braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

samedi 27 février 2016

LIBYE : L’ÉTAT ISLAMIQUE EST-IL L’ENNEMI PRINCIPAL ?




En Libye où l’État islamique est la surinfection d’une plaie ouverte par les islamistes dits « modérés », la situation semble s’éclaircir à l’est, en Cyrénaïque, alors qu’elle s’assombrit en Tripolitaine [1], à l’ouest.

En Cyrénaïque, les forces de l’ANL (Armée nationale libyenne) du général Haftar sont passées à l’offensive, à la fois contre les milices salafistes et contre celles de l’État islamique (Daech). La ville de Benghazi est désormais majoritairement tenue par les hommes du général Haftar, les salafistes ayant été chassés de la zone portuaire et de plusieurs quartiers, dont ceux de Bouatni, Leithi et Sabri. Parallèlement, l’ANL ayant repoussé l’État islamique du terminal pétrolier d’Ajdabia, l’expansion de ce dernier vers l’est semble stoppée. Du moins pour le moment.
Depuis son quartier général d’El Merj, le général Haftar semble donc être en passe de s’imposer comme l’homme fort de Cyrénaïque. Cet ancien compagnon du colonel Kadhafi, qui avait rompu avec lui, n’a jamais coupé les liens le rattachant à l’alliance tribale constituée autour du défunt colonel [2], ce qui lui assure une base tribale importante. D’autant plus qu’il est l’allié des Toubou du Fezzan.
On mesure là l’abîme séparant la réalité du terrain des abstraites constructions européo-centrées. C’est ainsi que le pseudo-gouvernement dit « d’union nationale » laborieusement constitué par la communauté internationale fait la part belle aux Frères musulmans de Misrata soutenus par la Turquie et par le Qatar, mais écarte le général Haftar.

En Tripolitaine, l’alliance entre salafistes et Frères musulmans de Misrata, connue sous le nom de Fajr Libya, bat de l’aile. La raison tient au jeu trouble que certaines milices entretiennent avec l’État islamique. Au moment où elle affirmait lutter contre ce dernier et demandait des armes aux Occidentaux, Fajr Libya laissait ainsi l’État islamique s’installer à Sabratha, en plein cœur de sa zone... Derrière ce double jeu, apparaît l’ombre d’une Turquie qui compte sur l’État islamique afin d’affaiblir le général Haftar en Cyrénaïque, tout en isolant ses alliés de Zinten en Tripolitaine. La manœuvre d’Ankara est claire : ne laisser que le choix entre les Frères musulmans de Misrata et l’État islamique. Ce qui, à la faveur d’une intervention militaire occidentale, permettrait aux premiers de prendre le contrôle du pays et à la Turquie d’opérer un retour en force dans un territoire qui lui fut arraché par l’Italie en 1911.

Depuis plusieurs mois L’Afrique réelle insiste sur le danger qu’il y aurait à intervenir au profit des islamistes dits « modérés » contre ceux de l’État islamique. Tous ont en effet partie liée. La solution se trouve donc ailleurs. C’est pourquoi il importe de changer de paradigme. L’ennemi principal est moins l’État islamique que les milices islamistes qui prétendent le combattre, elles qui sont à l’origine du chaos. La Turquie et le Qatar soutiennent ces dernières quand la solution est du côté de la Libye bédouine et berbère.

Notes


[1] Ne craignant pas de compromettre de possibles actions en cours et de mettre des vies françaises en danger, le quotidien Le Monde en date du 25 février a « révélé » l’existence d’opérations des services français en Libye.
[2] Voir à ce sujet Histoire et géopolitique de la Libye. Bon de commande page 8.


lundi 1 février 2016

IL ÉTAIT UNE FOIS LES "PROGRESSISTES" ALGÉRIENS

Sadek Hadjerès


Un article de Mohamed Saadoune*

Pour un étudiant qui arrivait à l'université dans les années 70 et 80, la gauche c'était ou "les pagsistes" ou les petits groupes de "gauchos". Même si les nuances étaient de mise, les premiers paraissaient plus populos et les seconds plus tchitchi.
L'étudiant tenté par la politique va apprendre des "gauchos" que ceux de la "pagsaille" (on savait déjà être méchants) étaient en réalité d'affreux serviteurs du pouvoir qui dupaient les "classes populaires."
Les Pagsistes, eux, répliquaient que les gauchos n'étaient, le plus souvent, que des fils et filles de nomenklaturistes qui tentaient de donner un sens politique à leurs petites bisbilles avec leur paternel. Rien n'est jamais simple pourtant. Mais ces anecdotes renvoient à deux conceptions du militantisme.
Celle du Parti de l'avant-garde socialiste (PAGS) qui héritait, tant bien que mal de l'expérience du Parti Communiste Algérien mais aussi du mouvement national, était une vision " classique"... Pas de "grand soir" à attendre mais utiliser toutes les possibilités disponibles y compris les contradictions au sein du pouvoir pour défendre des politiques (anti-impérialisme) et des mesures jugées positives (réforme agraire, gratuité de l'enseignement et des soins).

Ils étaient, militants, sympathisants ou simples compagnons de route, ceux qui ont été appelés les "progressistes". A l'opposé, les gauchos n'étaient pas des "progressistes" mais des "révolutionnaires", des gens impatients de faire le grand saut et qui se moquaient de "l'étapisme" des pagsos.
Les gauchos s'installaient dans un radicalisme sans conséquence, les pagsistes, eux, tentaient d'investir le terrain : révolution agraire, écoles populaires, campagne d'alphabétisation, action syndicale. L'influence intellectuelle du PAGS dépassait de très loin le nombre de ses militants. Mais elle n'était pas sans contradiction.
Quadrature du cercle

Le PAGS se retrouvait dans une sorte de quadrature du cercle : être un mouvement clandestin d'opposition qui mène des actions publiques. La démarche a été plus ou moins un succès durant les années Boumediene qui était lui-même dans une vision "progressiste" commence à atteindre ses limites après son décès.
Les militants du PAGS qui se trouvaient dans le syndicat UGTA et l'UNJA (union nationale de la jeunesse algérienne) allaient en être systématiquement exclus après l'adoption, par le congrès extraordinaire du parti unique, le FLN, de l'article 120 qui dispose que seuls les membres du parti peuvent assumer des responsabilités au sein des organisations de masse.
C'était en fait la dernière étape de la caporalisation du syndicat et de l'Unja dans une Algérie qui s'apprêtait à suivre l'Egypte dans la politique de « l'infitah » avec le maintien du système du parti unique. Une période dure pour les militants du PAGS.
A la veille d'octobre 1988, alors que le pouvoir est en crise depuis la chute du prix du pétrole en 1986, des rafles massives sont opérées dans les rangs des militants. Beaucoup ont été torturés au cours de ces journées terribles... qui vont déboucher sur une autre étape pour le pays et le PAGS.
La sortie de la clandestinité et l'entrée dans la légalité s'est faite dans un contexte surchauffé par la montée du courant islamiste et la crise sociale. Bien avant la tournure violente que prendra la crise algérienne après l'arrêt du processus électoral en janvier 1992, le Pags s'est retrouvé au cœur de la question : que faire avec les islamistes ?
Sadek Hadjeres, dont le long cheminement militant ne pouvait s'accommoder des visions sectaires et encore moins des solutions brutales, va se heurter à ce qui sera le premier "redressement" organisé par le pouvoir. Hachemi Cherif et ses partisans, soutenus par les appareils du régime, procèdent à la liquidation du PAGS et créent Ettahadi.
"Le scénario, rôdé à l'encontre du PAGS entre 1990 et 1992, est devenu un mode d'emploi classique du régime dans ses rapports avec la " classe politique ". Qualifié par euphémisme de " redressement", il a été poursuivi au cours des années suivantes dans le but de diviser, briser ou "aligner" d'autres formations qui risquaient de faire de l'ombre aux plans concoctés par les clans dominants du pouvoir ou des groupes d'intérêt internationaux" note Sadek Hadjeres.
Ettahadi va être le pourvoyeur de discours idéologiques éradicateurs des années 90. Une vraie liquidation d'un patrimoine militant s'est opérée. Les anciens du PAGS menaient de grands efforts pour coller aux classes populaires et gardaient un esprit critique à l'égard du pouvoir. Les nouveaux dirigeants d'Ettahadi, au nom d'un anti-populisme spécifique, exprimaient une vive hostilité à l'égard de ces mêmes classes.
Ce courant liquidateur de l'élan progressiste va s'exprimer avec une haine terrible dans le discours du Front de l'Algérie Moderne (FAM) qui a poussé «l'analyse » jusqu'à diviser les algériens entre un peuple "intégriste" et un autre "moderniste".
Les progressistes ont disparu dans la nature après la crise des années 90. Exils, renoncement à la politique... Il n'est resté que des groupes qui travaillaient ouvertement pour le pouvoir et chez qui l'obsession anti-islamiste va tout supplanter.
Les liquidateurs du PAGS vont produire tous les discours de circonstance pour appuyer l'autoritarisme y compris de dénier à la population le droit de voter. C'était chic de dire, par exemple ; "on ne va pas jouer l'avenir du pays avec des électeurs analphabètes". Une attaque frontale contre le principe démocratique lui-même.
Le PAGS, avec ses limites, a été porteur d'une vision généreuse qui tentait d'agir de manière concrète en faveur des classes populaires. Ses liquidateurs se sont installés comme idéologues du pouvoir... même si quinze ans plus tard, ils ont le sentiment d'avoir été faits cocus. Mais sur le fond, ils restent hostiles à des classes populaires qui ont eu le tort de mal voter un certain 26 décembre 1991. La gauche est à refaire. Après inventaire…

*http://www.huffpostmaghreb.com/mohamed-saadoune/algerie-pags-gauche_b_9123786.html?utm_hp_ref=algeria