braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

vendredi 25 décembre 2015

FERHAT 'ABBAS



Ferhat Abbas nous a quittés, il y a 30 ans, le 24 décembre 1985. Son nom, comme celui d’autres personnalités bannies d’existence durant plusieurs décennies, est revenu sur l’espace public national après octobre 1988.Pourtant, explique Malika Rahal, historienne, chargée de recherche à l'Institut d'histoire du temps présent (CNRS), les clichés et les stéréotypes sur le parcours politique du premier président du GPRA restent tenaces.
De même que son positionnement post-indépendance contre la mise en place d'un système autoritaire est peu évoquée. Une remise en perspective passionnante sur un homme encore méconnu.

HuffPost Algérie : Quand on remet en perspective les différentes expériences et, surtout, les actions qui ont rythmé le mouvement national algérien, quel est le portrait qui résumerait le mieux le vécu politique de Ferhat Abbas ?

Ce qui est remarquable dans le parcours de Ferhat Abbas, c’est son exceptionnelle longévité qui fait qu’il a plusieurs vies en politique. Il multiplie les expériences et les engagements, et il évolue dans ses opinions d’une façon qu’on n’a parfois pas su voir, au risque de faire de lui une personne anachronique et décalée.



Né en 1899, Ferhat Abbas a été un élève de l’école française, il fait partie de la minorité issue de la population colonisée ayant accès aux études comme cadre de l’Association des étudiants musulmans d’Afrique du Nord (AEMAN), avant devenir élu local puis lieutenant du Dr Mohammed Bendjelloul à la tête de la Fédération des élus musulmans algériens fondée en 1927.

Dans les années 1920 et 1930, c’est par la plume qu’il se fait connaître avec la volonté de sortir la population de la pauvreté par l’éducation. Il est alors au cœur du courant Jeune Algérien et défend en 1936 le projet Blum-Violette. Il est alors assimilationniste avec une radicalité qu’on ne peut comprendre si on l’observe à partir de la situation de 1954, mais qui, à son époque, est réelle.

Préoccupé par le devenir de la paysannerie, et convaincu que la politique, c’est le nombre, il fonde avant la seconde guerre mondiale un éphémère parti de masse, l’Union populaire algérienne (UPA, 1938). Les notables comme Bendjelloul jugeaient alors difficile à suivre cette rupture avec les formes d’engagement de la Fédération des élus, et Abbas s’est alors entouré d’hommes plus jeunes et plus militants.

C’est sur la base des mêmes principes républicains, égalitaristes et anticolonialistes qu’Abbas évolue durant la seconde guerre mondiale vers la revendication d’une citoyenneté désormais algérienne. Grâce à des hommes plus jeunes, notamment ses lieutenants Ahmed Boumendjel et Ahmed Francis, le contact était possible avec les nationalistes du PPA de Messali durant les intenses discussions qui aboutissent à la production d’un document fondamental, le Manifeste du peuple algérien, en février 1943.

Abbas y défend une République algérienne démocratique et sociale. Les autorités françaises prennent alors très au sérieux son influence grandissante, d’autant que se crée autour du Manifeste une Association des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML) qui rassemble en quelques semaines, dit-on, jusqu’à 500 000 membres. Les chiffres sont incertains, mais le succès ne fait aucun doute.

C’est après le Congrès musulman de 1936 et avant le Front de Libération nationale, le second front anticolonialiste. La répression de mai 1945, notamment dans le Constantinois, à Sétif et Guelma, montre bien qu’aucune expression politique ne serait tolérée par les autorités. Durant cette période, les Européens font de lui l’homme à abattre, et exigent sa tête. Il est finalement arrêté, avec son compagnon Ahmed-Cherif Saadane.

En prison, il rédige un testament politique, où il apparaît qu’il se pense à la fin de la vie politique. En fait, le texte deviendra le programme de son nouvel engagement au sein de l’Union démocratique du Manifeste algérien à partir de 1946.

Au sein de l’UDMA, Ferhat Abbas continue de défendre un projet de République algérienne démocratique et sociale, sur la base du texte du Manifeste de 1943. Surtout, comme le font aussi le MTLD et le PCA, les militants de l’UDMA travaillent à mobiliser, à former, à encadrer la population et à diffuser des idées politiques où le nationalisme tient une large part.



On ne comprend rien au développement du FLN à partir de 1954, et à la mobilisation populaire qu’il est capable de susciter si l’on ne considère pas le travail de ces partis politiques.

Abbas est alors aussi un diplomate, qui noue des contacts, à Paris ou au Maghreb, négocie pour éviter à son parti une répression de plus en plus dure, tente de gagner sur le terrain de l’assemblée algérienne ou des assemblées locales où il est élu. Au sein même de l’UDMA se développent des discussions parfois difficiles, lorsque Ferhat Abbas est contesté, notamment par les jeunes, qui le jugent insuffisamment radical, et trop engagé dans ces activités qui n’apportent aucun résultat tangible.
Après le déclenchement du 1er novembre 1954, le décalage s’accroit quand, du fait de la répression, il est impossible de médiatiser les négociations secrètes qui ont lieu entre le FLN et l’UDMA. Bien des militants locaux rallient alors l’ALN individuellement, en attendant que leur parti soit officiellement dissout, en avril 1956 et que Ferhat Abbas ne rallie le Caire. *

Au sein du FLN, il prend en 1958 la présidence du GPRA, auquel il donne un visage internationalement reconnu. Le ralliement de l’UDMA et de son chef, contribue à accroître le crédit du FLN à l’extérieur, en lui donnant l’image d’un mouvement plus politique. Lors des manifestations de Décembre 1960, son nom est scandé comme celui d’un chef d’état. Le refus de toute négociation du côté français fait durer la guerre, et transforme les rapports de force au sein du FLN et du GPRA dont Abbas est finalement exclu.

En labourant le champ de l'UDMA et en passant au crible la perception de Ferhat Abbas par l'opinion algérienne, vous avez constaté que ce courant "a fait l'objet de stéréotypes à la vie dure". Avez-vous le sentiment que le regard des Algériens à son endroit est toujours à charge ?

Dans l’histoire dominante qui s’est développée depuis l’indépendance, et notamment l’histoire de la guerre, on a valorisé selon plusieurs critères. On a valorisé la lutte armée sur la lutte politique (quand l’UDMA était un parti politique, et qu’elle ne s’est ralliée au FLN qu'en 1956) ; on a valorisé une vision populiste de l’histoire (quand l’UDMA avait la réputation d’être un parti bourgeois) ; et on a valorisé la vision arabo-musulmane défendue par l’Association des Ulama (quand l’UDMA avait la réputation d’être francophone et laïque).

On pourrait montrer pour chaque critère à quel point les stéréotypes sont tenaces. Par exemple, il faut souligner la proximité entre Ferhat Abbas, et Abdelhamid Benbadis ou Bachir Ibrahimi, et surtout sur le terrain, la proximité voir la superposition des sections de l’UDMA avec les groupes locaux de l’association des Ulama dans les années 1940 et 1950. **

Bien souvent, les piliers des madrassat (écoles) de l’Association sont des militants de l’UDMA, et le parti développe un discours religieux et sur la religion bien plus complexe que ce qu’on croit savoir de lui. L’opposition caricaturale entre des francophones laïcs à l’UDMA et des arabophones musulmanes à l’Association des Ulama ne correspond à rien sur le terrain. Mais elle est encore très répandue aujourd’hui.

Ce qui m’a intéressée en travaillant sur l’UDMA, c’est de voir que certains stéréotypes, et certaines critiques contre Ferhat Abbas naissent très tôt, dans la compétition entre UDMA et MTLD dans les années 1940 par exemple.

Comme souvent dans les discours de disqualification, certains arguments sont fragiles et ils ont pourtant eu la vie dure : on dit ainsi volontiers d’Abbas qu’il est francisé, et l’on en veut pour preuve son mariage avec une française. En effet, dès les années 1940, on trouve des militants du MTLD qui chahutent les meetings UDMA, empêchant Abbas de parler en criant “Mme Perez! Mme Perez!” du nom de son épouse au motif qu’elle est française. *** Peu importe que la compagne de Messali Hadj aussi ait été française aussi, l’important c’était d’utiliser l’argument comme arme politique.

Les phrases que l’on reproche éternellement à Abbas sont des phrases qu’on trouve déjà dans les sources documentaires des années 1940 au MTLD où l’on fustige “Monsieur La France c’est moi”. Au demeurant, les gens de l’UDMA avaient leurs propres stéréotypes sur le MTLD : ils les accusaient d’être des “chômeurs professionnels” (c’est-à-dire rémunérés par le parti) et des voyous. Mais la vision du monde de l’UDMA (et ses stéréotypes) n’ont pas survécu jusqu’à nous de la même façon.

Comme historienne, je trouve passionnant de me demander comment la vision critique du MTLD est parvenu à s'imposer, à quel moment la vision de l’UDMA a été perdue, ou pourquoi l’Association des Ulama est devenue un modèle de nationalisme alors même que son ralliement au FLN est plus tardif encore que celui de l’UDMA...


Longtemps éliminé des manuels de l'histoire agréés par l'Education nationale en Algérie, le nom de Ferhat Abbas a réinvesti l'espace public ces vingt dernières années. Jouit-il pour autant de la place censée être la sienne dans la mémoire algérienne ?

Ce n’est pas le rôle de l’historienne de juger de la place que la société accorde à un personnage pour dire si elle est “bonne”, “suffisante” ou “juste”. C’est vrai que Ferhat Abbas a connu un regain d’intérêt qui se voit notamment dans le domaine des publications. Plus largement, depuis 1988, on a vu s’élargir le champ éditorial de façon à permettre la publication d’ouvrage de mémoires, d’autobiographies ou de biographies en grand nombre.


La publication de la biographie de Ferhat Abbas par Zakya Daoud et Benjamin Stora en 1995 en France a marqué une première étape de la reconnaissance de ce personnage. Elle a été suivie par plusieurs livres de Leïla Benammar Benmansour visant clairement à le réhabiliter. Comme d’autres, le nom de Ferhat Abbas a été apposé, notamment à l’Université de Sétif, à l’aéroport de Jijel.

Ses ouvrages reparaissent en Algérie même : « La Nuit coloniale » est reparu en 2005 avec une préface du président de la république. Son ouvrage posthume, « Demain se lèvera le jour » est paru en 2010 aux éditions Alger-Livres Éditions. Nul doute que Ferhat Abbas a une place plus importante aujourd’hui qu’il y a vingt ans.


Mais il demeure de la marge de progression, à la fois pour les historiens et pour le grand public, dans une connaissance plus fine de ce personnage et de nombreux autres. Il est remarquable qu’on continue à être très intéressé par le parcours de Ferhat Abbas durant la période coloniale, mais que l’intérêt s’émousse quand il s’agit de mieux comprendre la crise de l’état 1962, ou ses prises de position après l’indépendance.


Ainsi, après avoir été exclu avec les autres militants de l’UDMA du GPRA et remplacé par Benyoucef Benkhedda, Ferhat Abbas rejoint le groupe de Ben Bella à Tlemcen et devient le premier président de l’Assemblée nationale constituante. On gagnerait aussi à mieux comprendre comment il évolue jusqu’à démissionner de la présidence de l’Assemblée pour protester contre le pouvoir autoritaire du président Ben Bella en septembre 1963.

Ou à mieux étudier et mieux comprendre l’Appel au peuple algérien, signé en 1976 avec Benyoucef Ben Khedda, Hocine Lahouel et Cheikh Mohammed Kheireddine, appelant à fin du pouvoir personnel du président Boumediene et du caractère provisoire des institutions du pays afin de le protéger contre toute intervention étrangère. Autant de sujet sur lesquels on continue — avec une certaine obstination — à ne pas s’interroger.

NOTES DE BRANIYA

* Ce seront ses rencontres avec 'Abane (1956) qui décideront F. 'A. à rallier le FLN.

** Lakhdar Bentobbal fit assassiner le  neveu de F.'A., 'Alloua, pharmacien et élu UDMA de Constantine, au motif que ce dernier venait de lancer une souscription en faveur de l'association des 'Oulamas. (20 août 1955).

*** Méthodes de voyous, de baltagias, qui perdurent encore, alimentant sans cesse une culture de la violence, décidément consubstantielle au FLN.


http://www.huffpostmaghreb.com/2015/12/25/ferhat-abbas_n_8876446.html?utm_hp_ref=algeria



dimanche 29 novembre 2015

QU'EST-CE QUE DAECH, AU JUSTE ?

Le grand Israël (plan O. Yinon)


Remarque préalable : avant d'envahir l'Irak pour le détruire -et complaire ainsi au voeu le plus cher de l'Etat sioniste-, les yankees ont soudoyé les chefs de l'armée irakienne ( y compris le chef de la garde prétorienne de Saddam, son propre cousin !). L'armée américaine a pu, ainsi, entrer à Baghdad sans trop de pertes -et s'adonner au pillage de ses prestigieux musées et à l'assassinat de quelque 80 nucléaristes irakiens, oeuvre, selon certaines sources, d'une brigade d'agents israéliens sous oripeaux yankees.

Il était nécessaire de rappeler cet épisode, car des chercheurs sérieux -pas les bateleurs des plateaux de télévision-, font remarquer que parmi les 50 plus hauts dirigeants de DAECH, il n'y a pas un seul islamiste mais que tous sont d'anciens généraux de Saddam ! Quant au soi-disant calife El Baghdadi, il était prisonnier de l'armée américaine qui l'a opportunément libéré quand le projet DAECH s'est mis en branle.  


Des chercheurs ont fait remarquer que l'acronyme anglo-saxon pour Etat islamique en Irak et au Cham était ISIS (Islamic state on Irak and Sham); or ISIS est l'acronyme qui désigne les services spéciaux israéliens. Hasard ? 

Alors, autre hasard, la carte géographique d'ISIS se superpose à celle du grand  Israël, cette folie messianique qui devra s'achever par l'Armagedon, guerre totale dont ne subsistera que le peuple élu d'Israël (qui pourra alors dominer le monde).

Rappelons ce que dit Jahvé à son peuple :

"Lorsque l'Eternel, ton Dieu, t'aura fait entrer dans le pays dont tu vas prendre possession, et qu'il chassera devant toi beaucoup de nations, les Héthiens, les Guirgasiens, les Amoréens, les Cananéens, les Phéréziens, les Héviens et les Jébusiens, sept nations plus nombreuses et plus puissantes que toi; lorsque l'Eternel, ton Dieu, te les aura livrées et que tu les auras battues, tu les dévoueras par interdit, tu ne traiteras point d'alliance avec elles, et tu ne leur feras point grâce." (Deutéronome 7).

Il suffit, dès lors, de remplacer les noms des 7 nations évoquées par Egypte, Palestine, Jordanie, Liban, Syrie, Irak, nord de la péninsule arabique, pour avoir la carte du grand Israël.

Rappelons également que l'eschatologie musulmane est aussi messianique : elle croit en l'Armagedon ( El Malhama) qui verra le triomphe du faux messie (El massih ed-dajjal) dans un premier temps puis le retour de Jésus qui établira la paix et le règne du Bien sur terre. Le catholicisme, quant à lui, par sa métabolisation des catégories de la philosophie grecque, ne parle plus que du retour "en gloire" de Jésus, i-e, du triomphe de son message d'amour et de charité.

Pour finir, voyez cette vidéo extrêmement éclairante :




mercredi 25 novembre 2015

SUR LES ATTENTATS DE PARIS



Une analyse pénétrante d'Alain Soral, sociologue dissident, sur les tenants et les aboutissants des attentats de Paris (13 novembre 2015).

SUR LE TERRORISME






Le philosophe Francis Cousin parle de terrorisme. Ce que penser veut dire !

lundi 23 novembre 2015

DERRIÈRE LA PRISE D'OTAGES DE BAMAKO

  

Un article de Bernard Lugan



 L'attentat tragique de Bamako s'explique par la progression vers le sud d'un islamisme armé ayant profité du vide créé par la désastreuse intervention militaire française de 2011 en Libye.

Qui plus est, les réductions opérées sous la présidence de Nicolas Sarkozy ont eu pour conséquence de livrer au gouvernement de François Hollande, un outil militaire très affaibli. Dans ces conditions, malgré les prouesses opérées par les 3000 soldats français chargés de stabiliser un désert de près de 3 millions de kilomètres carrés, il était impossible à nos Armées, en raison même de leur format, de prévenir tout risque d'attentat au Mali.

Si le président Sarkozy n'avait réduit de façon si drastique les forces pré positionnées françaises, notamment à Bamako, en déclarant en 2006 dans cette même ville que "la France n'a pas besoin de l'Afrique", il est fort probable que les islamistes n'auraient jamais osé s'en prendre de la sorte aux intérêts européens.

Ceci étant, dans l'affaire de la prise d'otages de Bamako, six éléments ne doivent pas être perdus de vue :

1) Les autorités maliennes ont pour ennemis prioritaires les séparatistes touareg. Les jihadistes qui combattent ces derniers et qui ne demandent pas la partition du Mali sont de fait des alliés.

2) Refusant de reconnaître qu'elles ont laissé les jihadistes gangrener Bamako, ces mêmes autorités maliennes ont donc été promptes à faire porter la responsabilité de l'attaque de l'hôtel Radisson sur l'ennemi "nordiste" (touareg), ou sur des étrangers (le jihadiste algérien Moktar ben Moktar).

3) L'émiettement du pouvoir central s'accélère. L'armée malienne étant incapable de contrôler le pays, les autorités de Bamako ont en effet  encouragé la création de milices ethniques destinées à lutter contre les Touareg. Au nord, nous avons ainsi le GATIA ( Groupe d'auto défense touareg Imghad et alliés) dirigé par le colonel Ag Gamou. Au sud du fleuve, le FLM (Front de libération du Macina), héritier des milices peul d'auto-défense des années 2000 a basculé dans le fondamentalisme inspiré de la secte Dawa d'origine pakistanaise. Or, avec le Macina, c'est le coeur même du Mali qui est touché, et non plus les extrêmes périphéries sahariennes nordistes. Après les Touareg, les Maures et les Peul, les Sénoufo vont-ils à leur tour créer un groupe armé pour revendiquer la renaissance de leur Kénédougou?

4) Contrairement à ce qui est toujours écrit, au Mali, comme dans tout le Sahel, nous ne sommes pas d'abord face à une guerre de religion, mais en présence de résurgences de conflits historiques, ethniques, raciaux et sociaux sur lesquels, avec opportunisme, se sont greffés les islamistes. Le fondamentalisme islamique n’est donc pas la cause de la septicémie  sahélienne, mais la surinfection d’une plaie géo-ethnique.

5) Ceci étant, tout le Sahel est actuellement confronté à une tentative hégémonique de la part d'un islam radical, sorte de fourre-tout sublimant déceptions, désillusions et frustrations, comme hier le marxisme. Cet islam révolutionnaire financé par les monarchies pétrolières du Golfe a connu une progression silencieuse avant de s'affirmer aujourd'hui au grand jour avec l'introduction de normes nouvelles comme la prière de nuit (le tahajjud), la burqa, la séparation des sexes ou encore de nouveaux rites mortuaires.

6) Nous assistons à un renversement du paradigme nordisme = islam et sudisme = christianisme. La conversion galopante des ethnies sudistes a en effet changé la nature de l’islam local à travers la fabrication d’une artificielle identité africaine arabophone musulmane qui échappe de plus en plus aux structures traditionnelles.

NB : Pour tout ce qui concerne l'insolite et dévastatrice guerre que Nicolas Sarkozy, inspiré par BHL, déclencha contre le colonel Kadhafi, ainsi que sur ses conséquences régionales, voir mon livre Histoire et géopolitique de la Libye (novembre 2015), uniquement disponible à l'Afrique Réelle.

Bernard Lugan
21/11/15


http://bernardlugan.blogspot.fr/2015/11/derriere-la-prise-dotages-de-bamako.html

dimanche 15 novembre 2015

ATTENTATS DU 13 NOVEMBRE 2015 : QUI SONT LES VÉRITABLES RESPONSABLES ?

L'institut catholique Civitas a publié ce communiqué :

"L’Institut Civitas présente ses condoléances aux familles et aux amis des victimes de ces effroyables attentats de Paris qui endeuillent la France entière. Nos prières accompagnent toutes celles et tous ceux dont la vie a été volée ce soir du 13 novembre 2015. L’Institut Civitas fera célébrer une messe à leur intention.
Par-delà la peine et le deuil, le devoir de justice impose d’identifier et de punir les coupables de ces actes odieux.
Or, les coupables ne sont pas uniquement ceux qui ont appuyé sur la gâchette d’une arme ou fait usage d’une ceinture d’explosifs.
Les coupables sont aussi ceux qui, de manière irresponsable, ont organisé le chaos au Proche et au Moyen-Orient puis ont facilité, voire orchestré, le développement d’organisations djihadistes (Front al-Nosra, État islamique…) en Irak et en Syrie.
De nombreux personnages politiques français, de droite comme de gauche, portent une grave responsabilité dans cette situation en ayant contribué directement ou indirectement au financement et à l’armement de factions islamistes dans le cadre de manœuvres géopolitiques d’apprentis sorciers aux côtés de prétendus alliés d’une coalition mondialiste et des pétro-monarchies du Golfe.
De la même façon, les personnages politiques français, de droite comme de gauche, portent une grave responsabilité dans l’invasion migratoire qui déferle sur l’Europe et affecte durement la France, et qui facilite l’entrée sur notre territoire d’individus aguerris au terrorisme et aux techniques de guerre.
La France est aujourd’hui en état de guerre, par la responsabilité même de ceux qui ont pour mission de la gouverner et de la protéger.
Il faudra bien qu’un jour le tribunal de l’Histoire s’en souvienne."
Alain Escada, président de Civitas
 
Source : medias-presse.info


jeudi 12 novembre 2015

LA KABYLIE STATUFIÉE



C'est un article du quotidien El Watan qui nous l'apprend : érection de 11 statues de colonels de l'ALN en pays kabyle.

En soi, ce prurit soudain de statuaire serait plutôt sympathique dans un pays musulman qui interdit, en principe, la représentation figurée, surtout celle à trois dimensions (assimilée à l'idolâtrie). De plus, rendre hommage à des combattants de la liberté, relèverait du patriotisme bien compris. Seulement voilà :

1) les statues sont celles de colonels nés exclusivement en Kabylie, même quand ils ont exercé leur commandement dans une autre région (cas de Ouamrane, Dehilès, Zaamoum).

2) L'un des onze colonels n'en était pas un, puisqu'il s'agit de 'Abane Ramdane !

Et voilà où mène le chauvinisme régionaliste : à abraser les vérités historiques liées au choix des hommes pour ne laisser subsister d'eux que ce qu'ils n'ont pas choisi, leur lieu de naissance. On arrive ainsi à des absurdités telles celles qui font voisiner le nom et l'effigie de 'Abane -promoteur de la suprématie du politique sur le militaire- avec ceux qu'il qualifiait de « gardiens de chèvres portant une arme » (dixit F. Fanon).

De même, le malheureux 'Abane est-il ramené aux dimensions de ceux-là mêmes qui ont donné leur onction à son assassinat -Krim Belkacem (à qui 'Abane donnait du Aghioul) et Ouamrane (que 'Abane n'aimait pas pour des raisons, disons, personnelles)-, deuxième absurdité à quoi mène ce chauvinisme de l'extrait de naissance.

Et que dire de la « présence » de celui qui s'est fait rouler comme un bleu dans la farine sanglante de la… bleuite, le sanguinaire Aït Hamouda qui, non content d'avoir égorgé des centaines d'élèves et d'étudiants algériens venus rejoindre les maquis, allait exterminer en une nuit un village -kabyle- entier, mille personnes égorgées ?

Et puis de cette autre, celle de Mohamedi Saïd, devenu dans les années 90 vice-président du FIS et qui revendiquait le massacre de Mélouza (1958) en insultant les morts de cette dechra, tous qualifiés de traîtres.Même les enfants ?

Abolition du simple bon sens historique-critique, régression du sens national vers le tribalisme primaire, continuez comme cela, mes frères et Georges Soros se fera un plaisir de vous concocter bientôt une bonne révolution, couleur jaune canari.



UN ARTICLE RACISTE DE AÏT BENALI BOUBEKEUR 

Le Huffington Post Maghreb vient de publier coup sur coup deux articles sur l'ouvrage de Yassin Temlali (YT)-La genèse de la Kabylie-, l'un, magistral, de l'historienne Malika Rahal, l'autre, tendancieux et même, disons-le, honteux, d'un « électronicien passionné d'histoire » (c'est lui-même qui se présente ainsi).

Autant, en effet, l'article de M. Rahal se situe au niveau de l'abstraction et du concept (sa réflexion a pour objet la notion de constructivisme qu'elle estime être au centre de la pensée de YT : ou comment la Kabylie a été înventée), autant celui de l'électronicien se traîne dans les approximations historiques et les lieux communs racistes. À le lire -et bien qu'il prenne des précautions toutes rhétoriques dans l'exorde de son écrit-, on a l'impression que l'essentiel de l'ouvrage de YT se ramènerait à la séquence de l'arrivée des Hilaliens, ces expulsés (sic) de l'orient, cette barbarie (resic) qui a fait fuir les Berbères vers les montagnes et qui serait même à l'origine du caractère violent des Algériens (sic encore) ! L'école psychiatrique d'Alger ( que F. Fanon dénonçait comme raciste) n'aurait pas dit mieux. Autant de mots faits pour blesser avec autant de contre-vérités historiques et de confusion systématique entre Berbères et Kabyles.

- Les Hilaliens (Bni-Hillal et Bni-Souleym) étaient une confédération de tribus guerrières, originaires du Nejd. Dernières converties à l'islam, elles participèrent, aux côtés des Qarmates, au sac de La Mecque et au transfert de la pierre noire de la Kaaba à Bahrein (où les Qarmates avaient érigé un Etat à communisme intégral). Établis sur la rive orientale du Nil, les Hilaliens furent sollicités -et rétribués- par le calife fatimide pour une mission précise : aller châtier les renégats zirides qui venaient d'apostasier le chi'isme. Les Hilaliens écrasèrent l'armée des zirides sanhajas quelque part en territoire tunisien actuel et redescendirent vers le désert, leur lieu naturel. Leur marche vers l'ouest -Taghriba- se déroulera suivant une ligne horizontale située aux confins des hauts-plateaux et de l'Atlas saharien.

Comment oser dire, alors, que les Berbères, fuyant la barbarie hilalienne, se sont réfugiés sur les montagnes de la Kabylie ? Aussi faux qu'absurde, les seuls Berbères qui fuyaient étant probablement les débris de l'armée ziride. Mais cette absurdité n'a-t-elle pas, en réalité, une fonction qui est de cacher une donnée historique attestée par tous les historiens, celle de la coexistence des Hilaliens et des Berbères znata ? Deux exemples, à ce titre :

-Dans son livre Jazya,, princesse berbère, (éditions Chiheb), Nadia Chelligue dévide la légende aurésienne de cette princesse znata qui épouse le guerrier hilalien Diyab. Le mythe réalise ainsi au niveau symbolique la réalité de l'union de la berbérie agropastorale -principe féminin, la terre- avec l'arabe guerrier et poète -principe masculin, le ciel.

-Leur geste va emmener les Hilaliens au pied de l'atlas saharien. Là, ils côtoieront une grande tribu berbère znata, qui servait de makhzen aux Almohades. Quand l'empire implosa, cette tribu, les Bni Abdelwad, s'empara de Tlemcen et fonda le royaume zianide, sous la conduite de Yaghmoracen. Ce dernier, en butte aux attaques des Mérinides de Fès, enrôla une puissante fraction des Hilaliens, les Bni-'Amer, pour lui servir de Makhzen. Yaghmoracen récompensera les Bni-'Amer en leur attribuant la plaine d'Oran.

On voit ce qu'il en est de cette antienne ressassée par des esprits tribalistes primaires, présentant les Arabes comme des colonisateurs avant la lettre. C'est si peu vrai, d'ailleurs, que des historiens contemporains avancent une explication à cette énigme historique : la foudroyante islamisation du Maghreb par quelques centaines de cavaliers arabes, au 7° siècle. Aujourd'hui, les spécialistes avancent l'explication suivante : si les Berbères maghrébins se sont islamisés si rapidement c'est parce que la nouvelle religion leur a été apportée par leurs frères Berbères libyens de Cyrénaïque.

Les Berbères de Cyrénaïque, poussés par la sécheresse, cherchaient constamment à rallier la vallée du Nil pour s'y installer. D'où un incessant conflit avec l'Egypte. Quand les Arabes s'emparèrent de ce dernier pays (après avoir vaincu l'empire byzantin), les Berbères de Cyrénaïque les accueillirent avec joie et embrassèrent leur religion. Et ce sont ces Berbères, encadrés par quelques légions arabes, qui islamiseront le Maghreb. 

Joli coup de pied de l'âne, n'est-ce pas ?


dimanche 1 novembre 2015

POUR EN FINIR AVEC LE 1er NOVEMBRE 1954




C'est une affaire entendue : dès qu'il s'agit de l'histoire de la guerre d'indépendance algérienne, on ne peut pas éviter l'expression « occasions manquées ». Certains -comme l'historien Gilbert Meynier- la récusent. « Il n'y pas eu d'occasions ratées parce qu'il n'y a pas eu d'occasions tentées » dit-il ici :

https://www.youtube.com/watch?v=E3IYRjUb190#t=12.

En effet. Ce que l'on nomme occasions ratées n'est qu'une longue suite d'insignes lâchetés d'un pouvoir central qui ne ratait jamais une occasion, lui, de se coucher devant les rodomontades ou les manœuvres des chefs autoproclamés du peuplement européen de la colonie. Un quarteron de politiciens racistes qui auraient voulu s'en tenir au code de l'indigénat de sinistre mémoire. Car l'aveuglement des tenants de la colonisation, leur refus de toute réforme -même de la plus platonique comme celle du projet Blum-Violette qui voulait accorder la citoyenneté française à quelque 20 000 Algériens, et qui fut farouchement combattue et coulée-, a une origine fondamentale : le racisme. Tout projet colonial exige, en effet, la déshumanisation de celui à qui on va voler sa terre et le réduire à merci. Le colon se donne ainsi et à peu de frais bonne conscience. Ce racisme peut évidemment évoluer en paternalisme racialiste (« Mes Arabes sont de grands enfants »), mais sans oublier que « qui aime bien châtie bien », preuve par le 08 mai 1945.

Cette intransigeance et cette cécité ont fait le jeu de ceux qui, de l'autre côté de la barrière raciale, rêvaient de prendre la place du maître, parce qu'ils ont été à l'école du maître et qu'ils ont goûté fantasmatiquement aux délices de la citoyenneté. Alors, le citoyen fantasmé en eux n'accepte plus d'être traité en indigène. Il se révolte. Est-ce un hasard que l'on nomme la guerre d'indépendance « Thaoura », qui veut dire « s'insurger »?. (Remarquons que les grandes insurrections dans les Caraïbes et en Amérique du sud au XIX° siècle ont été le fait des métis : le métis est deux et à partir d'un certain moment, le Blanc en lui n'accepte plus d'être traité en Noir). Être allé à l'école du maître veut dire qu'on en avait les moyens. De fait, les hommes de l'Insurrection appartiennent pour l'écrasante majorité d'entre eux à la notabilité rurale (paysans petits et moyens) et à la petite bourgeoisie citadine (commerçants, fonctionnaires subalternes de l'administration, professions libérales -avocats, médecins, pharmaciens). Ajouter à cela que certains d'entre eux, d'ascendance koulouglie, s'estimaient d'autant plus légitimes à prendre la place du maître que la colonisation française a empêché leurs ancêtres de s'établir en dynastie régnante. Il suffit de citer quelques noms (Boussouf, Bentobbal, Kiouane…) pour que la religion du lecteur soit faite : sensation de bise glacée dans l'échine…

La légende -tenace- qui attribue le 1er Novembre 54 aux éléments plébéiens ne résiste pas une seconde à l'analyse des faits. Il suffit de regarder les CV des responsables. (Ainsi, mon douar -El M'saada, à 5km de Rio-Salado-El Malah- a participé activement au 1er Novembre, est devenu un sanctuaire pour l'ALN et a donné quelque 210 martyrs, c'est-à-dire la quasi totalité des hommes valides. Tous étaient des paysans cultivant leur lopin de terre, en général du vignoble ; certains étaient aisés. Tous étaient des Badissiya, fiers de leurs origines arabes -quand l'Arabe était au centre du mépris racial-, avant de passer au FLN ; beaucoup étaient lettrés en arabe pour avoir fréquenté la medersa du douar. Pas un chômeur ou un khammès parmi eux.) Les raisons d'une telle mystification sont évidentes : le PPA ayant la prétention de parler au nom du peuple algérien, ses dirigeants se sont pris au jeu de leur propre idéologie, se sont pris pour le peuple en acte. Mais prétendre parler au nom du peuple, c'est prétendre détenir la vérité en politique : le totalitarisme était en germe dans le PPA ; il s'épanouira dans le FLN/ALN et triomphera dans le système ANP/SM actuel (Armée + Sécurité militaire).

« L'anatomie de l'homme est la clé de l'anatomie du singe », avait dit Marx. Les Algériens d'aujourd'hui disent de leurs dirigeants : « Comment tu étais et comme tu es devenu ! » (paraphrase d'une chanson de Khaled « ki kount wa ki wallit »). Ils seraient mieux avisés de dire : « Sachant ce que tu es devenu, voici ce que tu étais ».

Pour en revenir aux occasions « non tentées », voici, pour la bonne bouche, le texte de la déclaration du Bureau politique du PCA, datée du 02 novembre 1954. La voix de la raison, de la mesure et de la justice, celle du courage politique et de l'humanisme. Ah si...


« Le Bureau politique du Parti communiste algérien, après avoir analysé les informations au sujet des différentes actions armées qui ont eu lieu dans plusieurs points du territoire algérien et en particulier dans les Aurès, estime qu’à l’origine de ces événements il y a la politique colonialiste d’oppression nationale, d’étouffement des libertés et d’exploitation, avec son cortège de racisme, de misère et de chômage, dont les sphères officielles sont obligées de reconnaître aujourd’hui l’existence.

« Le Bureau politique estime par conséquent que les responsabilités fondamentales dans ces événements incombent entièrement aux colonialistes qui, malgré les expériences du Vietnam, du Maroc et de la Tunisie, s’obstinent dans une politique d’opposition et de force, face aux aspirations légitimes du peuple algérien, pour maintenir les privilèges d’une poignée de gros propriétaires fonciers, de banquiers et de trusts coloniaux.

« Il rappelle que la répression n’a jamais réglé et ne réglera pas les problèmes politiques, économiques et sociaux que pose devant le monde contemporain l’essor irrésistible des mouvements nationaux de libération.

« Il estime que la meilleure façon d’éviter les effusions de sang, d’instaurer un climat d’entente et de paix, consiste à faire droit aux revendications algériennes par la recherche d’une solution démocratique qui respecterait les intérêts de tous les habitants de l’Algérie, sans distinction de race ni de religion, et qui tiendrait compte des intérêts de la France.

« Le Bureau politique dénonce la violente campagne de panique, de haine raciale et de diversion de la presse réactionnaire et colonialiste, dont le but est de dresser les uns contre les autres Musulmans et Européens, appelés à vivre ensemble en Algérie, leur patrimoine commun à tous.

« Il dénonce les appels à la répression bestiale de cette presse aux ordres des gros seigneurs de la colonisation dont la richesse est faite de l’immense détresse de millions d’Algériens.

« Le Bureau politique invite les Algériens, sans distinction d’origine, et plus particulièrement les travailleurs européens, à ne pas se laisser influencer par la propagande mensongère des milieux colonialistes, à réfléchir à ces événements, à rejeter toute arrière-pensée raciale, pour les juger sainement. Il leur demande de se souvenir que cette même propagande et ces mêmes menaces proférées et appliquées au début de la crise en Tunisie ont dû faire place –parce qu’elles ont fait faillite- après une douloureuse expérience, à une ère nouvelle pour le règlement du problème tunisien.

« Il souligne les contradictions entre la thèse officielle suivant laquelle le calme règne actuellement en Algérie et les véritables mesures de guerre prises par le gouvernement général en accord avec le gouvernement français.

« Le Bureau politique proteste contre ces mesures de terreur qui tendent, en créant un climat d’insécurité générale à ouvrir la voie à une répression généralisée frappant tous les patriotes, tous les hommes épris de liberté et de démocratie.

« Le Bureau politique appelle tous les patriotes, tous les démocrates musulmans et européens, à s’unir et à agir pour obtenir que soient rapportées les mesures répressives de l’administration, pour demander la libération de tous les progressistes, démocrates et militants syndicaux, arbitrairement arrêtés, et pour qu’enfin soit amorcée une politique nouvelle qui, rompant avec les solutions de force, fera droit aux justes et légitimes aspirations du peuple algérien. »

Alger, le 2 novembre 1954 Le Bureau politique du parti communiste algérien



jeudi 29 octobre 2015

ATHENES V/S JERUSALEM



A quelques encablures de l'inévitable commémoration du carnage de Charlie-Hebdo -quand le troupeau bêlant, sous le fouet des Sayanim, ces bourreaux sans merci, s'en ira cueillir des remords dans la fête servile... (merci Baudelaire)-, lisez, amis lecteurs du blogue, ce passionnant entretien de Gilad Atzmon avec Alimuddin Usmani. 
Passionnante, la réflexion de G. Atzmon l'est toujours car elle va au fond des choses de problématiques rendues opaques par les tabous de la "pensée" dominante.
(Le titre est de moi.)


"Alimuddin Usmani : Un grand nombre de personnes ont été choquées par l’attaque meurtrière contre la rédaction de Charlie Hebdo. Nombreux sont ceux qui y ont vu une attaque grossière contre les valeurs occidentales. Est-ce que la liberté d’expression est une valeur occidentale et universelle ?

Gilad Atzmon : La réponse est, bien entendu, affirmative. La liberté d’expression est intégrée dans la pensée athénienne. L’idée est bien illustrée par l’orateur attique Démosthène, qui déclare qu’ « à Athènes on est libre de louer la constitution de Sparte, alors qu’à Sparte seule la constitution de Sparte est autorisée à être louée ». Contrairement à Athènes, qui défend le pluralisme, l’éthique et une recherche incessante de la vérité, Jérusalem représente la répression de la liberté et le rejet de la pensée éthique et universelle. Jérusalem est guidée par les « commandements » et le légalisme. Le « légal » remplace le mode éthique en fixant des limites au discours.
Une telle lecture peut nous aider à comprendre le rôle du politiquement correct au sein de la notion plus large de la liberté d’expression : si la liberté est née à Athènes, la tyrannie du politiquement correct a été importée de Jérusalem et elle est, de loin, la pire ennemie d’Athènes, de la liberté et de l’Occident.
Si la liberté d’expression est le bien culturel des Athéniens, le politiquement correct en est le gardien ; c’est une tentative grossière de fixer les limites de l’intégrité, de l’éthique et de l’expérience humaine en général.

Le pape François a défendu la liberté d’expression suite à l’attaque du journal satirique français mais a également souligné ses limites. Il a dit que les religions doivent être traitées avec respect, afin que la foi des autres peuples ne soit pas insultée ou tournée en ridicule. Est-ce que la liberté d’expression doit avoir ses limites ? Charlie Hebdo était-il réellement une force novatrice en matière de liberté d’expression, ainsi que le prétendent ses sympathisants ?

Charlie Hebdo, comme nous l’apprenons, n’était pas une publication spécialisée dans la liberté d’expression. C’était un magazine néoconservateur et philosémite qui soutenait les guerres sionistes et se consacrait à discriminer les minorités et les musulmans en particulier, alors que dans le même temps il réduisait au silence la critique du pouvoir juif et de la machine de guerre américaine [2]. Charlie Hebdo agissait de la même manière que l’attaché culturel d’Israël à Paris. Au moins idéologiquement, il était un équivalent Français du « Gardien de Judée » [Gilad Atzmon fait référence au journal britannique The Guardian, qu’il s’amuse régulièrement à surnommer « The Guardian of Judea »]. Mais contrairement à son âme-soeur idéologique d’outre-Manche, la défunte revue était particulièrement insipide, extrême et apparemment sur une pente suicidaire.
Les partisans de « Charlie » peuvent faire valoir, à juste titre, que si la liberté est une valeur occidentale, alors cracher sur les prophètes des autres peuples doit également être considéré comme une aventure occidentale. Après tout, la liberté d’expression est la liberté d’exprimer tout ce qui vous passe par l’esprit.
Les « Charlies » ont tort sur ce point. Bien que la tolérance et l’amour du prochain soient intégrés dans l’ethos Chrétien occidental, cracher sur la croix, cracher sur les églises et cracher en général n’est pas nécessairement dans les valeurs occidentales, comme l’a justement suggéré le pape François. Ces gens sont, une fois de plus, un produit de Jérusalem.
En 2009, le Jerusalem Post a publié un exposé sur la tendance croissante des juifs orthodoxes de Jérusalem à cracher sur leurs voisins chrétiens [3]. Israël Shahak a également commenté la haine juive du christianisme et de ses symboles, en suggérant que « déshonorer les symboles religieux chrétiens est un ancien devoir religieux dans le judaïsme ». Selon Shahak, « cracher sur la croix, en particulier sur le crucifix, et cracher quand on passe devant une église, sont devenus obligatoires depuis environ l’an 200 pour les juifs pieux ».
Fait intéressant, cette habitude juive de crachat a eu un impact sur le paysage urbain de l’Europe. Le texte qui suit peut être lu dans un guide touristique :
« Sur le pont Charles de Prague, le visiteur observera un grand crucifix entouré d’immenses lettres hébraïques dorées qui prononcent la traditionnelle sanctification en hébreu Kadosh Kadosh Kadosh Adonai Tzvaot, “Saint, Saint, Saint est le Seigneur des Armées”. Selon divers commentateurs, cette œuvre, dégradante pour les juifs, fût conçue en 1609 parce qu’un juif avait été accusé d’avoir profané le crucifix. La communauté juive fut contrainte de payer pour mettre en place les mots hébreux en lettres d’or. Une autre explication est que le juif avait craché sur la croix et pour cela, son châtiment impliquait une condamnation à mort. Lorsque cet homme supplia pour sa vie, le roi qui cherchait à avoir de bonnes relations avec les juifs dit à la communauté juive qu’elle devait réparer l’offense… [4] »
En fait, le crachat physique n’est pas le problème ici. Cracher est juste le symptôme d’un rejet catégorique culturel profondément ancré de « l’altérité ». Tragiquement, la même chose peut être dite à propos de Charlie Hebdo. Un regard rapide sur les couvertures des magazines révèle un mépris et un irrespect honteux pour l’altérité, les minorités et les musulmans en particulier. Charlie Hebdo est un symptôme de la « jérusalémisation » du libéralisme français et de la nouvelle gauche.
Bien que la première réaction des rédactions du monde entier suite au massacre de Paris ait été la volonté de relayer les caricatures de Charlie Hebdo, il a fallu moins de trente-six heures pour que les éditorialistes occidentaux changent d’avis ; en fait, presque personne n’a relayé cette saleté sioniste. Bien que certains éditoriaux aient prétendu que ces publications pourraient mettre leur personnel en danger, il est plus probable que personne n’ait jugé que les dessins de Charlie Hebdo soient valables pour la publication. Et c’est exactement la réponse d’Athènes à Jérusalem. C’est notre jugement éthique qui nous empêche de cracher sur les autres peuples et leurs prophètes. C’est le jugement éthique qui entretient la tolérance occidentale par opposition au politiquement correct, qui crée l’illusion de la tolérance tout en tuant la capacité à tolérer.
Le massacre de Charlie Hebdo est une alerte dévastatrice pour nous tous. Le choix entre Athènes et Jérusalem est attendu depuis longtemps. Le choix est entre l’universalisme et l’éthique d’un côté et le banal exclusivisme tribal de Charlie Hebdo et de la nouvelle gauche de l’autre.
Au lieu de nous prêcher les valeurs et la liberté de l’Occident, il serait temps que les « Charlies » comprennent le véritable sens de « l’idéal occidental » et de ses fondements culturels. La tolérance chrétienne alimentée par le pluralisme universel et polythéiste athénien est le cœur de la pensée occidentale. L’idéal occidental est l’amour de la beauté, de la « cité », du civil, de l’éthique, de l’harmonie ; c’est le rejet de l’exaltation et du binarisme judéo-centrique. Au lieu de cracher sur les prophètes des autres, nous devons apprendre à chérir le dieu des autres, même celui des juifs, et attendre des autres qu’ils fassent de même.

Vous avez probablement raison : presque personne n’a publié les dessins de Charlie Hebdo après le massacre comme ils l’avaient promis. Mais une semaine plus tard, la couverture du Prophète en larmes, qui incluait au moins un sexe masculin caché, a été reproduite dans plusieurs pays autour de la planète [5]. Qu’en dites-vous ?

C’est en effet une très bonne remarque. La rédaction qui s’est remise au travail a produit cette image embarrassante du prophète Mohammed en sanglots et indulgent.
Depuis un certain nombre d’années nous assistons à une tentative de la part de la gauche d’ériger des dichotomies entre les (bons) « juifs » et les (mauvais) « sionistes », entre les (affreux) « islamistes » et les (pacifiques) musulmans. Ces tentatives sont, en grande partie, intrinsèquement trompeuses et sont mises en place pour compartimenter la discussion au sein d’un discours qui trouve sa place à l’intérieur d’une terminologie de gauche dysfonctionnelle.
La vérité c’est que l’inquisition était une facette du catholicisme. La brutalité sioniste est la voix la plus populaire des juifs du monde entier, au moins depuis 1967, et la résistance islamique et le djihad militaire sont intégrés à l’islam. Il y a un consensus parmi les savants islamiques selon lequel le concept de djihad inclura toujours une lutte armée contre les transgresseurs.
Cependant, il est toujours amusant d’observer les athées gauchistes qui sont exclusivement familiers avec la compréhension de n’importe quel discours ou texte religieux et qui nous font la morale en nous expliquant qui sont les bons musulmans et ce qu’est l’islam. Ils font la même chose à propos des juifs et du sionisme. Et il n’est pas surprenant que la vision du monde de cette gauche qui sert ses petits intérêts n’ait aucune pertinence dans le monde dans lequel nous vivons. Mais cette tendance unique explique comment la gauche européenne est parvenue à s’aliéner elle-même des gens et a atterri dans un état bizarre de détachement complet.

Votre analyse de cette couverture est pour le moins inédite et originale. De son côté, Norman Finkelstein a soulevé la question du « deux poids, deux mesures » à propos de cette tuerie. Il a écrit que peu de personnes ont versé une larme pour Julius Streicher, qui avait été condamné à mort par le tribunal de Nuremberg et exécuté pour avoir publié des écrits et des caricatures antisémites [6]. Qu’en pensez-vous ?

Norman Finkelstein a toujours réussi à me fasciner et je suppose que ce n’est pas réciproque. L’intégrité intellectuelle est un produit rare en ce qui concerne la gauche juive occidentale. Nous sommes familiarisés avec le phénomène PEP – Progressiste Excepté pour la Palestine. Finkelstein n’est évidemment pas un PEP, bien qu’il ait sa limite. Finkelstein a été plus loin que le dévoilement du crime israélien, l’industrie de l’Holocauste, il a aussi désigné BDS comme faisant l’objet d’un « culte ». Finkelstein a payé un prix élevé pour avoir été sincère. Mais cela n’a pas atténué ses propos.
Ici, il met une fois de plus en lumière le vide intellectuel qui unit ceux qui se proclament être des « Charlies ». De toute évidence, nombre de ceux qui disent « Je suis Charlie » ne soutiennent pas la liberté universelle et élémentaire, ils font campagne en faveur des droits des gauchistes blancs privilégiés, pour se moquer des musulmans et de leurs prophètes. Est-ce qu’ils vont aussi respecter le droit de Faurisson à réviser l’histoire ? Est-ce qu’ils vont soutenir Dieudonné ? D’une certaine manière, j’en doute.

Je pense que de nombreuses personnes partagent votre doute. Cette nouvelle caricature du Prophète a également provoqué des émeutes dans certains pays musulmans. Au Niger, plusieurs personnes ont été tuées et des églises brûlées [7]. Les émeutiers semblent avoir choisi une cible particulièrement inappropriée car les journalistes de Charlie Hebdo possédaient une tendance anticléricale et pratiquaient souvent l’offense à l’égard des chrétiens. Qui a intérêt à provoquer un « choc des civilisations » ?  

Il est évident que l’athéisme fanatique est là pour bénéficier des chocs religieux. Il sert à véhiculer l’image selon laquelle les religions sont au cœur de tout le mal. Il est également vrai que la laïcité radicale juive est plutôt une force dominante au sein du milieu idéologique athée. Ce phénomène est aisé à expliquer. La nature rigide du judaïsme rabbinique, qui est basée sur l’observance aveugle, sur l’identification et sur le symbolisme, fait partie d’une expérience épanouissante qui façonne aussi bien la nature de l’idéologie juive athée que la dissidence juive.
Les juifs qui laissent tomber leur dieu ressentent le besoin de remplacer leurs anciennes croyances par une identité alternative et énergique. Ils adhèrent occasionnellement à une forme radicale d’athéisme déraciné, qui est avant tout préoccupé par une défiance universelle complète contre tous les systèmes de croyance. Il est inutile de dire que cette forme radicale d’athéisme conserve la rigidité de l’orthodoxie juive et à l’instar du cas du judaïsme, elle échoue à développer une éthique universelle, ou bien quelque chose qui ressemble de près ou de loin à la tolérance.
Mais examinons la notion de « choc des civilisations ». Comment est-ce qu’elle trouve sa place dans la notion de « tolérance » et de « multiculturalisme ». C’est facile, elle n’y trouve pas sa place. Tout le mythe de la « tolérance occidentale », du « post-colonialisme » et du « multiculturalisme » s’est effondré le 11 septembre 2001 pour autant que la gauche soit concernée. La notion de « gauche », « d’autrui » s’est évaporée dès l’instant où « autrui » a manifesté une réelle altérité. Une fois qu’il était clair que le prétendu « autrui » pense et agit différemment, le lien entre la « gauche » et les « musulmans » s’est effondré. Le massacre de Charlie Hebdo a poussé les choses encore plus loin. Nous assistons clairement à un puissant continuum politique entre la nouvelle gauche et l’extrême droite sur les problématiques liées aux communautés musulmanes.
Une fois ce plus, ce continuum est facile à expliquer. Le monde occidental est, comme nous le savons, déterminé par le principe de l’esprit des Lumières – la célébration du « I », c’est-à-dire de l’individualisme et l’individualité. Le capitalisme, l’impérialisme, l’interventionnisme mais également le bolchévisme et les droits de l’homme sont déterminés par la philosophie du « sujet humain », du « soi » et de son « épanouissement ». Mais dans le cas de l’islam et du judaïsme, c’est l’esprit tribal, en opposition à l’individuel, qui domine et qui dicte même son rôle au sujet. Dans le cas du judaïsme et de l’islam, c’est la lutte et la survie de la tribu qui dominent la philosophie collective et la loi.
À moins que nous comprenions cette claire dichotomie métaphysique, spirituelle et culturelle entre l’Est et l’Ouest, nous ne serons pas en mesure ne serait-ce que d’envisager des perspectives de paix, encore moins d’atteindre une coexistence harmonieuse.

Notes

[2] En 2002, Philippe Val, qui était à l’époque le rédacteur en chef, avait dénoncé l’anti-américanisme et la critique excessive d’Israël de Noam Chomsky dans les médias institutionnels. En 2008, un dessinateur de Charlie Hebdo, Siné, a écrit un petit article à propos de Jean Sarkozy, qui s’était converti au judaïsme afin de marier une richissime héritière d’un géant de l’électro-ménager. Siné avait ajouté ce commentaire : « Il ira loin ce petit. » Pour cette raison, Siné a été viré par Philippe Val pour antisémitisme.”.(Diana Johnstone, http://www.counterpunch.org/2015/01/07/what-to-say-when-you-have-nothing-to-say/)
[4] Pour en savoir plus : A Travel Guide to Jewish Europe, p 497.
[7http://www.francetvinfo.fr/economie/medias/charlie-hebdo/charlie-hebdo-45-eglises-brulees-au-niger-dans-les-emeutes-contre-le-journal_801107.html

Source : http://www.egaliteetreconciliation.fr/Entretien-avec-Gilad-Atzmon-sur-l-affaire-Charlie-Hebdo-35797.html