braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

jeudi 26 mars 2015

KHOL', GUETT ET GAZ DE SCHISTE : LE DEY A PARLÉ




























Le représentant du pouvoir militaro-compradore d'Alger a consenti, dans son infinie mansuétude, à délivrer deux messages laconiques à destination de sa mazra'a -son hacienda, l'Algérie. L'un et l'autre message adressés au ghachi -la tourbe- étaient autant de gronderies paternalistes non dénuées d'une sourde menace.

Le premier avait trait à l'augmentation, constatée statistiquement, du nombre de divorces demandés par les femmes algériennes qui, s'ajoutant à la capacité maritale de répudiation foudroyante de l'épouse, constitue un péril pour la famille algérienne. Quand on sait quelle place occupe la famille dans le système socio-politique algérien, on comprend l'inquiétude du Dey : de proche en proche en effet, cette attaque de la famille par les deux bouts si l'on peut dire, risque d'ébranler le système tout entier. Système cuppulaire appelé -ne l'oublions pas- par l'Odjaq lui-même "famille révolutionnaire".

En droit islamique, l'épouse a le droit de demander le divorce -cela s'appelle le "Khol'" de khala'a, yakhela'ou, enlever, ôter, se défaire de- mais elle doit pour cela exciper de motifs légaux, très précisément définis. Le Khol' rappelle en tous points une disposition analogue de la loi vétérotestamentaire ( = de la Torah) dite "Guett". Récemment, dans une tribune libre publiée par le quotidien "Le Monde", une écrivaine d'origine juive dénonçait le marchandage sordide entre époux auquel donnait lieu la tentative d'obtention du Guett. (En l'occurrence, le rabbin avait fixé le Guett à 90 000€, en prélevant sa commission au passage !) Alors, lorsque l'on sait ce qu'il en coûte à l'homme algérien de prendre femme -les prétentions de la famille de la malheureuse élue sont d'une extravagance absolue, témoignant du niveau de dégradation morale d'une société où la cupidité n'a plus de limites-, on imagine ce qu'il en coûtera à la femme demandeuse de Khol' pour dédommager le mari. Ou comment la soif d'argent vous revient dans les gencives. Comme l'on peut imaginer que la mise en garde du Dey se traduira par un durcissement des conditions d'obtention du Khol'.

Rappelons au Dey et à son Divan que la tendance des femmes à demander le divorce est mondialement observable. En France par exemple, 70 % des demandes de divorce sont le fait des épouses. Plus les femmes auront accès à l'alphabétisation et à la culture, plus elles seront indépendantes économiquement et moins elles auront tendance à accepter les conditions d'une union digne des siècles obscurs. Ce n'est pas bien difficile à comprendre et l'on peut s'en féliciter ou s'en désoler, ce qui n'empêchera pas d'exister. Combien de temps encore avant que l'humanité ne réalise que l'inclination réciproque de deux individus autonomes est la seule base suffisamment solide -encore qu'elle ne garantisse rien- pour supporter les vicissitudes de la vie et la responsabilité d'avoir des enfants ? Jenny Von Westphalen, aristocrate pur jus, a défié sa famille pour épouser un -brillant, certes- philosophe de la classe inférieure avec lequel elle connaîtra les tourments de la vie de clandestins pourchassés par les polices européennes, de l'exil et de l'extrême pauvreté sans que rien -sauf la mort- n'arrive à la séparer de son Karl Marx de mari. Alors, Guett, Khol' ? Préhistoire ! Pouah !

La seconde adresse du Dey à la mazra'a avait trait aux manifestations des habitants de In-Salah (dans le grand sud algérien). Ces derniers n'en finissent pas d'occuper la rue pour dénoncer la monstruosité qui les prend eux et leur région pour cobayes : les forages à la recherche du gaz de schiste entrepris par fracturation hydraulique. Les habitants de cette région ont vite compris qu'ils étaient menacés dans leur existence même. Leur combat a la force du désespoir. Qu'à cela ne tienne ! Le Dey n'a eu que ce mot -d'une perfidie rare, digne du Makhzen marocain- à leur intention : "Le gaz de schiste est un don de Dieu". Ce qui veut dire en creux : "C'est haram de s'opposer à son exploitation". L'argument massue, suprême, celui que le ghachi ne songerait même pas à discuter : Dieu l'a voulu et vous oseriez, vous, contrarier Sa volonté ?

(Pour faire bonne mesure et culpabiliser les manifestants, le Dey a ajouté que faute d'exploitation de ce don de Dieu, on ne pourrait mener à bien la construction du pays -sous-entendu : Et vous en serez tenus pour responsables. Qui le Dey croit-il tromper en parlant d'édification nationale ? Il y a longtemps que le ghachi si méprisé sait bien que ce slogan recouvre l'édification des fortunes de la caste militaro-compradore qui saigne le pays. Espérons que les gens d'In-Salah ont également compris que cette caste n'hésitera devant rien pour maintenir la machine à bakchich en marche.)


Le Haram en islam est ce qui est interdit absolument, le mal en soi, pourrait-on dire. On retrouve la même racine -hrm- en hébreu ainsi que le terme "Herem" qui a le sens d'excommunication, mise au ban du groupe (cf le Herem célèbre et terrifiant qui a frappé le philosophe Spinoza). Le message du Dey délivre, dès lors son véritable sens : Si vous vous opposez à l'exploitation du gaz de schiste, alors vous n'êtes pas des nôtres. Cela dit, la notion même de "famille révolutionnaire" vaut Herem pour l'écrasante majorité des Algériens, demeurés sans droits politiques réels, comme au temps du code de l'Indigénat. 

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