braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

vendredi 19 décembre 2014

L'ÉCRIVAIN ET LE SALAFISTE







Un prédicateur salafiste algérien a appelé, sur une chaîne de télévision privée, l'État à punir de mort le journaliste et écrivain Kamal Daoud. Ce dernier est l'auteur d'un roman, « Meursault, contre-enquête », favorablement accueilli et récompensé par les instances de la francophonie. Le prédicateur aurait argué que K.D. est un apostat qui ne cesse de critiquer l'islam et qu'en tant que tel, il mérite la mort. L'affaire fait grand bruit en Algérie où l'on s'émeut qu'une « fetwa de mort » puisse être prononcée publiquement sans que les autorités réagissent.

Si les mots ont un sens, il ne s'agit pas ici de fetwa, stricto sensu, mais d'adresse au pouvoir afin de faire appliquer la chari'a. C'est pourquoi les plaintes déposées contre le prédicateur n'ont aucune chance -légalement parlant- de prospérer. En effet, il est facile de prévoir que ce dernier sera en position de force dans la mesure où il pourra faire valoir que l'islam étant religion d'État en Algérie, un citoyen a le droit inaliénable de demander l'application du droit musulman. Et si les autorités sont restées le bec dans l'eau, c'est bien qu'elles ont été prises à leur propre jeu hypocrite qui consiste à être plus musulmanes que les musulmans, plus démocrates que les démocrates, comme hier elles étaient plus socialistes que les socialistes. La surenchère qui permet à ce pouvoir d'absorber toutes les formes de contestation.

Cela dit, que font ceux qu'émeut cet appel à l'application de la chari'a ? La même chose que le prédicateur salafiste : ils en appellent à l'État pour le réprimer. Pain bénit pour le pouvoir ! Ainsi, il se trouve à la place et dans le rôle rêvés de l'arbitre paternel, incarnant le « juste milieu » entre les extrémistes des deux bords : laïcs et salafistes. Cette partition, le pouvoir d'État algérien l'a jouée sur tous les modes et mieux que quiconque, y compris jusqu'à ses limites extrêmes : la guerre civile contrôlée, lorsqu'il a poussé à la constitution de milices dans les années 90. De la sorte, il a détourné sur la société la violence qui le visait, lui.

L'ensauvagement de la société est l'arme ultime de ce pouvoir : de l'appel de la « Cour révolutionnaire » demandant à n'importe quel Algérien de « se faire l'auxiliaire de la Justice de son pays en exécutant le traître Krim Belkacem » à l'allocution télévisée du Premier ministre Bélaïd Abdeslam désignant aux tueurs les « laïco-assimilationnistes », en passant par l'interrogation perfide de son ministre des Affaires religieuses, Sassi Lamouri, « Pourquoi tuer des policiers ? Ce ne sont pas des communistes, pourtant », le cynisme et la lâcheté -lâche parce qu'il n'assume pas ses actes- de ce pouvoir sont effrayants. (Dans un pays civilisé, les deux infâmes valets du système militaro-policier auraient été déférés devant la justice pour appel au meurtre.)

Une autre constante de ce pouvoir, celle qui fait partie de son ADN, est l'anti-intellectualisme. Messali contre Benkhedda, les 3 B (Boussouf-Bentobbal-Belkacem) assassinant 'Abane Ramdane, 'Amirouche égorgeant 500 étudiants et lycéens venus rejoindre les maquis ( 'Abdennour 'Ali Yahia donne, lui, le chiffre de 2200), Benbella contre F. 'Abbas (à propos de la première constitution),… toutes les grandes séquences de l'histoire proche de ce pays peuvent être lues à travers ce prisme (certes, non exclusivement). La tête qui pense, qui introduit des éléments de doute raisonnable, qui produit de la distance, qui essaie de tenir compte du tout, est, en effet, incompatible avec l'unanimisme et la militarisation, les deux mamelles du FLN. C'est pour cela que ce type de pouvoir lui préférera toujours la religion, instrument beaucoup plus maniable pour tenir le peuple et l'ensauvager, si nécessaire.

Les religions -quelles qu'elles soient- n'ont jamais fait bon ménage avec l'art et la pensée : Spinoza frappé de « Herem » par le Mahamad juif d'Amsterdam, Giordano Bruno brûlé vif sur ordre de l'Église catholique, la poétesse Asma Bent Marwan assassinée sur ordre du prophète (comme le rapporte Maxime Rodinson dans sa biographie de « Mahomet »), parce qu'elle ridiculisait son message dans les lieux publics. Le malheur de l'Algérie est d'avoir été coupée depuis 50 ans du monde extérieur et d'avoir été abreuvée à la vulgate simpliste de « l'action directe », c'est-à-dire de la violence primaire. Et ce, par la volonté de ceux -le pouvoir- qui se la sont accaparée comme une propriété privée, une « mazra'a » comme dit le politologue palestinien 'Azmi Bichara, une hacienda qu'ils gèrent à leur guise. Pesons nos mots : même le colonialisme n'était pas arrivé à ce degré de mépris envers les indigènes -qui sont restés des indigènes, c'est-à-dire des sujets sans droits, interdits de facto de politique et d'association.

Pour en revenir à l'affaire qui nous occupe, disons qu'attendre du pouvoir des despotes asiatiques qui règnent sur le pays depuis 1962 qu'il promeuve l'état de droit et la laïcité, c'est comme attendre qu'il neige au Sahara au mois d'août. Ce pouvoir a, au contraire, tout intérêt à aggraver la fracture entre laïcs et salafistes afin de tenir la société en respect. Mais alors, que faire ? Alors, il faut, à la verticalité (de la supplique adressée à celui du haut), substituer l'horizontalité des démarches solidaires dans la société civile ; en un mot, s'abstenir de solliciter le pouvoir et travailler à dépasser la contradiction entre laïcs et croyants. Dépasser la contradiction ne veut nullement dire en supprimer l'un des termes. La contradiction est le mode d'existence normal des choses. La dépasser veut dire tenir les deux bouts ensemble et avancer. À ceux qui jugent la chose irréaliste, rappelons que les religieux algériens avaient fait alliance avec les communistes et les démocrates bourgeois (tel Ferhat 'Abbas) dans le Congrès musulman algérien, en 1936.



Bien sûr, le dépassement de la contradiction suppose que chacun fasse des concessions. Les laïcs devront accepter l'identité religieuse de leur société et les croyants devront accepter la pluralité des normes de vie sociale. Ce serait assurément la base raisonnable pour avancer vers le vouloir-vivre ensemble. Et il n'y a pas d'autre possibilité pacifique. Le méconnaître serait accepter d'assister à la marche du pays vers l'apocalypse.  

jeudi 11 décembre 2014

DÉCEMBRE 1960 À ORAN

David Alfaro Siqueiros : Lutte pour l'émancipation
Ce qui suit est un témoignage personnel. Il ne prétend à rien d'autre qu'à relater une expérience. Et tout le monde sait qu'à Waterloo, Fabrice n'a vu que ce qu'il pouvait voir.

Le samedi 10 décembre 1960, j'arrivai, par la micheline de l'après-midi, dans mon village pour y passer ce qui restait de week-end. Le petit train ralliait Rio-Salado-El-Malah à partir d'Oran en une heure exactement et il était d'une ponctualité jamais prise en défaut. J'étais alors élève en terminale philo au lycée Lamoricière (que j'orthographiais La mort ici erre) d'Oran. Dans ma classe, la philo 1, -52 élèves-, je représentais la moitié des effectifs arabes à moi seul. Mais l'itinéraire de la maison au lycée -situé en ville européenne évidemment- devenant toujours plus périlleux à cause des ratonnades et Monsieur Vié le sage, notre prof de philo, ne tolérant pas plus de cinq fautes d'orthographe dans une dissertation (auquel cas l'impétrant se voyait gratifier d'un zéro, avec commentaire public et meurtrier), l'effectif arabe fut décimé puisque mon congénère jeta l'éponge à mi-parcours. Je demeurai donc le seul Arabe au poste.

Au village, l'atmosphère me sembla inhabituelle. Un je ne sais quoi flottait dans l'air ; les Européens qui faisaient le boulevard sur la magnifique place, un grand quadrilatère ceinturé par une double rangée de palmiers, m'apparaissaient, à tort ou à raison, graves et silencieux, eux d'ordinaire si exubérants et volubiles. Le soir, j'appris que, durant la matinée d'hier, le général De Gaulle avait fait une visite au chef lieu d'arrondissement, la ville de 'Aïn-Témouchent distante de douze km de notre village, et qu'il y avait eu des manifestations d'Européens, hostiles au chef de l'État qui criaient « Algérie française », et des contre-manifestations d'Arabes dont le mot d'ordre était « Algérie algérienne ».

Je fus stupéfait d'entendre cela. Je ne pouvais pas imaginer, fût-ce l'espace d'une fraction de seconde, que des Arabes pussent manifester dans les rues. Notre région, la plaine d'Oran à Tlemcen (le pays des Béni-Amer), était un fief de la grosse colonisation européenne (cf l'article Une archéologie du raï, dans ce même blog). À l'instar d'Oran, de nombreux villages, dont le nôtre, comptaient ainsi plus d'Européens que d'Arabes. Les Arabes n'avaient donc qu'à bien se tenir. Je pouvais d'autant moins imaginer la chose que j'avais -j'ai toujours- en mémoire les terribles répressions qui s'étaient abattues sur mon douar en 1954 puis en 1956-57, emportant de nombreux membres de ma famille. Les visions d'horreur avaient provoqué en moi un traumatisme qui s'était traduit par des crises de somnambulisme et une angoisse jamais surmontée depuis.

En effet, malgré le rapport de force extrêmement déséquilibré et une géographie de plaines aux riantes cultures, notre village et notre douar, participèrent à l'insurrection du 1er novembre 54. Incroyable ? Non. Notre douar et notre village avaient de qui tenir : les Béni-Amer n'avaient jamais cessé de combattre les Ottomans. Puis ils se dressèrent contre les Français sous la conduite de l'émir Abdelkader. Épopée tragique dont la mémoire collective gardait certainement les traces.

Ce fut mon père qui m'apprit la nouvelle de ce qui deviendra, pour l'histoire, l'Insurrection du 1er novembre 54 et qui n'était pour l'heure que des attentats assez insignifiants. Ce fut par un samedi après-midi, quand il vint me « sortir » du lycée pour le week-end. J'étais entré en sixième au lycée Lamoricière en octobre 1954, sous le régime de l'internat. (J'avais pour « pion » d'internat Ahmed Médeghri, récent bachelier math'élem et futur ministre de l'Intérieur de l'État algérien indépendant). L'internat fut un supplice pour moi. Jeté dans la grande ville, dans un milieu presque complètement européen -et Européen plutôt rupin-, moi qui ne trouvais déjà pas mes repères dans le village où nous avions emménagé en 1949, laissant mes deux sœurs mariées au douar Messaada. Le changement de résidence, du douar au village, fut un crève coeur pour moi, non seulement parce qu'il fallait dire adieu à la délicieuse liberté de gambader à travers champs du matin au soir, mais parce qu'il fallait encore quitter mes sœurs bien-aimées, surtout l'aînée qui était ma deuxième mère.

Mon père, déjà atteint par la maladie qui allait l'emporter six mois plus tard, à 50 ans, était abattu. Nous faisions route vers le village dans sa Citroën ; il m'avait acheté un sachet de bonbons à la gomme du Prisunic. Il m'apprit que H'med -le mari de ma sœur aînée- avait été arrêté et que Kada -l'horloger du village, un parent de mon père- avait été tué par les gendarmes. Un de nos cousins de la branche maternelle, un militant du MTLD qui n'avait rien à voir avec les attentats, avait été tué, lui, à l'intérieur des locaux de la brigade de gendarmerie par un colon milicien qui lui défonça le crâne à coups de manche de pioche. Sous le regard des gendarmes et dans leurs locaux. Je n'avais jamais vu mon père à ce point accablé. Je me suis alors rappelé une discussion qu'il avait eue avec Kada dans le minuscule coin atelier que l'horloger avait aménagé dans son appartement d'une pièce.

Mon père : « Tu veux faire la guerre à la France avec ton 6,35 ? » - Kada, sur le même ton et s'adressant à moi : « Ton père est encore impressionné par la puissance militaire de la France ». Mon père, mobilisé en même temps que Kada d'ailleurs, venait de rentrer de la guerre mondiale. (À son retour, les gendarmes étaient venus l'arrêter ; il passa quelques jours dans les geôles de la brigade de Lourmel-El Amria. Les gendarmes dirent que c'était pour le protéger des milices ultras qui entendaient prolonger ici les massacres du 08 mai 45). Mon père était badissi (tout notre douar était acquis à l'enseignement du cheikh Benbadis), très proche du PCA, et avait été un ouvrier syndiqué à la CGT. C'est dire qu'il voyait les choses avec les nuances de la politique. Kada, lui, était un P.P.A. pur et dur ; il ne rêvait que d'en découdre avec « la France ». Je me souviens très bien du soupir triste mais éloquent de mon père : « Tu ne sais pas de quoi ils sont capables ». Peut-être pensait-il, lui aussi, à cette discussion ce samedi-là, sur la route du village, car il me dit : « Ça va être terrible, mon fils. »

Le 1er novembre, Kada avait légèrement blessé un garde champêtre avec son 6,35 ; les gendarmes lui avaient donné la chasse et l'avaient tué. Mon beau-frère, le mari de ma sœur aînée, quant à lui, faisait partie d'un groupe qui devait attaquer une caserne à Saint-Maur-Tamezougha, la nuit du 1er novembre 54. En cours de route, les hommes s'aperçurent que les munitions que le responsable leur avait distribuées à la dernière minute, n'étaient pas les bonnes. Ils rebroussèrent chemin. (Le responsable en question était Abdelhafid Boussouf qui, recherché depuis le démantèlement de l'O.S., l'Organisation spéciale, en 1949, se planquait du côté de Lourmel-El-Amria, à une quinzaine de km de chez nous. Hocine Aït Ahmed, lui, s'était planqué encore plus près, à Er-Rahel-Hassi-El-Ghella, à 7 km de là, avant de rejoindre Le Caire). Quant aux armes et munitions, elles provenaient du lot que Mostfa Benboulaïd avait récupéré en Libye, dans les stocks abandonnés par l'Afrika Korps de Rommel. Quand les gendarmes se présentèrent chez lui, mon beau-frère travaillait dans son champ. « Où est le fusil ? ». Mon père lui constitua un avocat. Ce qui n'empêcha pas les gendarmes de le torturer en lui cassant toutes ses dents avant de l'envoyer en prison pour vingt ans. Il a eu, malgré tout, de la chance : quelques mois plus tard, il aurait été abattu sur place, sans autre forme de procès.

Encore mon père ne vit-il pas les indicibles années 56 et 57. Pour l'attaque des fermes de colons, les Arabes du douar payèrent en vies humaines le centuple de ce que les saboteurs avaient infligé aux seuls cultures (des pieds de vigne arrachés) et matériel (des granges incendiées et des poteaux télégraphiques sciés). Le douar fut détruit par dynamitage des maisons -celle de ma sœur cadette dont le mari avait pris le maquis où il perdra la vie avait volé en éclats-, la zone déclarée interdite et les habitants, du moins ce qu'il en restait, déportés dans un centre de regroupement, le « village nègre » de Rio-Salado.

Mon père ne vit pas la sœur de ma mère perdre dans la même journée deux de ses garçons pendant que le troisième, trop jeune, était emporté par les soudards du DOP pour leur servir d'esclave. Ma tante en perdit la raison. Mon père ne vit pas non plus son très cher cousin germain à qui il nous confia sur son lit de mort, disparaître à tout jamais avec son jeune frère dans l'archipel des DOP -les dispositifs opérationnels de protection, centres de torture et d'exécutions sommaires. Ce fut cet oncle, qui était par ailleurs l'un des responsables du FLN local, qui s'opposa à ce que je fasse la grève des cours de mai 1956, la stupide et injustifiable grève que j'aurais néanmoins bien voulu faire pour ne plus retourner en internat. Cet oncle disparut sans avoir réussi à châtier le milicien colon qui avait assassiné notre cousin maternel dans la brigade de gendarmerie : la bombe déposée sur la fenêtre de la chambre à coucher du milicien fit long feu.

Le DOP du village acquit très vite une réputation terrorisante à travers la région. Là étaient les limbes de l'enfer. Là officiait un lieutenant avec son commando de supplétifs arabes. Le seul nom du lieutenant faisait trembler les hommes les plus endurcis. C'était un monstre froid, capable de toutes les ignominies comme de tuer un homme dans le seul but de profaner ensuite la femme de la victime, sans craindre le regard de ses enfants. Notre village n'a jamais trouvé les mots pour dire le monstre et ses sacrilèges inouïs. Il se tait depuis lors.

Ma sœur aînée me disait que notre père était aimé de Dieu qui l'avait rappelé à lui pour lui épargner toute cette horreur. Je ne pouvais pas la croire, étant -enfant déjà- radicalement indifférent à la religion. Ma sœur était membre du Nidham (le FLN). J'en ai eu la conviction en ces jours de novembre 1954, quand je suis allée lui rendre visite chez elle, au douar Messaada. Elle avait vingt ans de plus que moi et c'est elle qui m'a élevé. Elle me demanda, ce jour-là, de l'accompagner au puits. Là, au fond d'un vallon, au pied d'un immense caroubier, dans son ombre propice, là précisément où elle m'emmenait, à peine enfant, jouer dans le ruisselet pendant qu'elle puisait l'eau, un homme attendait ; il était revêtu d'un treillis militaire. Il me prit dans ses bras, m'embrassa ; je le connaissais bien ; c'était un gars de notre douar ; il avait échappé aux arrestations qui avaient suivi le 1er novembre et était maintenant dans l'armée de libération nationale. Lui et ma sœur eurent un conciliabule de plusieurs minutes. Je ne devais plus jamais revoir cet homme si attachant, si spontané ; il tombera parmi les premiers.

Dimanche 11 décembre 1960.
Les manifestations gagnèrent Alger. Je n'en saisirai l'ampleur que le lendemain. Ce dimanche soir, je rentrai à Oran par le dernier autocar des TRCFA. L'avantage, c'est que le car observait un arrêt à hauteur du cinéma Rex, dans le quartier de Saint-Antoine. J'habitais avec ma tante tout près de là ; j'éviterais ainsi la gare SNCF, située, elle, en plein plateau Saint-Michel, un quartier dangereux pour les Arabes (et qui deviendra, en effet, l'un des bastions de l'OAS).

Lundi 12 décembre.
Je débouchai sur le haut du boulevard Galliéni à 7H30, comme à mon habitude car je sortais tôt pour éviter les mauvaises rencontres. De là, on avait une vue plongeante sur l'entrée principale du lycée. Une masse noire d'élèves était attroupée devant les grilles. Ce n'était pas normal ; à cette heure-ci, d'habitude, il n'y avait que peu de monde. Je m'approchai prudemment, restant toutefois à bonne distance, près de la brasserie le Cintra. Les élèves discutaient de manière véhémente et s'interpellaient à haute voix. Je me dis que c'étaient là, à n'en pas douter, les prolégomènes d'une manifestation : les élèves européens allaient installer un piquet de grève devant le portail, empêcher leurs camarades d'entrer et les entraîner vers le forum d'Oran, la Place des Victoires (que les Arabes de la médina appelaient La place des histoires car c'était toujours là, en effet, que les mauvaises histoires commençaient). L'itinéraire était toujours le même : rue de la Vieille Mosquée puis bifurcation à droite par l'avenue Loubet qui ouvrait sur la place par l'une de ses extrémités et sur le monument aux morts par l'autre bout. Et, après avoir vociféré pendant des heures et applaudi les orateurs ultras qui se succédaient au balcon de l'immeuble de la pharmacie, on allait déposer une gerbe au monument aux morts en chantant « C'est nous les Africains... ». Ordonnancement immuable des manifestations européennes depuis les journées des barricades algéroises, en janvier de cette année. Il va de soi que nul Arabe n'avait intérêt à se trouver dans le voisinage de cet itinéraire au moment des processions.

J'attendais donc en me faisant aussi invisible que possible que les élèves lèvent le siège quand je vis venir vers moi un camarade arabe du lycée. Malek Eddine Kateb était passé à côté des élèves européens, les toisant avec sa superbe naturelle. Les matamores européens du lycée –il y en avait quelques-uns-, le craignaient. C'est que Malek n'était pas du tout venant arabe : c'était le fils d'un commissaire de police d'Oran, doublé d'un footballeur à la carrure de déménageur et à l'excellent jeu de tête ; son front bombé et large catapultait les ballons avec une force rare. Nous nous connaissions depuis la sixième bien que nous ne fussions pas dans la même classe : c'était le cours de langue vivante qui nous réunissait -nous étions une poignée, dont quelques Européens, à faire de l'arabe classique en première langue. Sûrement apitoyé par mon gabarit de passe-lacet et ma petite taille, Malek me répétait : « Si quelqu'un te cherche noise, tu m'appelles ! ». Je n'eus pas à le faire car je vivais en paix avec tout le monde et, de plus, j'aurais trop craint pour l'éventuel chercheur de noise : un coup de boule de Malek, c'était l'infirmerie assurée et de nombreux points de suture à la clé.

-Tu as vu ce qui s'est passé hier à Alger ? me dit-il en m'entraînant vers le haut du boulevard. - Oui. - Tu as vu qu'il y a eu une centaine de morts ? - Oui. - Mais les gens n'ont pas reculé ! Aujourd'hui, c'est le tour d'Oran ! On va en Ville-Nouvelle !

Chemin faisant, je réfléchissais : si les manifestants arabes avaient pu s'exprimer c'est qu'ils allaient clairement dans le sens de la stratégie gaullienne qui poussait à l'affirmation de « la personnalité algérienne » afin d'isoler « l'Algérie de papa », celle des colons ultras. (J'entendrai, plus tard, dire que le maire de 'Aïn-Témouchent, M. Orséro, avait poussé dans ce sens, incitant les employés arabes de la commune à ne pas se laisser impressionner par les ultras et à manifester leur soutien à la ligne du général De Gaulle.)

Aujourd'hui, avec le recul, je sais qu'il y a eu de cela, que même des officiers des sections administratives spécialisés (SAS) ont poussé dans cette direction. Qu'à l'inverse, les ennemis de la ligne gaullienne étaient derrière la dure répression qui a frappé les manifestants. Mais je suis très sceptique face aux allégations de ceux qui prétendent que le FLN a été derrière ces manifestations. Le FLN n'a jamais témoigné d'une culture politique de cette nature : mener un travail de masse, d'éducation et de conviction auprès des gens, privilégier l'action collective, ne faisait pas partie de son répertoire simpliste sanctifiant la lutte armée. Le PCA le lui a reproché à maintes reprises durant la guerre. Le FLN n'a jamais eu qu'un rapport instrumental aux masses. Qu'il ait tenté de profiter du mouvement en ce sens est plausible, mais seulement en ce sens.

En chemin, Malek m'avait quitté en arborant un air mystérieux ; il m'avait fixé rendez-vous près du kiosque de l'esplanade centrale de la Ville-Nouvelle -la Tahtaha. Arrivé sur la place, je ne vis rien que de très habituel : les gens vaquaient à leurs occupations. J'étais très déçu, frustré. Au bout de quelques dizaines de minute d'attente, je vis une femme voilée se diriger vers moi. À dire vrai, je la trouvai un peu trop grande et trop forte pour une femme ; elle s'arrêta à ma hauteur, leva la voilette qui lui masquait le bas du visage. - « On va y aller ! Tiens-toi prêt ! ». C'était Malek. Je m'aperçus alors que des jeunes gens -une vingtaine peut-être- s'étaient rassemblés près du kiosque ; sans doute Malek leur avait-il fixé rendez-vous là ? Notre petit attroupement se mit alors à grossir au fil des minutes, par effet grégaire mécanique, phénomène que tout un chacun a pu observer dans la vie courante : il suffit que quatre à cinq personnes s'agglutinent autour de quoi que ce soit pour que le groupe grossisse à vue d'oeil.

En l'occurrence cependant, il y avait un autre facteur qui jouait et qui était comme palpable, celui de l'attente. Tout le monde attendait qu'il se passe quelque chose après les manifestations d'Alger, la veille, qui eurent un énorme retentissement. Et de fait. Sans crier gare, quelqu'un du groupe hurla : « Tahia El Djazaïr ! ». Comme un seul homme, nous reprîmes son cri : « Tahia El Djazaïr », et nous nous mîmes spontanément en marche dans l'esplanade. Il n'y avait ni meneur, ni chef, juste un groupe de jeunes gens qui allait devenir une marée humaine. Comment ?

Je serais incapable de le dire. Je me suis retrouvé, sans que je l'aie voulu, dans la rangée de tête de la marche et je ne savais pas ce qui se passait derrière moi car j'étais dans une espèce d'ivresse, le sentiment diffus que je n'existais plus en tant que personne mais en tant qu'infime partie d'un tout articulé, vivant. Jamais auparavant je n'avais éprouvé rien de semblable. Je n'ai plus souvenir que du moment où je me suis retourné et j'ai vu la place noire de monde ; et tout ce monde criait : « Tahia El Djazaïr » ; et les rues adjacentes à la tahtaha étaient également noires de monde. C'était incroyable. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, des milliers de personnes s'étaient rassemblées et criaient à la ville et au monde leur volonté de vivre libres et dignes. Car le seul slogan répété à l'infini était ce Tahia El Djazaïr ! qui voulait dire : L'Algérie libre vivra ! C'était bien d'un hymne à la liberté et à la dignité que des milliers de gens à la poitrine et aux mains nues avaient chargé ce simple slogan.

Déjà, les CRS se déployaient à l'extrémité de l'esplanade, vers la place Roux, et venaient à notre rencontre. Nous avons continué à avancer, nullement intimidés. Les premières grenades lacrymogènes qui explosèrent à nos pieds ne nous firent pas reculer ; au contraire, ce sont les CRS qui, sous notre poussée pacifique, reculèrent jusqu'à la place Roux. Là, ils se contentèrent de tenir la place qui était l'une des portes de la médina en nous abandonnant la Tahtaha. Il est raisonnable de penser que le service d'ordre ne s'attendait pas à une manifestation de cette envergure. Les sphères dirigeantes ont sûrement commencé à s'inquiéter quand les Européens se mirent de la partie. En effet, depuis le boulevard Paul Doumer -qui sépare la médina du plateau Saint-Michel- parvenait maintenant l'écho d'un cri bien connu : « Algérie française ! ». La foule arabe, comme un seul homme, se rua alors dans les ruelles menant audit boulevard où une masse d'Européens défilait. Les soldats du contingent arrivèrent à la rescousse et continrent les manifestants arabes dans le réduit de la médina en fermant les accès encore libres avec du barbelé. La première journée vit donc les manifestants maîtres de la Ville-Nouvelle. À la nuit tombée, et à l'approche du couvre-feu, je rentrai chez moi, fourbu et aphone.

Le lendemain, je sortis à mon heure habituelle, non sans avoir emporté mon cahier de philo -un classeur- pour donner le change à ma tante (qui ne devait pas être si dupe que cela vu les sons rauques que j'émettais en guise de voix), et je me dirigeai droit vers la Tahtaha. Bis repetita, la journée fut une copie conforme de la première. Ainsi passèrent les quatre premiers jours de manifestations dans la Ville-Nouvelle. Au cinquième, tout changea. Arrivé sur l'esplanade, je vis qu'elle était occupée par des Bérets verts. Des fusiliers marins et des gardes mobiles se tenaient dans les rues adjacentes et aux différents carrefours. Un dispositif pensé pour empêcher tout départ de manifestation. Nous tentâmes un premier rassemblement ; les Bérets verts nous chargèrent avec leur brutalité naturelle. Ce fut, dès lors, le jeu du chat et de la souris dans les rues de la médina : petits groupes mobiles de manifestants pourchassés par les parachutistes. Vers 15H, un jet de lance à incendie propulsa une toute jeune fille sur moi et je me suis retrouvé les quatre fers en l'air, entouré de marsouins. Mains derrière le dos, je fus conduit sur l'esplanade centrale. Là, nous étions déjà quelques-uns à avoir été capturés, assis en tailleur, les mains sur la tête, sous la surveillance de Bérets verts. Le nombre de prisonniers grossissait au fil des minutes et bientôt une bonne partie de la place fut occupée. À 17H, on nous embarqua dans des camions en direction du stade Magenta. Là, nous fûmes parqués sur le terrain de football.

Je connaissais bien ce stade qui faisait partie du complexe militaire appelé Camp Saint-Philippe. Il était situé à deux cents mètres de chez moi, derrière le cinéma Rex. C'est là que le lycée nous faisait faire la préparation militaire, cette année même. Une parenthèse pour dire que l'internat et la préparation militaire (il faut savoir ce qu'était un adjudant !), ajoutés à la vision de soudards en « opération » dans mon douar, firent définitivement de moi un antimilitariste viscéral : je me suis radicalement identifié, depuis l'année de seconde (1958-59), au héros d'Allons z'enfants d'Yves Gibeau.

Nous sommes restés là, des heures durant, à faire les cent pas, à bouger sans cesse car la température était tombée. Mes congénères témoignaient de beaucoup de sollicitude à mon égard parce que j'étais certainement le plus jeune, 17 ans. Ils me prodiguaient des encouragements. J'avais très froid car vêtu d'un léger blouson, de plus mouillé par le jet de canon à eau. Mais mon cahier de philo était sain et sauf et le cache-nez vert qui ne me quittait jamais, également. Mon père m'a toujours obligé à en porter pour protéger ma poitrine qu'il me frictionnait tous les soirs à l'essence de térébenthine : mon pauvre père ignorait que l'asthme n'a jamais capitulé devant la térébenthine.

À un moment, l'un d'entre nous, visiblement la mort dans l'âme, sortit de sous sa chemise un vieux numéro du magazine Paris Match et y mit le feu pour se réchauffer. Le poids des mots ni le choc des photos n'ont fait... le poids devant la froidure du mois de décembre. À 21H exactement, on vit les soldats installer une table devant les vestiaires. Un officier du contingent, un jeune aspirant à fines lunettes, y prit place ; on nous ordonna de nous mettre en rang devant l'entrée du terrain grillagé. La vérification d'identité allait commencer. Les premiers à passer devant l'aspirant furent emmenés ensuite vers les vestiaires par des parachutistes. Quand se fit entendre la musique assourdissante expectorée par les hauts-parleurs placés sur le toit desdits vestiaires, je me mis à trembler : le DOP de mon village diffusait à longueur de journée la musique destinée à couvrir les cris des suppliciés. Jamais plus je n'entendrai les rengaines de Gloria Lasso sans éprouver dégoût et terreur.

Quelqu'un dans la file disait que les paras avaient des listes, qu'il y avait des traîtres parmi les manifestants, que ceux qui seraient reconnus seraient acheminés vers le centre de triage des arènes, etc. Je n'en menais pas, large car, assidu aux manifestations, je pouvais apparaître comme l'un des leaders.
- N'aie pas peur petit ! me souffla celui qui était à côté de moi. Montre-leur que tu es un homme !
Certes, ce n'étaient que des mots. Mais quel effet roboratif ils eurent sur moi ! Je leur dus certainement de ne pas me présenter à l'aspirant en tremblant car la peur et froid conjuguaient leurs effets et j'avais du mal à maîtriser les mouvements de mes genoux. Et ce fut mon tour.

-Carte d'identité ! dit l'aspirant.
J'ouvris mon blouson pour sortir ma carte de ma poche intérieure.
- Qu'est-ce c'est que ça ? s'écria l'officier.
Sous ma chemise, une protubérance avait fait sursauter l'aspirant. A-t-il cru qu'il s'agissait de la crosse d'une arme à feu ?
- C'est mon cahier de philo.
L'officier me considéra d'un drôle d'air.
- Fais voir !

Il feuilleta longuement le classeur, ne fut pas sans remarquer le buste de femme, un nu fait de la main experte de mon voisin de table, Pierre Dorr, qui couvrait tout ce qui se trouvait à portée de sa main de bustes de nus, sans demander la permission à personne. L'officier me demanda en quelle section j'étais, dans quel lycée, etc. puis me dit : Rentre chez toi ! Je fis mouvement vers la sortie quand deux parachutistes accoururent vers l'officier en manifestant bruyamment leur désaccord avec sa décision. Je n'entendis que la réponse de l'aspirant :
- Il n'en est pas question ! Et se tournant vers moi, cria : Rentre chez toi !
Les « prisonniers », derrière le grillage, l'entendirent. Alors, ils se mirent à hurler à mon adresse :
- Ne sors pas ! Ils vont te tuer !
Il y eut un moment de confusion durant lequel je restai bras ballants, ne sachant que faire. L'aspirant se leva et se dirigea vers les prisonniers, leur demandant ce qui se passait. L'un d'eux prit la parole calmement ;
- Mon lieutenant, c'est le couvre-feu ; il ne peut pas sortir seul ; il va se faire tirer dessus.
L'officier ne répondit pas mais héla deux soldats du contingent :
- Prenez la Jeep et accompagnez-le chez lui ! Suis-les ! ajouta-t-il dans ma direction.
Je suivis les deux soldats en toute confiance. Je leur signalai que j'habitais tout près de là. Ils m'accompagnèrent à pied, sans déranger la Jeep. Quand ma tante ouvrit la porte et qu'elle me vit entre deux soldats, elle eut un coup au cœur.

Le lundi suivant, je repris le chemin du lycée. Le hall d'entrée n'était pas assez spacieux pour contenir la masse des élèves qui se pressaient devant le bureau des absences. Le surveillant général arriva alors, faisant trembler le sol sous sa masse de pachyderme, les naseaux fumant, la bouche écumant. C'était ma bête noire car j'étais sa tête de Turc. Il hurla à l'adresse du "pion" qui délivrait les billets d'entrée :
- Pas besoin de billet. Envoyez-les tous en classe, sauf celui-ci, là. -Il s'agissait de moi- Mettez lui 8 heures de colle et renvoyez-le chez lui.
Une voix tonna alors derrière moi :
- Si vous le renvoyez, je demanderai le renvoi de tous vos protégés qui continuent leur grève des cours et qui n'ont rien à craindre, eux !
C'était M. Vié le sage, mon prof de philo, qui venait de fusiller l'amas de suif qui se retira tête basse et la queue entre les pattes.
- Allez en classe ! me lança mon prof.

Dans la salle, il n'y avait qu'une dizaine d'élèves ; les autres étaient dans la cour et refusaient de reprendre la classe. M. Vié le sage fit son cours normal devant un parterre réduit à sa plus simple expression. Comme l'on peut s'en douter, cet épisode n'arrangea pas mes affaires avec mes condisciples européens. La majorité m'ignorait -ou faisait semblant. Je n'avais pour copains que Pierre Dorr -fils d'un officier métropolitain de la gendarmerie mobile-, Saïman -Juif et gaulliste- et Joseph, catholique fervent.

Quand s'achèvera l'année scolaire sur un baccalauréat perturbé par les manifestations, je devrai la vie à un petit groupe de quatre personnes : Saïman, Pierre Dorr et deux jeunes filles européennes, élèves au lycée Stéphane Gsell et amies de Pierre. C'était au sortir de la dernière épreuve. Nous remontions la rue d'Arzew depuis le collège moderne de jeunes filles. À hauteur du bar Le Musset, je fus soudain encerclé par un groupe de jeunes en blouson noir. Ils tenaient des chaînes de vélo. « Alors, le bicot ! Comme ça, on présente le bac ? ». Je ne me souviens que de cette première phrase. Tout était devenu silence et obscurité autour de moi. Ai-je eu le temps de me représenter ce qui allait fatalement s'ensuivre ? Non. La main ferme de Saïman me tira du cercle de la mort ; les deux jeunes filles, Pierre et Saïman formèrent promptement un rempart autour de moi et me poussèrent de l'avant. Si incroyable que cela puisse paraître, les blousons noirs n'esquissèrent pas un geste. Quatre frêles jeunes gens et jeunes filles ont paralysé les ratonneurs avec pour seule arme leur grandeur d'âme.

Honneur à l'aspirant qui m'a sauvé de la Question en cette nuit glaciale de décembre 1960.
Honneur à mes condisciples Dorr et Saïman, ainsi qu'aux deux jeunes filles du lycée Stéphane Gsell, qui m'ont sauvé la vie en cette journée de juin 1961.
Honneur à mon prof de philo, M. Yves Vié le sage, pour l'ensemble de son œuvre.
Paix à l'âme de mon ami Malek.

DIXI ET SALVAVI ANIMAM MEAM












samedi 29 novembre 2014

LA LENTE AGONIE DU DOLLAR, LES MONDIALISATIONS ET L'ALGERIE

Abderrahmane Hadj-Nacer

Le quotidien El watan vient de publier une contribution de M. Hadj-Nacer qui fera date. L'ancien gouverneur de la banque d'Algérie s'y livre, en effet, à une analyse géostratégique d'une extrême sagacité. Voilà qui nous change heureusement des pseudo-analyses à l'emporte-pièce et au simplisme effarant qui encombrent les espaces médiatiques. 

Je me permets de faire cette recommandation aux amis lecteurs du blogue : à lire absolument.


MORCEAUX CHOISIS

Et il est même possible pour l’Empire (US) d’envisager de ne jamais rembourser (sa dette de 200 000 milliards $) parce qu’il peut, pour ce faire, recourir à la guerre.


Les États Unis ont choisi de faire payer non seulement les emprunteurs mais aussi le reste du Monde, pour sauver les banques. 


Il y a lieu de bien comprendre que lorsque l'on parle de « puissances d’argent », on désigne une composante majeure de ce qu’on appelle aujourd’hui  « l’Etat profond », c'est-à-dire les vrais décideurs et en premier lieu, ceux qui ont décidé de la financiarisation du monde.


Ainsi lorsque les Américains subventionnent l’exploitation du soit disant miracle que serait le gaz de schiste pour en baisser le prix, ce qu’ils font  en réalité, à travers ce miroir aux alouettes, c’est affaiblir les producteurs directs d’hydrocarbures, vendre les intrants d’une technologie qui leur appartient, diminuer en somme la capacité de résistance de leurs rivaux, le temps nécessaire à la restructuration du monde. 


Alors, l’Empire actuel a mis la main sur des instruments essentiels que sont, pour les catholiques l’Opus Dei, pour les musulmans le Wahhabisme et pour les protestants l’Evangélisme.  Le tout s’inscrit dans une stratégie géopolitique définie en alliance avec le sionisme. 


Que fait en effet  le Wahhabisme ? Il détruit les témoignages de l’histoire, tout ce qui permet aux musulmans de se rattacher à un lieu, un espace, un territoire, un passé en détruisant les lieux de mémoire.


La première (des sources) ayant trait à l'origine supposée "Dönmeh" d'Abdelwahhab et des Saoud. Les Dönmeh étant les disciples du Messie cabaliste (juif) Sabbataï Zevi, converti à l'islam en 1666. 


... comme il est incontestable que Haïm Weizmann, futur président de l'Etat hébreu, a reçu l'aval et le soutien de Fayçal fils du Shérif de la Mecque pour l'établissement d'Israël.


... les Oulémas algériens n'ont pas mené à terme la réforme et se sont transformés en vecteur du Wahhabisme pendant que le maraboutisme sombrait dans le folklore et dévoyait le Soufisme. 


Le crime organisé rapporte à l’international plus de 900 milliards de dollars grâce aux trafics de drogue et d’êtres humains... depuis la signature du traité de commerce libre entre le Canada, les USA et le Mexique, toute l’Amérique centrale est devenue une zone de non droit.


Le commerce de la drogue est une constituante principale de la gestion du monde. Certains économistes affirment même qu’il n’est pas possible de financer des services secrets sans trouver de sources de financement parallèle... La saga de Mokhtar Belmokhtar et la traversée sans encombre de l'Atlantique, de l'Afrique de l'Ouest et du Maghreb par des quantités colossales de drogues dures nous laissent  pantois.


 ... la définition d’Israël comme foyer juif seulement ne pouvait trouver de justification idéologique que si la preuve était faite que les religions et les civilisations ne pouvaient cohabiter. La naissance du Hamas, pour liquider l’OLP trop laïque et multiconfessionnelle, trouve ici tout son sens.


Les pays non encore détruits, comme l’Iran et l’Algérie, doivent assumer le rôle de supplétifs pour la réalisation d’objectifs politiques et militaires contraires à leurs intérêts.


Selon un ancien homme politique français, Jacques Attali pour ne pas le nommer, le monde a besoin de guerres petites ou moyennes mais gérables pour éviter les grandes ou « La Grande Guerre ». Ainsi, c’est avec légèreté qu’il est fait référence à 300 Millions de morts nécessaires à l’équilibre du monde.


 Aux Etats-Unis, la création d’une administration fédérale chargée des opérations d’urgence (FEMA) soulève beaucoup de questions et ne fournit encore aucune réponse. La FEMA crée des dizaines de camps, grillagés et fermés où s’entassent des centaines de milliers de cercueils en plastique prêts à l’emploi. Des voix s’élèvent contre les desseins encore inconnus de cette agence.


Et le pouvoir de ce chiffre des 3% européens correspond pour l’Allemagne à la garantie que l’Europe est en processus de réforme et ne dérive pas vers les Etats Unis. Cette limitation budgétaire a un autre effet fondamental, elle ôte aux européens la capacité d’avoir des armées capables d’intervenir dans le monde.


Nous voyons qu’à propos de l’Ukraine, les Etats Unis font pression sur l’Europe pour qu’elle se réarme, et, simultanément, nous observons l’Allemagne qui elle tient ferme sur l’interdit de dépasser le  plafond de déficit budgétaire. Le réarmement massif européen est donc rendu impossible. Il s’agit, en somme, d’une résistance extraordinairement intelligente à l’Empire américain, organisée par  l'Allemagne... 


Un événement incroyable s’est déroulé récemment: l’Or Allemand stocké aux USA a disparu. Attention, est en question l’Allemagne, la troisième puissance mondiale : son or, physiquement, n’est plus où l’Allemagne l’a mis. A- t- il été gagé par les USA auprès de créanciers souverains comme s’il s’agissait de leurs biens, ou s'agit-il d'autre chose? Cela pourrait effectivement signifier que les Etats Unis font pression, font du chantage sur l’Allemagne, lui intimant de se soumettre.


Les hommes des strapontins, les postulants oligarques d’origine algérienne peuvent certes entretenir cette double illusion d’être, pour services rendus, promus dans le micro-cercle intouchable de l’oligarchie mondiale et, pour le moins, de jouir à vie et de transmettre en héritage la part du butin qui leur revient sur leurs rapines, déloyautés et trahisons pour certains. Ils ne comprennent pas, malgré les précédents célèbres, du Shah d’Iran, Marcos, Ben Ali mais aussi les Khalifa, Berezovski et consorts qu’ils n’ont ni la patine généalogique, ni les strates d’accumulations, ni les codes pour accéder au Gotha, qu’ils sont des « parvenus »en mission porteurs d’une tare indélébile : leur argent sent trop fortement, trop fraîchement l’illégitimité, l’illégalité. Les admettre à sa table serait pour l’oligarchie mondiale, pour les notabilités internationales qui tant ont œuvré à en effacer les traces, être renvoyés à ses propres origines... 




N.D.B : Deux remarques que je fais à cette analyse remarquable :
1) Le pape François actuel n'était pas un adepte de la Théologie de la libération; on lui a souvent reproché de ne pas avoir été solidaire des prélats d'Amérique latine engagés sur ce terrain.
2) Il y est dit que les Oulémas algériens "se sont faits les vecteurs du wahabbisme". Certes, mais j'aurais aimé que Benbadis en fût excepté -ne serait-ce qu'en mémoire du glorieux Congrès musulman algérien, ce front Oulémas-Communistes-Démocrates qui a initié la lutte non-violente pour la citoyenneté.





http://www.elwatan.com/contributions/la-lente-agonie-du-dollar-les-mondialisations-et-l-algerie-partie1-29-11-2014-279534_120.php

http://www.elwatan.com/une/la-lente-agonie-du-dollar-les-mondialisations-et-l-algerie-partie2-29-11-2014-279575_108.php


vendredi 21 novembre 2014

LES VERSETS DE L'INVINCIBILITE




Fanny Colonna, anthropologue, vient de nous quitter. Paix à son âme. En 1996, j'avais écrit un article de recension pour la revue "Hommes et migrations". Il s'agissait d'un compte-rendu du maître ouvrage de Fanny Colonna, "Les versets de l'invincibilité". En hommage à Fanny, chrétienne-progressiste algérienne, le voici :

C'est l'histoire d'une perte, entrevue et pensée en termes de courbe, dont le tracé, "lent, très lent, séculaire", dessine en définitive la disparition d'une figure centrale de la société algérienne : le "saint", ce clerc, ce lettré, ce "taleb" nourri à la sève unique du Livre Invincible, le Coran. Avec l'effacement du saint, c'est un "bouleversement dans l'épistémé des gens" qui se produit : la manière de lire et d'interpréter le monde au moyen du Coran change. Notons bien, cependant, que le Coran reste présent dans son immuabilité et que la perception et l'appropriation du monde se font toujours par son truchement ; c'est son mode de présence au monde qui a changé.

Disons-le autrement : une fracture décisive se produit au XX ème siècle, en Algérie, qui voit la religiosité changer : la silhouette familière et fantasque du saint s'estompe pour laisser la place à l'Islahi, le réformateur qui, revenu du fond des âges -et, accessoirement de quelque voyage d'études au Moyen-Orient- entend rappeler la société à l'observance stricte de l'Islam "véritable", celui des Origines, des premiers croyants, les "Salaf".

C'est donc cette permanence de l'Islam et ces changements dans la religiosité dans l'Algérie contemporaine, que Fanny Colonna scrute, décompose et reconstruit à travers un exposé méthodologique-critique et une analyse de quatre "nouvelles", récits de Coran, de terre et de sang dans le massif montagneux de l'Aurès, dans l'est de l'Algérie.

Dans la première partie, intitulée "une religion introuvable", F. Colonna s'interroge sur les enjeux cognitifs du religieux et sur sa place et sa fonction dans les sociétés maghrébines. Elle relève que l'historiographie et la sociologie du Maghreb ont, très longtemps, été élaborées à la lumière épistémologique du positivisme durkheimien dominant dans les sciences sociales, et qui n'accordait pas de place à la religion dans son analyse des faits sociaux.

Pourtant, en dehors du cadre universitaire, une foule d'études et de travaux étaient produits sur l'Algérie qui accordaient à la religion une place centrale, essentielle même, dans la vie sociale : il s'agissait de la "littérature" des officiers des Bureaux arabes et des Administrateurs des Affaires indigènes, dont la préoccupation immédiate était, il est vrai, de comprendre, pour mieux la combattre, la dynamique de mobilisation et d'insurrection des tribus.

Cette alternative, "la religion est tout / la religion n'est rien", est la manifestation symptomale d'un autre enjeu, celui de l'inscription identitaire du Maghreb. En effet, toute une tradition intellectuelle se rattachant à la "Cité antique" de Fustel de Coulanges, via Durkheim, a abouti à la négation de l'ancrage du Maghreb dans la culture islamique, au profit de son inclusion dans l'espace méditerranéen, aux côtés de la Grèce, de Rome, de l'Anatolie... Emile Masqueray, Jean Servier et, surtout, Albert Camus figurent parmi les nombreux promoteurs de cette annexion; (F. Colonna rappelle que le premier épisode du célèbre reportage d'A.Camus, "Misère de la Kabylie", était titré : "la Grèce en haillons"!). On le voit bien : ce stéréotype de la "méditerranéité est incompatible avec une religion révélée scripturaire comme l'Islam; il n'est compatible qu'avec un paganisme de fait."

Pourtant, la présence de l'Écriture et de textes dans les sociétés maghrébines était un fait têtu et massif : pas une des manifestations de la vie en société n'était indemne de l'empreinte de la religion et du texte sacré; rien n'échappait à leur magistère. C'est cette réalité que les anthropologues anglo-saxons en particulier, Clifford Geertz, Jack Goody et Ernest Gellner -entre autres- vont placer au centre de leurs réflexions sur les sociétés islamiques ; leurs travaux vont marquer le début de la déconstruction de la raison objectiviste durkheimienne et ouvrir la voie à une interprétation du sens de la religiosité : "l'accent va être mis, dès lors, sur l'autonomie du religieux et, surtout, sur la construction d'un paradigme qui offre les moyens de questionner l'évolution des manières de croire comme un phénomène endogène, c'est à dire ne se ramenant pas à la conséquence directe des rapports avec un autre."

C'est, explicitement, que F.Colonna inscrit son travail dans le cadre général de ce paradigme ; comme C. Geertz avec Bali, ou E. Gellner avec le Haut-Atlas marocain, elle choisira le massif des Aurès, en Algérie, sur lequel, pendant plus de vingt ans, elle enquêtera et réfléchira, car il offre des homologies troublantes avec ces deux situations : " même résistance à la conversion, aussi bien à la laïcité qu'au Christianisme. Même besoin de se légitimer comme croyants aux yeux des autres et de l'État central. Et, surtout, même prise en main de l'opération de réformation religieuse par la caste religieuse elle-même; par le haut, si on peut dire. "

Dans cette immense montagne berbère de l'est algérien, qui fut le tombeau des premiers conquérants arabes, mais aussi, et paradoxalement, une forteresse de la langue arabe et de l'Islam - à la différence de sa "cousine", la Kabylie, massivement berbérophone et souvent consentante à la conversion au Christianisme-, les récits des Origines situent l'éponyme fondateur à l'ouest (en général dans la Séguia El Hamra, le Sahara Occidental, lieu de départ de ces moines-soldats qui tiennent les marches du Dar El Islam, la "maison de l'Islam", dans leurs "Ribat", ces avant-postes fortifiés : d'où leur nom les Mourabitounes, ceux qui tiennent le Ribat, et sa déformation en "Mrabtines", les marabouts, saints, guérisseurs et savants.)

Le premier récit est consacré à l'histoire d'une tribu des Aurès qui situe ainsi ses origines.
Le second traite de la tribu des M'samda, protagoniste et ordonnatrice d'un grand rituel ambulatoire au caractère " astronomique" (lié aux saisons) et orgiaque évident.
Le troisième est l'histoire d'un homme dont la prétention à la sainteté est en débat.
La quatrième "nouvelle", enfin, raconte l'émergence de la Réformation religieuse à travers la biographie d'un membre de l'association des Ulémas musulmans, ces lettrés d'un nouveau style qui vont mener cette tentative de retour à un Islam épuré des "scories" maraboutiques.

Au terme de cette recherche qui devrait introduire à une " sociologie intellectuelle " de la société algérienne, que retenir ?

D'abord, que les figures successives des clercs, saints et autres lettrés, procédaient toutes d'un substrat intellectuel qui a rendu ce pays "invincible", qui l'a préservé contre l'aliénation mentale : ce substratum, c'est le 'Ilm, la tradition scolastique -point aveugle de l'historiographie et de la sociologie officielles- qui s'est fondée, durant des siècles, sur l'inculcation et la retransmission d'un savoir religieux autochtone.

Ensuite, que c'est dans le creuset d'une langue liturgique et d'une pensée religieuse que l'idée de nationalité est née ; en ce sens, on peut dire que ces réformateurs, qui ont tenté de remplacer les saints traditionnels, sont bien les "pères de la nation, mais en une filiation non sanglante, au contraire de celle du pouvoir politique".

Mais le lecteur ne pourra pas s'empêcher de penser à ces figures sanglantes, venues d'un autre âge, elles aussi, et, accessoirement, d'un voyage dans le Moyen-Orient, et qui ont entrepris de réislamiser -encore !- cette pauvre Algérie. Il ne pourra pas ne pas remarquer que, par leur haine du festif, de la joie et de la foi populaire, elles sont, décidément, à la ressemblance de leurs illustres devanciers, les réformateurs, dont il faut excepter les esprits les plus éclairés, les plus occidentalisés, les plus modernistes, tel Benbadis.



Messaoud Benyoucef (02/11/96)

LES VERSETS DE L'INVINCIBILITE

Permanence et changements religieux dans l'Algérie contemporaine
Fanny Colonna

Presses de Sciences Po 400p.  

mercredi 29 octobre 2014

L'HOMME MALADE DU PROCHE ORIENT

  « Haïr les Arabes n’est pas du racisme, c’est une valeur morale »

“Il est temps d’admettre honnêtement que la société israélienne est malade – et il est de notre devoir de traiter cette maladie”. 

C'est le Président de la colonie juive de Palestine -"seule démocratie du Proche Orient"- qui a fait cette déclaration, rapportée par le "Jerusalem Post" et l'"Agence télégraphique juive." Le Présidenta ajouté : « Je ne demande pas s’ils ont oublié comment être Juifs, mais s’ils ont oublié comment être des êtres humains décents. Ont-ils oublié comment converser ? »


Le Président ne dit pas comment sortir de cette aporie :  être des êtres humains "décents" veut dire rentrer dans les rangs de l'humaine condition, chose impossible quand on croit mordicus au mythe criminel du "peuple élu". 


Cela étant, on remarquera que cette déclaration arrive après le carnage perpétré contre un camp de concentration, le plus grand du monde, Gaza, dont on a pris soin -encore une fois- de bombarder les écoles (appartenant à l'ONU) afin de faire le plus grand nombre de tués possible parmi les enfants. Et ce n'est pas là calomnie : un député du Likoud, Ayelet Shaked, appelle à assassiner des mères palestiniennes et leurs enfants; une foule de manifestants chante "Il n'y aura pas école demain, on a tué tous les enfants (palestiniens)"; une entreprise textile israélienne a fabriqué des t-shirts floqués portant l'image d'une femme palestinienne enceinte avec la légende suivante : "Un tir, deux morts" etc..

La vérité est là : l'état juif mène une guerre démographique au terme de laquelle il espère parvenir à ses fins dernières : un état juif purifié, un état juif "arabenrein", s'étendant du Nil à l'Euphrate. Déjà, il est établi aux sources du Nil, étant chez lui dans le nouvel état du Sud Soudan. Et il s'approche du deuxième fleuve, étant à demeure au Kurdistan irakien, celui de Barzani.


mardi 28 octobre 2014

LE COMPLEXE MILITARO-COMPRADORE



Baisse du prix du baril de pétrole

Cet article a été écrit et publié en juillet 2012, après les soi-disant élections législatives algériennes qui eurent lieu en mai 2012. 

Une Algérie engourdie sous la canicule et le ramadhan n'a pas remarqué qu'il s'était produit un coup de tonnerre dans un ciel désespérément bleu et limpide. Plus exactement, il s'agit d'un coup de pied de l'âne comme on en a rarement vu. Le rapport final de la mission d'observation électorale de l'Union européenne (MOE) pour les élections (soi-disant) législatives du 10 mai 2012 a été remis aux autorités algériennes. La Mission a tenu, à cette occasion, une conférence de presse durant laquelle elle a dévoilé aux médias la substantifique moelle de ce rapport. Il n'y avait là rien que de très technique et de convenu. Sauf -ô surprise- que la MOE quitta subitement le terrain des constatations et des recommandations pour brosser à grands traits un état des lieux politiques des institutions de la République algérienne (prétendument) démocratique et populaire. Et qu'a dit la MOE ?

- Que la soi-disant APN (Assemblée populaire nationale), ou chambre basse du Parlement, a rarement l'initiative législative et que la majorité des lois sont prises à l'initiative du gouvernement (lequel est dirigé en dernière instance par le président de la République, le Premier ministre n'étant qu'un truchement) ;

- Que -quelle que soit la composition de l'APN-, cest le Conseil de la nation (chambre haute) qui entérine in fine l'adoption des lois et des réformes ;

- Que la chambre basse peut être dissoute par le président de la République ;

- Que la participation de 44 partis -dont une vingtaine agréés à quelques jours du scrutin- a participé à l'émiettement de voix et a favorisé le FLN ;

- Que le président de la République, rééligible sans limite de mandats, nommant le Premier ministre et le gouvernement, disposant de larges prérogatives législatives, est également le chef du pouvoir judiciaire (déclaré prétendument indépendant par la constitution) qu'il exerce en sa qualité de président du Conseil supérieur de la magistrature.

Traduit en clair, tout cela veut dire qu'il n'y a pas de séparation des pouvoirs en Algérie ; qu'un seul homme les concentre tous entre ses mains ; que l'Algérie n'est donc pas une république -et encore moins une démocratie- mais que c'est un système de type absolutiste, plus proche du despotisme asiatique que de l'État moderne qui, lui, organise la redistribution des pouvoirs au sein de la société. Si la MOE avait fait une analyse rapide du fonctionnement économique du pays, nul doute que nous aurions eu, alors, la description exhaustive d'un système que l'on peut désigner par la notion de Complexe militaro-compradore.

Cela veut dire également que ces (soi-disant) élections législatives -outre qu'elles n'étaient pas honnêtes- n'ont servi à rien, qu'elles ne peuvent servir à rien dans un tel système. Cela, tout Algérien le savait -le sait depuis toujours- et c'est même pour cela qu'il ne s'est pas dérangé le 10 mai. Mais voilà : c'est dit par une commission européenne que le pouvoir siloviki (militaro-policier) avait lui-même sollicitée, escomptant qu'elle lui délivrerait un satisfecit à même de redorer son blason. Mais c'est à un retour de manivelle en plein dans les gencives qu'il a eu droit.

Si le pouvoir siloviki n'a pas réagi aux horions que la MOE lui a distribués avec une prodigalité rare, qu'en est-il des soi-disant partis politiques qui ont participé « à la grande fête démocratique » que furent les élections du 10 mai (c'est ce qu'ils feignent de croire car cela arrange leur conscience et rend hallal l'indécent émolument qu'ils vont percevoir) ? Silence de plomb, de ce côté, également. Il faut bien comprendre que si le pouvoir soi-même ne s'est pas exprimé, ses appendices le peuvent encore moins. Combien eussions-nous aimé, cependant, qu'au moins le plus proche des institutions européennes réagisse ! Faut-il en déduire que le bœuf sur la langue du FFS pèse décidément trop lourd pour que ses chefs -ceux qui ont pris la décision de la géniale «participation tactique»- puissent la remuer ? Compatissons et passons.

Un autre événement est survenu, en effet, qui n'a pas eu davantage d'échos chez les silovikis ni chez la soi-disant « classe politique » : l'Algérie vient d'être classée au dernier rang mondial pour les liaisons internet. Faiblesse du débit et de la bande passante, la totale. Comment un pays doté de ressources immenses peut-il faire moins bien que d'autres, africains et asiatiques, très pauvres ? Est-ce le rôle éminent joué par la Toile et les réseaux sociaux dans les insurrections arabes qui expliquerait que les silovikis ne veuillent pas développer un instrument de communication aussi efficace ? Il y a probablement de cela et plus encore l'attitude générale d'un pouvoir qui a été, depuis toujours, méfiant à l'égard de l'intelligence et de la science : même Boumédiène a préféré, comme Ministre de l'éducation, Med-Chérif Kharroubi (illustre abrégé) à Mostafa Lacheraf (agrégé de la Sorbonne). Mais le fond de l'affaire est certainement ailleurs : la mise aux normes internationales « Très Haut Débit » du réseau exige de substituer la fibre optique aux fils de cuivre. Un fabuleux contrat pour la multinationale qui le décrocherait. Et une non moins fabuleuse rétro-commission pour les « décideurs ». Donc, il faudra attendre que le GIS (ou de quelque nom que l'on voudra l'affubler) -le groupement d'intérêts siloviki qui régule le partage de la manne- ait mis tout le monde d'accord sur le choix de la multinationale qui captera le marché ainsi que sur le montant des dividendes de chacun. (Des esprits mal intentionnés ont prétendu que le promoteur de cette façon de faire est Larbi Belkheir et que sa méthode est un démarquage du système dit de la coupole, celui de Cosa Nostra.)

De même qu'il faudra attendre les délibérations du GIS pour qu'un autre scandale qui met, celui-là, les gens dans la rue, cesse : il s'agit des coupures de courant électrique, en fait des délestages opérés par la société nationale qui gère l'énergie électrique. Dans un pays exportateur d'hydrocarbures, à l'ensoleillement presque continu, la production d'énergie ne suit plus ! Alors même qu'il suffirait que chaque habitant place quelques panneaux solaires sur son toit. Mais qui fournira ces panneaux ? Une multinationale etc.

Ainsi va le complexe militaro-compradore. De son pas de plomb qui plombe un pays entier, tournant le dos aux intérêts nationaux.