Le représentant du pouvoir militaro-compradore d'Alger a consenti, dans son infinie mansuétude, à délivrer deux messages laconiques à destination de sa mazra'a -son hacienda, l'Algérie. L'un et l'autre message adressés au ghachi -la tourbe- étaient autant de gronderies paternalistes non dénuées d'une sourde menace.
Le
premier avait trait à l'augmentation, constatée statistiquement, du
nombre de divorces demandés par les femmes algériennes qui,
s'ajoutant à la capacité maritale de répudiation foudroyante de
l'épouse, constitue un péril pour la famille algérienne. Quand on
sait quelle place occupe la famille dans le système socio-politique
algérien, on comprend l'inquiétude du Dey : de proche en
proche en effet, cette attaque de la famille par les deux bouts si
l'on peut dire, risque d'ébranler le système tout entier. Système
cuppulaire appelé -ne l'oublions pas- par l'Odjaq lui-même "famille révolutionnaire".
En
droit islamique, l'épouse a le droit de demander le divorce -cela
s'appelle le "Khol'" de khala'a, yakhela'ou, enlever,
ôter, se défaire de- mais elle doit pour cela exciper de motifs
légaux, très précisément définis. Le Khol' rappelle en tous
points une disposition analogue de la loi vétérotestamentaire ( =
de la Torah) dite "Guett". Récemment, dans une tribune
libre publiée par le quotidien "Le Monde", une
écrivaine d'origine juive dénonçait le marchandage sordide entre
époux auquel donnait lieu la tentative d'obtention du Guett. (En
l'occurrence, le rabbin avait fixé le Guett à 90 000€, en
prélevant sa commission au passage !) Alors, lorsque l'on sait
ce qu'il en coûte à l'homme algérien de prendre femme -les
prétentions de la famille de la malheureuse élue sont d'une
extravagance absolue, témoignant du niveau de dégradation morale
d'une société où la cupidité n'a plus de limites-, on imagine ce
qu'il en coûtera à la femme demandeuse de Khol' pour dédommager le
mari. Ou comment la soif d'argent vous revient dans les gencives.
Comme l'on peut imaginer que la mise en garde du Dey se traduira par
un durcissement des conditions d'obtention du Khol'.
Rappelons
au Dey et à son Divan que la tendance des femmes à demander le
divorce est mondialement observable. En France par exemple, 70 %
des demandes de divorce sont le fait des épouses. Plus les femmes
auront accès à l'alphabétisation et à la culture, plus elles
seront indépendantes économiquement et moins elles auront tendance
à accepter les conditions d'une union digne des siècles obscurs. Ce
n'est pas bien difficile à comprendre et l'on peut s'en féliciter
ou s'en désoler, ce qui n'empêchera pas d'exister. Combien de temps
encore avant que l'humanité ne réalise que l'inclination réciproque
de deux individus autonomes est la seule base suffisamment solide
-encore qu'elle ne garantisse rien- pour supporter les vicissitudes
de la vie et la responsabilité d'avoir des enfants ? Jenny Von
Westphalen, aristocrate pur jus, a défié sa famille pour épouser
un -brillant, certes- philosophe de la classe inférieure avec lequel
elle connaîtra les tourments de la vie de clandestins pourchassés
par les polices européennes, de l'exil et de l'extrême pauvreté
sans que rien -sauf la mort- n'arrive à la séparer de son Karl Marx
de mari. Alors, Guett, Khol' ? Préhistoire ! Pouah !
La
seconde adresse du Dey à la mazra'a avait trait aux manifestations
des habitants de In-Salah (dans le grand sud algérien). Ces derniers
n'en finissent pas d'occuper la rue pour dénoncer la monstruosité
qui les prend eux et leur région pour cobayes : les forages à
la recherche du gaz de schiste entrepris par fracturation
hydraulique. Les habitants de cette région ont vite compris qu'ils
étaient menacés dans leur existence même. Leur combat a la force
du désespoir. Qu'à cela ne tienne ! Le Dey n'a eu que ce mot
-d'une perfidie rare, digne du Makhzen marocain- à leur intention : "Le gaz de schiste est un don de Dieu". Ce qui veut
dire en creux : "C'est haram de s'opposer à son
exploitation". L'argument massue, suprême, celui que le
ghachi ne songerait même pas à discuter : Dieu l'a voulu et
vous oseriez, vous, contrarier Sa volonté ?
(Pour
faire bonne mesure et culpabiliser les manifestants, le Dey a ajouté
que faute d'exploitation de ce don de Dieu, on ne pourrait mener à
bien la construction du pays -sous-entendu : Et vous en serez
tenus pour responsables. Qui le Dey croit-il tromper en parlant
d'édification nationale ? Il y a longtemps que le ghachi si
méprisé sait bien que ce slogan recouvre l'édification des
fortunes de la caste militaro-compradore qui saigne le pays. Espérons
que les gens d'In-Salah ont également compris que cette caste
n'hésitera devant rien pour maintenir la machine à bakchich en
marche.)
Le
Haram en islam est ce qui est interdit absolument, le mal en soi,
pourrait-on dire. On retrouve la même racine -hrm- en hébreu ainsi
que le terme "Herem" qui a le sens d'excommunication,
mise au ban du groupe (cf le Herem célèbre et terrifiant qui a
frappé le philosophe Spinoza). Le message du Dey délivre, dès lors
son véritable sens : Si vous vous opposez à l'exploitation du
gaz de schiste, alors vous n'êtes pas des nôtres. Cela dit, la
notion même de "famille révolutionnaire" vaut Herem
pour l'écrasante majorité des Algériens, demeurés sans droits
politiques réels, comme au temps du code de l'Indigénat.
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