Sadek Hadjerès |
Un article de Mohamed Saadoune*
Pour
un étudiant qui arrivait à l'université dans les années 70 et 80,
la gauche c'était ou "les pagsistes" ou les petits groupes
de "gauchos". Même si les nuances étaient de mise, les
premiers paraissaient plus populos et les seconds plus tchitchi.
L'étudiant
tenté par la politique va apprendre des "gauchos" que ceux
de la "pagsaille" (on savait déjà être méchants)
étaient en réalité d'affreux serviteurs du pouvoir qui dupaient
les "classes populaires."
Les
Pagsistes, eux, répliquaient que les gauchos n'étaient, le plus
souvent, que des fils et filles de nomenklaturistes qui tentaient de
donner un sens politique à leurs petites bisbilles avec leur
paternel. Rien n'est jamais simple pourtant. Mais ces anecdotes
renvoient à deux conceptions du militantisme.
Celle
du Parti de l'avant-garde socialiste (PAGS) qui héritait, tant bien
que mal de l'expérience du Parti Communiste Algérien mais aussi du
mouvement national, était une vision " classique"... Pas de
"grand soir" à attendre mais utiliser toutes les possibilités disponibles y compris les contradictions au sein du
pouvoir pour défendre des politiques (anti-impérialisme) et des
mesures jugées positives (réforme agraire, gratuité de
l'enseignement et des soins).
Ils
étaient, militants, sympathisants ou simples compagnons de route,
ceux qui ont été appelés les "progressistes". A
l'opposé, les gauchos n'étaient pas des "progressistes"
mais des "révolutionnaires", des gens impatients de faire
le grand saut et qui se moquaient de "l'étapisme" des
pagsos.
Les
gauchos s'installaient dans un radicalisme sans conséquence, les
pagsistes, eux, tentaient d'investir le terrain : révolution
agraire, écoles populaires, campagne d'alphabétisation, action
syndicale. L'influence intellectuelle du PAGS dépassait de très
loin le nombre de ses militants. Mais elle n'était pas sans
contradiction.
Quadrature
du cercle
Le
PAGS se retrouvait dans une sorte de quadrature du cercle : être un
mouvement clandestin d'opposition qui mène des actions publiques. La
démarche a été plus ou moins un succès durant les années
Boumediene qui était lui-même dans une vision "progressiste"
commence à atteindre ses limites après son décès.
Les
militants du PAGS qui se trouvaient dans le syndicat UGTA et l'UNJA
(union nationale de la jeunesse algérienne) allaient en être
systématiquement exclus après l'adoption, par le congrès
extraordinaire du parti unique, le FLN, de l'article 120 qui dispose
que seuls les membres du parti peuvent assumer des responsabilités
au sein des organisations de masse.
C'était
en fait la dernière étape de la caporalisation du syndicat et de
l'Unja dans une Algérie qui s'apprêtait à suivre l'Egypte dans la
politique de « l'infitah » avec le maintien du système du parti
unique. Une période dure pour les militants du PAGS.
A la veille d'octobre 1988, alors que le pouvoir est en crise depuis la chute du prix du pétrole en 1986, des rafles massives sont opérées dans les rangs des militants. Beaucoup ont été torturés au cours de ces journées terribles... qui vont déboucher sur une autre étape pour le pays et le PAGS.
La
sortie de la clandestinité et l'entrée dans la légalité s'est
faite dans un contexte surchauffé par la montée du courant
islamiste et la crise sociale. Bien avant la tournure violente que
prendra la crise algérienne après l'arrêt du processus électoral
en janvier 1992, le Pags s'est retrouvé au cœur de la question :
que faire avec les islamistes ?
Sadek
Hadjeres, dont le long cheminement militant ne pouvait s'accommoder
des visions sectaires et encore moins des solutions brutales, va se
heurter à ce qui sera le premier "redressement" organisé
par le pouvoir. Hachemi Cherif et ses partisans, soutenus par les
appareils du régime, procèdent à la liquidation du PAGS et créent
Ettahadi.
"Le
scénario, rôdé à l'encontre du PAGS entre 1990 et 1992, est
devenu un mode d'emploi classique du régime dans ses rapports avec
la " classe politique ". Qualifié par euphémisme de "
redressement", il a été poursuivi au cours des années
suivantes dans le but de diviser, briser ou "aligner"
d'autres formations qui risquaient de faire de l'ombre aux plans
concoctés par les clans dominants du pouvoir ou des groupes
d'intérêt internationaux" note Sadek Hadjeres.
Ettahadi va être le pourvoyeur de discours idéologiques éradicateurs des années 90. Une vraie liquidation d'un patrimoine militant s'est opérée. Les anciens du PAGS menaient de grands efforts pour coller aux classes populaires et gardaient un esprit critique à l'égard du pouvoir. Les nouveaux dirigeants d'Ettahadi, au nom d'un anti-populisme spécifique, exprimaient une vive hostilité à l'égard de ces mêmes classes.
Ce
courant liquidateur de l'élan progressiste va s'exprimer avec une
haine terrible dans le discours du Front de l'Algérie Moderne (FAM)
qui a poussé «l'analyse » jusqu'à diviser les algériens entre un
peuple "intégriste" et un autre "moderniste".
Les
progressistes ont disparu dans la nature après la crise des années
90. Exils, renoncement à la politique... Il n'est resté que des
groupes qui travaillaient ouvertement pour le pouvoir et chez qui
l'obsession anti-islamiste va tout supplanter.
Les
liquidateurs du PAGS vont produire tous les discours de circonstance pour appuyer l'autoritarisme y compris de dénier à la population le
droit de voter. C'était chic de dire, par exemple ; "on ne va
pas jouer l'avenir du pays avec des électeurs analphabètes".
Une attaque frontale contre le principe démocratique lui-même.
Le
PAGS, avec ses limites, a été porteur d'une vision généreuse qui
tentait d'agir de manière concrète en faveur des classes
populaires. Ses liquidateurs se sont installés comme idéologues du
pouvoir... même si quinze ans plus tard, ils ont le sentiment
d'avoir été faits cocus. Mais sur le fond, ils restent hostiles à
des classes populaires qui ont eu le tort de mal voter un certain 26
décembre 1991. La gauche est à refaire. Après inventaire…
*http://www.huffpostmaghreb.com/mohamed-saadoune/algerie-pags-gauche_b_9123786.html?utm_hp_ref=algeria
merci pour cette synthèse ou hommage funéraire au PAGS dont la mémoire doit toutefois être complète et contenir quelque critique du dogamtisme de certains, d'erreurs stratégiques coûteuses et d''analyses assez pauvres de la sociologie des populations algériennes amalgamées dans une idéologie plutôt populiste qui aura coûté assez cher aux militants que ce peuple a de fait troqué pour des matérialités funestes.
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