C'est une affaire entendue :
dès qu'il s'agit de l'histoire de la guerre d'indépendance
algérienne, on ne peut pas éviter l'expression « occasions
manquées ». Certains -comme l'historien Gilbert Meynier- la
récusent. « Il n'y pas eu d'occasions ratées parce qu'il n'y
a pas eu d'occasions tentées » dit-il ici :
https://www.youtube.com/watch?v=E3IYRjUb190#t=12.
En effet. Ce que l'on nomme
occasions ratées n'est qu'une longue suite d'insignes lâchetés
d'un pouvoir central qui ne ratait jamais une occasion, lui, de se
coucher devant les rodomontades ou les manœuvres des chefs
autoproclamés du peuplement européen de la colonie. Un quarteron de
politiciens racistes qui auraient voulu s'en tenir au code de
l'indigénat de sinistre mémoire. Car l'aveuglement des tenants de
la colonisation, leur refus de toute réforme -même de la plus
platonique comme celle du projet Blum-Violette qui voulait accorder
la citoyenneté française à quelque 20 000 Algériens, et qui fut
farouchement combattue et coulée-, a une origine fondamentale :
le racisme. Tout projet colonial exige, en effet, la déshumanisation
de celui à qui on va voler sa terre et le réduire à merci. Le
colon se donne ainsi et à peu de frais bonne conscience. Ce racisme
peut évidemment évoluer en paternalisme racialiste (« Mes
Arabes sont de grands enfants »), mais sans oublier que « qui
aime bien châtie bien », preuve par le 08 mai 1945.
Cette intransigeance et cette
cécité ont fait le jeu de ceux qui, de l'autre côté de la
barrière raciale, rêvaient de prendre la place du maître, parce
qu'ils ont été à l'école du maître et qu'ils ont goûté
fantasmatiquement aux délices de la citoyenneté. Alors, le
citoyen fantasmé en eux n'accepte plus d'être traité en
indigène. Il se révolte. Est-ce un hasard que l'on nomme la guerre
d'indépendance « Thaoura », qui veut dire
« s'insurger »?. (Remarquons que les grandes
insurrections dans les Caraïbes et en Amérique du sud au XIX°
siècle ont été le fait des métis : le métis est deux et à
partir d'un certain moment, le Blanc en lui n'accepte plus d'être
traité en Noir). Être allé à l'école du maître veut dire qu'on
en avait les moyens. De fait, les hommes de l'Insurrection
appartiennent pour l'écrasante majorité d'entre eux à la
notabilité rurale (paysans petits et moyens) et à la petite
bourgeoisie citadine (commerçants, fonctionnaires subalternes de
l'administration, professions libérales -avocats, médecins,
pharmaciens). Ajouter à cela que certains d'entre eux, d'ascendance
koulouglie, s'estimaient d'autant plus légitimes à prendre la place
du maître que la colonisation française a empêché leurs ancêtres
de s'établir en dynastie régnante. Il suffit de citer quelques noms
(Boussouf, Bentobbal, Kiouane…) pour que la religion du lecteur
soit faite : sensation de bise glacée dans l'échine…
La
légende -tenace- qui attribue le 1er
Novembre 54 aux
éléments plébéiens
ne résiste pas une seconde à l'analyse des faits. Il
suffit de regarder les CV des responsables. (Ainsi,
mon douar -El M'saada, à 5km de Rio-Salado-El Malah- a participé
activement au 1er
Novembre, est devenu un sanctuaire pour l'ALN et a donné quelque 210
martyrs, c'est-à-dire la quasi totalité des hommes valides. Tous
étaient des paysans cultivant leur lopin de terre, en
général du vignoble ;
certains étaient aisés. Tous étaient des Badissiya, fiers
de leurs origines arabes -quand l'Arabe était au centre du mépris racial-, avant de passer au FLN ;
beaucoup
étaient lettrés en arabe pour avoir
fréquenté la medersa du douar. Pas un chômeur ou un khammès parmi eux.)
Les
raisons d'une telle mystification sont évidentes : le PPA ayant
la prétention de parler au nom du peuple algérien, ses
dirigeants se sont pris au jeu de leur propre idéologie, se sont
pris pour le peuple en acte. Mais
prétendre parler au nom du peuple, c'est prétendre détenir la
vérité en politique : le totalitarisme était en germe dans le
PPA ; il s'épanouira dans le FLN/ALN et triomphera dans le
système ANP/SM actuel (Armée + Sécurité militaire).
« L'anatomie
de l'homme est la clé de l'anatomie du singe », avait dit
Marx. Les Algériens d'aujourd'hui disent de leurs dirigeants :
« Comment tu étais et comme tu es devenu ! »
(paraphrase d'une chanson de Khaled « ki kount wa ki wallit »).
Ils seraient mieux avisés de dire : « Sachant
ce que tu es devenu, voici ce que tu étais ».
Pour
en revenir aux occasions « non tentées »,
voici,
pour la bonne bouche, le texte de la déclaration du Bureau politique
du PCA, datée du 02 novembre 1954. La voix de la raison, de la mesure et de la justice, celle du courage politique et
de l'humanisme. Ah si...
« Le
Bureau politique du Parti communiste algérien, après avoir analysé
les informations au sujet des différentes actions armées qui ont eu
lieu dans plusieurs points du territoire algérien et en particulier
dans les Aurès, estime qu’à l’origine de ces événements il y
a la politique colonialiste d’oppression nationale, d’étouffement
des libertés et d’exploitation, avec son cortège de racisme, de
misère et de chômage, dont les sphères officielles sont obligées
de reconnaître aujourd’hui l’existence.
« Le
Bureau politique estime par conséquent que les responsabilités
fondamentales dans ces événements incombent entièrement aux
colonialistes qui, malgré les expériences du Vietnam, du Maroc et
de la Tunisie, s’obstinent dans une politique d’opposition et de
force, face aux aspirations légitimes du peuple algérien, pour
maintenir les privilèges d’une poignée de gros propriétaires
fonciers, de banquiers et de trusts coloniaux.
« Il
rappelle que la répression n’a jamais réglé et ne réglera pas
les problèmes politiques, économiques et sociaux que pose devant le
monde contemporain l’essor irrésistible des mouvements nationaux
de libération.
« Il
estime que la meilleure façon d’éviter les effusions de sang,
d’instaurer un climat d’entente et de paix, consiste à faire
droit aux revendications algériennes par la recherche d’une
solution démocratique qui respecterait les intérêts de tous les
habitants de l’Algérie, sans distinction de race ni de religion,
et qui tiendrait compte des intérêts de la France.
« Le
Bureau politique dénonce la violente campagne de panique, de haine
raciale et de diversion de la presse réactionnaire et colonialiste,
dont le but est de dresser les uns contre les autres Musulmans et
Européens, appelés à vivre ensemble en Algérie, leur patrimoine
commun à tous.
« Il
dénonce les appels à la répression bestiale de cette presse aux
ordres des gros seigneurs de la colonisation dont la richesse est
faite de l’immense détresse de millions d’Algériens.
« Le
Bureau politique invite les Algériens, sans distinction d’origine,
et plus particulièrement les travailleurs européens, à ne pas se
laisser influencer par la propagande mensongère des milieux
colonialistes, à réfléchir à ces événements, à rejeter toute
arrière-pensée raciale, pour les juger sainement. Il leur demande
de se souvenir que cette même propagande et ces mêmes menaces
proférées et appliquées au début de la crise en Tunisie ont dû
faire place –parce qu’elles ont fait faillite- après une
douloureuse expérience, à une ère nouvelle pour le règlement du
problème tunisien.
« Il
souligne les contradictions entre la thèse officielle suivant
laquelle le calme règne actuellement en Algérie et les véritables
mesures de guerre prises par le gouvernement général en accord avec
le gouvernement français.
« Le
Bureau politique proteste contre ces mesures de terreur qui tendent,
en créant un climat d’insécurité générale à ouvrir la voie à
une répression généralisée frappant tous les patriotes, tous les
hommes épris de liberté et de démocratie.
« Le
Bureau politique appelle tous les patriotes, tous les démocrates
musulmans et européens, à s’unir et à agir pour obtenir que
soient rapportées les mesures répressives de l’administration,
pour demander la libération de tous les progressistes, démocrates
et militants syndicaux, arbitrairement arrêtés, et pour qu’enfin
soit amorcée une politique nouvelle qui, rompant avec les solutions
de force, fera droit aux justes et légitimes aspirations du peuple
algérien. »
Alger,
le 2 novembre 1954 Le Bureau politique du parti communiste algérien
https://www.facebook.com/pages/Si-Zoubir-Rouchai-Boualem-ou-boualem-rouchai/247488515312901?ref=hl
RépondreSupprimerJe n'ai pas de compte chez "Face de bouc", donc je ne peux pas accéder à la page dont vous me donnez le lien. J'en suis désolé.
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