce que le vieillard avait dit mais cela n'avait pas l'air d'être hostile.

Je me dis aujourd'hui que la présence de M. Garcia dans la maison était sûrement le résultat d'un contrat de vente en viager entre lui et mon père. M. Garcia était donc ce que l'on appelle un crédirentier. Cela dit, j'imagine mal mon père décortiquant un contrat immobilier : d'abord parce qu'il était illettré ; ensuite parce que la parole donnée valait tous les contrats du monde pour lui.

La chambre de M. Garcia avait une entrée indépendante, une porte donnant sur la rue, en sorte qu'il pouvait recevoir sans que nous fussions ni dérangés ni même au courant. La seule personne que je vis jamais lui rendre visite était sa fille Paulette. Peut-être y eut-il d'autres visiteurs ? Peut-être avait-il des amis ? Je ne vis jamais une autre personne que Paulette pour la simple raison que, quand elle venait voir son père, elle ne manquait pas de passer dans le patio pour nous saluer et discuter avec ma mère ; souvent alors, elle me prenait dans ses bras et me serrait contre elle. Je garde d'elle une trace olfactive, quelque chose comme une fragrance boisée, et les tâches de rousseur qui constellaient son visage et lui donnaient un air espiègle et joyeux. Paulette était une femme blonde de taille élancée -du moins m'apparaissait-elle ainsi- et d'une exquise douceur. 

Et, un jour, Paulette vint en compagnie d'un homme et d'un camion. Elle emmenait son père vivre chez elle. Paulette vint nous dire adieu ; elle nous embrassa tous ; j'eus droit à plus d'effusions que les autres membres de la famille car j'étais, à l'évidence, le préféré de Paulette. Je fus très triste de voir M. Garcia partir car je savais que je n'allais plus revoir sa fille. C'est ainsi que mon premier vrai contact avec les Blancs eut lieu -si l'on excepte la vision fugace et perturbante de M. Sempéré descendant de sa Jeep.

LA CELLULE 

La maison comportait une vaste cour intérieure et cinq pièces distribuées tout autour d'elle. Une sixième pièce, qui devait sans doute servir de débarras, se terrait littéralement au fond de la cour, à côté des toilettes. Un jardin et deux bassins jumeaux, l'un servant à laver le linge, complétaient l'ordonnancement général d'une maison de maître ordinaire. L'une des cinq pièces était cependant isolée des autres ; elle était placée dans un coin du patio, près du portail d'entrée. Ma mère allait en faire sa « cuisine », délaissant la grande pièce prévue à cet effet, avec son potager en carreaux de faïence rouge et son grand placard faisant office de ce que l'on appelait, à l'époque, un garde-manger. 

Ma mère n'aimait pas cette grande pièce très mal éclairée, ne comportant qu'une fenêtre étroite au-dessus du potager et une porte basse. Le souvenir de la grande secousse ne devait pas être non plus étranger à cette détestation... Donc la petite pièce isolée dans la cour devint le lieu de vie véritable de la famille. C'est qu'il y avait là une cheminée ! Et là où il y a cheminée, il y a intimité. Une famille n'est-elle pas dite feu ? Chez les Arabes, une maison sans feu est synonyme d'indignité -rien ne cuit, rien n'est donc prêt pour accueillir le voyageur et lui assurer le couvert, comme le prescrit la loi sacrée de l'hospitalité-, ou de mort. La mort est celle qui éteint les feux. Il y avait donc toujours un feu allumé dans la cheminée de la petite cuisine ; c'est là que ma mère préparait et faisait cuire les repas. La gazinière, ce sera pour beaucoup plus tard. Il n'y avait pas de réchaud à pétrole non plus. De toute façon, ma mère ne savait pas faire cuire autrement que sur un feu de bois sa délicieuse chorba. Plus tard, quand nous aurons un réchaud à gaz, elle ne l'utilisera que pour faire chauffer de l'eau, et encore pas celle de son sacro-saint café qu'elle préparait invariablement sur son seul brasero.

Quand mes sœurs étaient de passage et qu'elles passaient la nuit chez nous, c'était pour moi l'occasion d'un bonheur inégalé : le soir, après le dîner, tout le monde se serrait autour de la cheminée ; ma mère -avec l'inévitable vieux bébé lové dans son giron- discutait avec ses filles et moi, je m'allongeais au bord de la cheminée et je me laissais aller à la contemplation du feu. Ma fascination était telle que j'en oubliais complètement le monde qui m'entourait et dont ne me parvenait plus qu'un vague murmure mélangé au crépitement discret du sarment et des souches de vigne qui brûlaient si bien. De plus, j'avais trouvé dans le jardin, à demi enterré, un minuscule jouet. Il s'agissait d'un vacher yankee, un cow-boy, auquel manquait son cheval car le personnage avait les jambes outrageusement arquées. 
ACCODO

La figurine avait un bras en l'air et l'autre replié sur la poitrine ; j'en déduisis qu'elle tenait quelque chose. Je découvrirai plus tard, après que je me serai gorgé d'illustrés, qu'il s'agissait d'un lasso. Sur le fond du pantalon, il y avait une inscription que je ne saurai déchiffrer que plus tard, quand j'aurai été scolarisé : ACCODO. Je passerai des heures au coin du feu à inventer à ma figurine des aventures extravagantes qu'elle mènerait toutes à bien car elle ne pouvait pas faire autrement. Accodo sera le seul jouet que j'eus jamais, exception faite d'un pistolet qui eut un sort funeste et dont je parlerai plus loin. Aujourd'hui encore, une cheminée est inséparable pour moi de mon compagnon Accodo. Et, bien plus tard, j'apprendrai par Gaston Bachelard le pourquoi de cette fascination du feu.

De même, j'apprendrai que la petite cuisine servait de lieu de réunion à la cellule communiste du village. Je compris alors comment mon père a pu connaître M. Garcia et pourquoi Paulette était si naturelle, si humaine, dans son comportement avec nous. Mon père fera construire sur une partie du jardin un garage avec une vaste soupente en planches ; j'y passerai de longues heures dans la solitude et le silence à lire ce que l'on appelait les illustrés et que l'on nomme aujourd'hui bande dessinée. Il me semble que l'appellation ancienne voulait bien dire que priorité était donné au texte, le dessin n'intervenant qu'à titre d'illustration. Au lieu de quoi, bande dessinée privilégie le trait, la composition picturale.

mardi 18 mars 2014

ÉPHÉMÉRIDES (4) : HARO SUR LE BTS !


Les analystes et observateurs de la scène « politique » algérienne se perdent en conjectures sur la signification exacte du retour en force de deux anciens « Premiers » ministres : Ahmed Ouyahia, nommé ministre d'état, directeur de cabinet du Président de la république ( = Khodja du Dey) et Abdelaziz Belkhadem, nommé ministre d'état, conseiller spécial du Président (= rien, emploi fictif).

Les suppôts de la SM veulent voir là une revanche de leur chef, Médiène, arguant que Ouyahia est proche de lui. (Mais alors quid de Belkhadem ? ) Nous, on ne voit pas pourquoi Ouyahia serait assez stupide pour lier son sort à un Médiène qui a un quintal de plomb dans l'aile et qui se rapproche du sol à la vitesse V. Les larbins de la SM, encore traumatisés par la volée de bois vert à leur Dieu assénée par le drabki, s'essaient à la méthode Coué : « Allez les gars ! On y croit ! ». C'est ça, croyez-y...

Ces gens-là ne se sont pas avisés de deux faits qui n'ont l'air de rien mais qui expliquent beaucoup de choses. Il s'agit des deux petites phrases prononcées par le transfuge du RCD, Amara Benyounès (qui a rejoint, précédé en cela par la gauchiste-féministe Khalida Toumi,  Dar Es-Soltane où il y a une grande mangeoire) et par le Premier ministre  (qui a revêtu les habits de commis voyageur du Dey). Le premier a dit « Maudits soient ceux qui ne nous aiment pas ! » et le second : « À Constantine, on dit : "Chaoui, sauf ton respect" ». Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que les propos des deux hommes visaient leur ennemi N°1, le BTS et son candidat à la désignation deylicale, Ali Benflis. 

Les nominations des deux anciens Premiers ministres apparaissent  dès lors sous leur vrai jour : un Kabyle et un Oranais pour renforcer le front anti-BTS. Les petites phrases, elles, ont pour fonction d'exciter « l'ennemi » et de l'amener à donner de lui-même l'image dégradante de la foule hystérique (dont les musulmans, sous toutes les latitudes, offrent le spectacle lamentable, chaque fois qu'ils estiment leur religion profanée. Mais à ce compte-là, que devraient dire -et faire- les Chrétiens ?). Et ça a marché ! Avec, à l'avant-garde de la foule vociférante, les étudiants de l'université Hadj-Lakhdar de Batna ! 

Si les éditorialistes et autres chroniqueurs des médias ne s'avisent pas de cette lecture des faits, c'est parce qu'ils sont aveuglés par leur croyance en la « politologie » positiviste à la mode occidentale. Et de ruminer à partir des catégories creuses et ronflantes : État (y a-t-il vraiment un État en Algérie?), Nation (les Algériens sont-ils vraiment aptes à vivre ensemble?), Institutions (lesquelles?), Société civile (où est-elle, où?)... Mais s'il n'y rien de tout cela, qu'y a-t-il alors ? 

Utilisons une métaphore freudienne pour éclairer notre propos. Dans sa longue marche vers la réalisation de soi (= la génitalité adulte), la libido peut être représentée par une armée qui avance de garnison en garnison (= les stades de la sexualité) avec, à chaque étape, un délestage en hommes pour protéger la garnison (= intensité de la satisfaction), nous dit Freud. Supposons, ajoute-t-il, que l'armée ait à affronter un ennemi quelconque (= difficulté de se satisfaire), maintenant que ses effectifs sont insuffisants, qu'aura-t-elle tendance à faire ? À revenir en arrière, vers la garnison où elle a laissé le plus d'hommes (=là où sa satisfaction a été la plus grande, la libido infantile). 

La marche de la société algérienne vers la réalisation de soi (= la satisfaction de ses aspirations à la liberté et à la prospérité) ayant été entravée plusieurs fois (par le socialisme de la misère et l'islamisme des gueux, tous deux congruents avec le despotisme asiatique des soudards de l'Odjaq), cette société régresse vers son stade infantile = le tribalisme et le maraboutisme. Les segments modernistes de la société ne suffisent plus à donner le change, il faut en prendre acte. Le clanisme tribal musclé plastronne sans vergogne et c'est cela qui confère sa couleur à l'ensemble de la problématique algérienne.

Un dernier mot pour finir en rêvant : quelle plus intelligente riposte auraient pu trouver les étudiants de Batna que celle de proposer de rebaptiser leur université BACHIR CHIHANI (et de réserver le nom de Hadj-Lakhdar à la mosquée du 1er novembre 1954 pour la construction de laquelle il s'est tellement investi). 

Bachir Chihani, natif d'El Khroub, lettré bilingue et badissi pur sucre, militant du MTLD à Béchar (!) et dans l'Aurès (où il a appris le chaouiya), bras droit et homme de confiance de Mostfa Benboulaïd, remarquable organisateur et baroudeur, ('Abdelhamid Benzine m'a dit beaucoup de bien de lui) assassiné par les tribalistes barbares (Abbès Laghrour et 'Adjoul 'Adjoul), Bachir Chihani symbole s'il en est de patriotisme moderne.

vendredi 14 mars 2014

ARLEQUIN À NUMANCE



'Abdelkader 'Alloula, grièvement blessé par balles le 10 mars 1994, décédera le 14 mars 1994, il  y a 20 ans. Son assassinat ne fut revendiqué par personne, les commanditaires d'un acte aussi abject étant bien trop lâches pour assumer leur responsabilité. Ce texte, en hommage à celui dont j'ai eu le privilège d'être très proche, a été écrit en 1999 et publié dans la revue "Coups de théâtre".


Il lui avait donné rendez-vous au café "le Djurdjura". Le journaliste n'y avait jamais mis les pieds ; mais quand il fut aux abords des lieux, il ne put s'empêcher d'éprouver de la gêne. "Décidément, cet homme-là ne faisait rien comme les autres", se dit-il.

Situé à l'orée de la vieille ville, noyau originel de la cité sur lequel veille, énigmatique et imperturbable, le saint patron des puisatiers1, le café était idéalement placé pour s'offrir comme une halte bienvenue aux dockers qui remontaient du port, leur travail fini, en direction du téléphérique qui leur ferait enjamber la large faille bordant la ville pour les déposer sur les flancs de la montagne tutélaire où s'accrochent, dans un désordre indescriptible, leurs maisons hâtivement construites à coups de parpaings.

Par une rue adjacente, les éboueurs arriveraient en groupes compacts, sortant des entrepôts du service du nettoiement, coincés, tout près de là, entre l'imposante muraille du fort espagnol et les jardins du mess des officiers où il n'y a pas si longtemps une gazelle les regardait passer avec des yeux de velours débordant de nostalgie. Leur chef charismatique, un petit homme noir et bossu qui s'y connaissait en animaux, prétendait qu'elle était nourrie exclusivement de bon tabac blond américain. Il s'empressait toujours d'ajouter que les pauvres bêtes du jardin public n'avaient pas droit, elles, à un pareil traitement ; et tout le monde se lançait alors dans une glose interminable sur la place respective des humains et des animaux dans la société. Le débat deviendrait encore plus vif au café car les dockers avaient une vision des choses et des bêtes sensiblement différente.

Le café était bondé. Dès l'entrée, l'odeur âcre du tabac brun, de la respiration et de la sueur des hommes entassés dans ce long boyau enfumé, le prit à la gorge. Les vociférations des clients, les hurlements du garçon lançant ses commandes au comptoir, le brouhaha de la place où se concentrent les terminaux des lignes d'autobus, rendraient vaine toute tentative d'enregistrer la conversation, pensa le journaliste. "Quelle idée de fixer un rendez-vous pour un entretien dans un endroit pareil !" se dit-il, passablement dépité.

Car il était décidé à "aller plus loin", comme l'on dit dans le jargon de la profession, avec celui qui venait de faire un énorme pied de nez au public. C'est du moins ce que le journaliste avait pensé au spectacle de cette pièce de théâtre qui, en rupture brutale avec tout ce que l'homme de l'art avait réalisé depuis plus de deux décennies, renouait avec le divertissement aimable et frivole, les costumes chatoyants et l'intrigue aux enchaînements conventionnels. Le journaliste entendait lui en demander raison ; il avait affûté ses arguments, construit un questionnement implacable en espérant entendre, et en le redoutant tout à la fois, l'aveu d'un échec du théâtre engagé. Mais l'époque, après tout, n'était elle pas celle de l'échec des engagements, comme se plaisent à le dire les faiseurs d'opinion ? Alors, un échec de plus ou de moins...

Le journaliste avait consulté une dernière fois ses fiches et repassé dans sa tête le film des questions et les postures qu'il était de bon aloi pour un homme de la plume d'afficher :

"- 'Abdelkader 'Alloula, vous venez, contre toute attente, de traduire et de réaliser "Arlequin, serviteur de deux maîtres'' de Carlo Goldoni ; ce choix, qu'il vous faudra motiver, n'est-il pas la négation même de toute votre quête dramaturgique depuis près de trois décennies ?

 - 'Abdelkader 'Alloula, comment le brechtien convaincu que vous êtes, l'explorateur passionné du théâtre halqa populaire, le metteur en scène scrupuleux, à qui n'échappe pas le moindre détail, le comédien et le directeur de jeu exemplaire et exigeant, qui a donné au verbe la prééminence sur le corps et sur l'espace, qui a tenté une synthèse et un dépassement de Diderot, Stanislavsky et Brecht, peut-il expliquer ce retour à la commedia dell'arte et accepter de courir le risque de retomber dans la stéréotypie des personnages, l'inconsistance du texte et l'improvisation dans le jeu, aux seules fins, qui plus est, d'un divertissement dans le sens le plus classique du terme ?

-Pour le dire autrement, 'Abdelkader 'Alloula, vous, le pourfendeur obstiné de ce que vous appelez le théâtre d'agencement aristotélicien, c'est-à-dire de cette trinité, la mimésis, la catharsis et l'identification, qui constitue, selon vous, l'épine dorsale du théâtre bourgeois, ne pensez-vous pas que vous ayez remis en selle, aujourd'hui, ces catégories aristotéliciennes si décriées ?

-Enfin, 'Abdelkader 'Alloula, votre théâtre s'appliquait, jusqu'ici, à mettre en scène le petit peuple des cités, les simples gens aux prises avec les nécessités de la survie. Vous teniez la gageure de produire de l'art, donc du beau, à partir d'une réalité occultée par la tradition esthétique dominante. Et voilà aujourd'hui les classes oisives et aisées de retour sur votre scène ! Alors ? "

Le journaliste avait gardé pour la bonne bouche quelques questions subsidiaires. "Sait-on jamais, s'était-il dit ; une fois que j'aurai fait donner la grosse artillerie, peut-être sera-t-il nécessaire de lui ménager une porte de sortie... Et puis, l'homme a de la ressource... j'aurais peut-être besoin moi-même de quelque esquive..."

"- 'Abdelkader 'Alloula, "Arlequin", n'est-ce pas aussi une manière, malicieuse et fraternelle certes, de vous démarquer, encore une fois, de votre alter ego, Kaki2? Lui, Piscator, vous, Brecht ; lui, Carlo Gozzi, vous Carlo Goldoni ; lui la fable et le merveilleux, vous, le réalisme et l'enquête sociologique ?

- 'Abdelkader 'Alloula, personne ne croira, connaissant votre culte de la métaphore et du non-dit, que ce "serviteur de deux maîtres'' soit un choix innocent. Que vouliez vous suggérer par là ? L'impossibilité de concilier les contraires ? Ou l'inanité d'un choix entre deux solutions également dommageables ?

- 'Abdelkader 'Alloula, que peut proposer le théâtre face au déferlement de haine et de violence qui ravage le pays ? Ne pensez vous pas que c'est son existence même que le théâtre est en train de jouer dans cette tourmente ?"

Quand il sortit du café, le journaliste fut long à retrouver les bruits de la ville et la normalité du réel. Rien ne s'était passé comme il avait eu l'outrecuidance de le penser et il s'apercevait que beaucoup de choses échappaient encore à sa perspicacité. Le dramaturge avait parlé avec douceur et timidité ; comme toujours ; mais il y avait une grande tristesse dans sa voix et une expression étrange zébrait, par moments, son regard ; quelque chose qui pouvait être une angoisse sourde perçait dans son propos. Il avait dit :

"- Nous sommes en 1993 et nous entendions célébrer le bicentenaire de la mort de Carlo Goldoni, celui-là même qui lutta contre la décadence de la commedia dell'arte et sa récupération par les classes parasitaires. Nous nous inscrivons dans l'universalité. Goldoni nous appartient comme les "Mille et une nuits" appartenaient à Carlo Gozzi1. Nos recherches sur le théâtre nous ont mené à Goldoni et à Aristote eux-mêmes, avant que la bourgeoisie ne se fût emparée d'eux et ne les eût défigurés.


Nous sommes en 1993 et le message de notre ami Bertolt Brecht est plus que jamais présent en nous, dans notre réflexion, dans notre travail. “ Nous déduisons notre esthétique comme notre morale des besoins de notre combat ”, disait il. Aujourd'hui, face à la montée des périls, nous estimons que l'art est plus que jamais sommé de prendre sa place, et sa part, au combat. Alors, nous avons choisi de nous adresser à la masse de nos jeunes, que nous sentons de plus en plus sensibles à la séduction de la destruction et de la mort. Que pouvions-nous, en tant qu'artistes, opposer à la majoration de la pulsion de mort, sinon le spectacle magnifié des jeux éternels de l'amour, de la beauté, de la vie, et l'offrir à ceux qui en sont si injustement et si cruellement privés ? L'art n'est pas tenu d'apporter une réponse symétrique aux problèmes de la société, mais une réponse spécifique. Le théâtre ne peut rien proposer d'autre qu'un divertissement.

Simplement, nous pensons que ce divertissement peut, et doit selon notre conception propre, s'articuler à une recherche du vrai. S'il en est ainsi, alors le théâtre est, comme toute recherche de la vérité, une aventure incertaine et risquée, où un péril mortel peut jaillir, à chaque instant, au détour d'une apparence bousculée ou d'un simulacre renversé. Oedipe, dans sa quête terrifiante, a indexé définitivement cette tradition dans laquelle nous nous inscrivons quoi que nous fassions. On ne part pas impunément à la recherche du vrai, certes ; mais où résident la grandeur d'Oedipe et le génie de Sophocle ?

Permettez moi, pour finir, d'oser cette image que me suggère votre question sur le devenir de notre art. Notre théâtre se tient aujourd'hui en ce lieu où il lui faut tutoyer la mort, comme Hamlet dialoguant avec le crâne de Yorick. Mais le dialogue ne commence-t-il pas justement au moment même où l'homme se dédouble et se met à contempler son image, maintenant détachée de lui et lui faisant face, celle du néant ? Le théâtre a l'éternité de l'homme devant lui." 


Les mots du dramaturge résonnaient dans la tête du journaliste comme un sinistre présage. Tout prenait le ton et la forme d'une sombre prophétie, chahutée cependant par des éléments scabreux, exorbitants de la juridiction de la tragédie antique, scellée à jamais dans ses codes implacables.

Il faut dire, en effet, qu'il y avait, faisant cercle autour d'eux, assis sagement et observant un silence pieux, les éboueurs et les dockers. Ils écoutaient avec attention, même s'ils ne comprenaient pas tout ; leurs deux chefs respectifs, le petit homme noir à la gibbosité aussi célèbre que son verbe véhément et coloré et le patriarche à la barbe blanche et aux lunettes d'écaille à la monture rafistolée avec du sparadrap, se chuchotaient mutuellement à l'oreille, par moments, et confrontaient des chiffres sur des bouts de papier. Ils attendaient que l'entretien prît fin pour entamer avec le dramaturge un autre débat : sur quelles bases répartir l'argent collecté pour venir en aide aux ouvriers chômeurs de la grande entreprise de bâtiment, ruinée par le pillage fabuleux dont elle fit l'objet de la part d'hommes d'influence et de ses propres cadres ?

Le journaliste fit quelques pas en direction de la place et s'arrêta brusquement, comme touché par la grâce. Ça y est ! Il avait le titre de son article : "Arlequin contre la barbarie". Percutant. Emblématique. Un rien énigmatique. Il repartit, guilleret, d'un bon pas, mais s'arrêta tout aussi brusquement, comme rappelé à l'ordre, désagréablement. “Le mot "barbarie" ne fait pas partie du lexique de cet homme. Je n'ai pas le droit... ”

Il demeura un long moment songeur, debout, sur le trottoir. Et puis, subrepticement, un mot, un nom s'imposa à lui, finit par accaparer la scène tout entière de sa conscience claire ; un nom coupé de toute signification. Numance... Numance... Numance... II Ie considéra avec curiosité, puis avec perplexité et comprit soudain d'où il venait et pourquoi il était là. Il y a près de 25 ans, le dramaturge avait adapté et mis en scène "Numance", de Cervantès.

La gorge serrée, la poitrine oppressée, le journaliste se rappela la scène finale de la pièce. Les Numantins, assiégés par les Romains, préfèrent, après une longue et héroïque résistance, se donner collectivement la mort, refusant de se rendre ; le seul survivant, un adolescent, se tue devant Scipion plutôt que de lui remettre les clés de la cité. Le général vainqueur était vaincu par la mort de ses adversaires.

Le journaliste sut, alors, qu'il n'écrirait pas son article.


NOTES 
                                                                                          1)Sidi-Lahouari, le saint patron de la ville d'Oran également.
2) Kaki Ould Abderrahmane, grand dramaturge, l'inventeur du théâtre algérien moderne.
3) Allusion à « L'oiseau vert » de Carlo Gozzi, adaptée d'un conte des 1001 nuits.

dimanche 2 mars 2014

ÉPHÉMÉRIDES (3) : JANISSAIRES ET MAMELOUKS


Explication : Hamrouche a été chef du protocole du président Bendjedid et il apparaissait souvent à côté de lui tenant un parapluie déployé au-dessus de la tête du chef.

Donc, Hamrouche a fait pschiiiitt. Il ne présente pas sa candidature à l'Odjaq pour être éventuellement désigné Dey de la Régence et appelle -prudemment- de ses vœux la destitution du Dey actuel par les jeunes Janissaires (ce qui est un pléonasme puisque yenni ceri veut précisément dire nouvelle milice). Cela étant, les médias algériens (on peut légitimement se demander si cette expression est appropriée tant pullulent les policiers déguisés en journalistes) et autres chroniqueurs et politiciens qui ont encensé « l'homme du consensus » ne se sont apparemment pas aperçus que Hamrouche ne s'est à aucun moment adressé à la société civile mais seulement et constamment à l'Odjaq (que le sociologue pertinent et efficace, Mohamed Hachemaoui, par ailleurs universitaire-chercheur vrai -pas de ces faux chercheurs qui ne cherchent rien et ne trouvent rien mais qui plastronnent-, appelle « le collège des prétoriens »). Que le peuple soit ainsi mis aux abonnés absents ne gêne personne car, au fond de soi, chaque Algérien est pénétré de l'idée que rien ne sera possible sans violence et qu'à ce titre, force restera toujours aux porteurs d'armes. En d'autres termes, Hamrouche s'est adressé par-dessus la tête des Algériens à ses pairs soudards, à son club, un entre-soi où la piétaille est une variable d'ajustement que l'on articule seulement à l'occasion des grands règlements de compte.

Un homme, toutefois, a osé s'en prendre à Hamrouche et à Benflis : 'Ali Yahia 'Abdennour. Sur le site électronique TSA, 'Ali Yahia estime que les deux susnommés sont incapables de réformer le système car ce sont justement des hommes du système. Première contre-vérité : les hommes d'un système sont tout aussi capables que d'autres de le faire exploser, l'essentiel étant de savoir s'ils en tireraient profit et dans quelles proportions : l'exemple de l'ex-URSS s'offre comme cas d'école pour ceux qui veulent se donner de la peine et réfléchir un tant soit peu au lieu de dévider des âneries.

La seconde n'est pas à proprement parler une contre-vérité mais plutôt une contradiction interne : 'Ali Yahia s'exonère un peu trop rapidement de son appartenance à ce qu'il appelle le « système » : n'a-t-il pas été ministre de l'Agriculture et de la Réforme agraire de Boukharrouba en 1967 ?

[En visite dans mon village, Rio-Salado, en cette année 1967 justement, 'A.Y. avait inspecté le domaine autogéré anciennement « Germain », autrement appelée "La Mitidja", immense hacienda entre Oued El Malah et Chaabat El Leham. Au cours de son inspection, il s'en était pris à un ouvrier et l'avait violemment giflé. La chose me fut rapporté par les ouvriers du domaine auxquels j'avais donné des cours d'alphabétisation et expliqué les Décrets de mars 1963 portant autogestion dans les locaux de « ma » MJC (cf sur ce blog L'été meurtrier). Cet homme s'est fait défenseur des droits humains...]

Mais il y a peut-être une autre explication à cette sortie de 'A.Y. : il ne peut pas dire que Hamrouche et Benflis sont disqualifiés pour diriger l'Algérie car ils appartiennent au clan de l'est ; il ne le peut pas parce qu'il a un bœuf sur la langue, étant lui-même un homme de clan (de secte si l'on veut) puisqu'il est farouchement berbériste. J'ai rapporté ici même (cf article « Gouverner par le complot ») comment son sectarisme a ruiné les efforts unitaires pour édifier une ligue des droits de l'homme vraiment représentative.

L'Algérie, semblable à ce taxi clandestin bourré de passagers tous aussi escrocs les uns que les autres (le magnifique film de Bénamar Bakhti, « Le clandestin », avec un 'Othmane 'Ariouet sublime en faux docteur et une Ma Messaouda en faux moudjahid), va cahin-caha vers son destin : un règlement de comptes final de type western yankee (dernière scène désopilante du film).

Pour avoir vécu sous le joug pluriséculaire d'un despotisme asiatique, celui des Mamelouks et celui des Janissaires, est-il si étonnant que l'Égypte et l'Algérie suivent le même chemin de perdition ? Celui de l'idolâtrie de l'armée. « El Guich el misri el 'Azim » pour les Égyptiens et « Notre glorieuse ANP, digne héritière de l'ALN » pour nous. Antiennes meurtrières, mensongères et stériles qui empêchent une nation de devenir adulte.