braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

mardi 28 octobre 2014

LE COMPLEXE MILITARO-COMPRADORE



Baisse du prix du baril de pétrole

Cet article a été écrit et publié en juillet 2012, après les soi-disant élections législatives algériennes qui eurent lieu en mai 2012. 

Une Algérie engourdie sous la canicule et le ramadhan n'a pas remarqué qu'il s'était produit un coup de tonnerre dans un ciel désespérément bleu et limpide. Plus exactement, il s'agit d'un coup de pied de l'âne comme on en a rarement vu. Le rapport final de la mission d'observation électorale de l'Union européenne (MOE) pour les élections (soi-disant) législatives du 10 mai 2012 a été remis aux autorités algériennes. La Mission a tenu, à cette occasion, une conférence de presse durant laquelle elle a dévoilé aux médias la substantifique moelle de ce rapport. Il n'y avait là rien que de très technique et de convenu. Sauf -ô surprise- que la MOE quitta subitement le terrain des constatations et des recommandations pour brosser à grands traits un état des lieux politiques des institutions de la République algérienne (prétendument) démocratique et populaire. Et qu'a dit la MOE ?

- Que la soi-disant APN (Assemblée populaire nationale), ou chambre basse du Parlement, a rarement l'initiative législative et que la majorité des lois sont prises à l'initiative du gouvernement (lequel est dirigé en dernière instance par le président de la République, le Premier ministre n'étant qu'un truchement) ;

- Que -quelle que soit la composition de l'APN-, cest le Conseil de la nation (chambre haute) qui entérine in fine l'adoption des lois et des réformes ;

- Que la chambre basse peut être dissoute par le président de la République ;

- Que la participation de 44 partis -dont une vingtaine agréés à quelques jours du scrutin- a participé à l'émiettement de voix et a favorisé le FLN ;

- Que le président de la République, rééligible sans limite de mandats, nommant le Premier ministre et le gouvernement, disposant de larges prérogatives législatives, est également le chef du pouvoir judiciaire (déclaré prétendument indépendant par la constitution) qu'il exerce en sa qualité de président du Conseil supérieur de la magistrature.

Traduit en clair, tout cela veut dire qu'il n'y a pas de séparation des pouvoirs en Algérie ; qu'un seul homme les concentre tous entre ses mains ; que l'Algérie n'est donc pas une république -et encore moins une démocratie- mais que c'est un système de type absolutiste, plus proche du despotisme asiatique que de l'État moderne qui, lui, organise la redistribution des pouvoirs au sein de la société. Si la MOE avait fait une analyse rapide du fonctionnement économique du pays, nul doute que nous aurions eu, alors, la description exhaustive d'un système que l'on peut désigner par la notion de Complexe militaro-compradore.

Cela veut dire également que ces (soi-disant) élections législatives -outre qu'elles n'étaient pas honnêtes- n'ont servi à rien, qu'elles ne peuvent servir à rien dans un tel système. Cela, tout Algérien le savait -le sait depuis toujours- et c'est même pour cela qu'il ne s'est pas dérangé le 10 mai. Mais voilà : c'est dit par une commission européenne que le pouvoir siloviki (militaro-policier) avait lui-même sollicitée, escomptant qu'elle lui délivrerait un satisfecit à même de redorer son blason. Mais c'est à un retour de manivelle en plein dans les gencives qu'il a eu droit.

Si le pouvoir siloviki n'a pas réagi aux horions que la MOE lui a distribués avec une prodigalité rare, qu'en est-il des soi-disant partis politiques qui ont participé « à la grande fête démocratique » que furent les élections du 10 mai (c'est ce qu'ils feignent de croire car cela arrange leur conscience et rend hallal l'indécent émolument qu'ils vont percevoir) ? Silence de plomb, de ce côté, également. Il faut bien comprendre que si le pouvoir soi-même ne s'est pas exprimé, ses appendices le peuvent encore moins. Combien eussions-nous aimé, cependant, qu'au moins le plus proche des institutions européennes réagisse ! Faut-il en déduire que le bœuf sur la langue du FFS pèse décidément trop lourd pour que ses chefs -ceux qui ont pris la décision de la géniale «participation tactique»- puissent la remuer ? Compatissons et passons.

Un autre événement est survenu, en effet, qui n'a pas eu davantage d'échos chez les silovikis ni chez la soi-disant « classe politique » : l'Algérie vient d'être classée au dernier rang mondial pour les liaisons internet. Faiblesse du débit et de la bande passante, la totale. Comment un pays doté de ressources immenses peut-il faire moins bien que d'autres, africains et asiatiques, très pauvres ? Est-ce le rôle éminent joué par la Toile et les réseaux sociaux dans les insurrections arabes qui expliquerait que les silovikis ne veuillent pas développer un instrument de communication aussi efficace ? Il y a probablement de cela et plus encore l'attitude générale d'un pouvoir qui a été, depuis toujours, méfiant à l'égard de l'intelligence et de la science : même Boumédiène a préféré, comme Ministre de l'éducation, Med-Chérif Kharroubi (illustre abrégé) à Mostafa Lacheraf (agrégé de la Sorbonne). Mais le fond de l'affaire est certainement ailleurs : la mise aux normes internationales « Très Haut Débit » du réseau exige de substituer la fibre optique aux fils de cuivre. Un fabuleux contrat pour la multinationale qui le décrocherait. Et une non moins fabuleuse rétro-commission pour les « décideurs ». Donc, il faudra attendre que le GIS (ou de quelque nom que l'on voudra l'affubler) -le groupement d'intérêts siloviki qui régule le partage de la manne- ait mis tout le monde d'accord sur le choix de la multinationale qui captera le marché ainsi que sur le montant des dividendes de chacun. (Des esprits mal intentionnés ont prétendu que le promoteur de cette façon de faire est Larbi Belkheir et que sa méthode est un démarquage du système dit de la coupole, celui de Cosa Nostra.)

De même qu'il faudra attendre les délibérations du GIS pour qu'un autre scandale qui met, celui-là, les gens dans la rue, cesse : il s'agit des coupures de courant électrique, en fait des délestages opérés par la société nationale qui gère l'énergie électrique. Dans un pays exportateur d'hydrocarbures, à l'ensoleillement presque continu, la production d'énergie ne suit plus ! Alors même qu'il suffirait que chaque habitant place quelques panneaux solaires sur son toit. Mais qui fournira ces panneaux ? Une multinationale etc.

Ainsi va le complexe militaro-compradore. De son pas de plomb qui plombe un pays entier, tournant le dos aux intérêts nationaux.

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