Un article de Bernard Lugan
L'attentat
tragique de Bamako s'explique par la progression vers le sud d'un
islamisme armé ayant profité du vide créé par la désastreuse
intervention militaire française de 2011 en Libye.
Qui
plus est, les réductions opérées sous la présidence de Nicolas
Sarkozy ont eu pour conséquence de livrer au gouvernement de
François Hollande, un outil militaire très affaibli. Dans ces
conditions, malgré les prouesses opérées par les 3000 soldats
français chargés de stabiliser un désert de près de 3 millions de
kilomètres carrés, il était impossible à nos Armées, en raison
même de leur format, de prévenir tout risque d'attentat au Mali.
Si
le président Sarkozy n'avait réduit de façon si drastique les
forces pré positionnées françaises, notamment à Bamako, en
déclarant en 2006 dans cette même ville que "la France n'a pas
besoin de l'Afrique", il est fort probable que les islamistes
n'auraient jamais osé s'en prendre de la sorte aux intérêts
européens.
Ceci
étant, dans l'affaire de la prise d'otages de Bamako, six éléments
ne doivent pas être perdus de vue :
1)
Les autorités maliennes ont pour ennemis prioritaires les
séparatistes touareg. Les jihadistes qui combattent ces derniers et
qui ne demandent pas la partition du Mali sont de fait des alliés.
2)
Refusant de reconnaître qu'elles ont laissé les jihadistes
gangrener Bamako, ces mêmes autorités maliennes ont donc été
promptes à faire porter la responsabilité de l'attaque de l'hôtel
Radisson sur l'ennemi "nordiste" (touareg), ou sur des
étrangers (le jihadiste algérien Moktar ben Moktar).
3)
L'émiettement du pouvoir central s'accélère. L'armée malienne
étant incapable de contrôler le pays, les autorités de Bamako ont
en effet encouragé la création de milices ethniques destinées
à lutter contre les Touareg. Au nord, nous avons ainsi le GATIA (
Groupe d'auto défense touareg Imghad et alliés) dirigé par le
colonel Ag Gamou. Au sud du fleuve, le FLM (Front de libération du
Macina), héritier des milices peul d'auto-défense des années 2000
a basculé dans le fondamentalisme inspiré de la secte Dawa
d'origine pakistanaise. Or, avec le Macina, c'est le coeur même du
Mali qui est touché, et non plus les extrêmes périphéries
sahariennes nordistes. Après les Touareg, les Maures et les Peul,
les Sénoufo vont-ils à leur tour créer un groupe armé pour
revendiquer la renaissance de leur Kénédougou?
4)
Contrairement à ce qui est toujours écrit, au Mali, comme dans tout
le Sahel, nous ne sommes pas d'abord face à une guerre de religion,
mais en présence de résurgences de conflits historiques, ethniques,
raciaux et sociaux sur lesquels, avec opportunisme, se sont greffés
les islamistes. Le fondamentalisme islamique n’est donc pas la
cause de la septicémie sahélienne, mais la surinfection d’une
plaie géo-ethnique.
5)
Ceci étant, tout le Sahel est actuellement confronté à une
tentative hégémonique de la part d'un islam radical, sorte de
fourre-tout sublimant déceptions, désillusions et frustrations,
comme hier le marxisme. Cet islam révolutionnaire financé par les
monarchies pétrolières du Golfe a connu une progression silencieuse
avant de s'affirmer aujourd'hui au grand jour avec l'introduction de
normes nouvelles comme la prière de nuit (le tahajjud),
la burqa, la séparation des sexes ou encore de nouveaux rites
mortuaires.
6)
Nous assistons à un renversement du paradigme nordisme = islam et
sudisme = christianisme. La conversion galopante des ethnies sudistes
a en effet changé la nature de l’islam local à travers la
fabrication d’une artificielle identité africaine arabophone
musulmane qui échappe de plus en plus aux structures
traditionnelles.
NB
: Pour tout ce qui concerne l'insolite et dévastatrice guerre que
Nicolas Sarkozy, inspiré par BHL, déclencha contre le colonel
Kadhafi, ainsi que sur ses conséquences régionales, voir mon
livre Histoire et géopolitique de la Libye (novembre
2015), uniquement disponible à l'Afrique Réelle.
Bernard
Lugan
21/11/15
http://bernardlugan.blogspot.fr/2015/11/derriere-la-prise-dotages-de-bamako.html
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