braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

dimanche 7 août 2016

L'ÉVÊQUE DES MUSULMANS


Le 1er août 1996, Mgr Pierre Claverie, évêque du diocèse d'Oran -l'évêque des musulmans comme le surnommait le petit peuple oranais-, rentrait d'Alger où il avait rencontré le ministre français des Affaires étrangères, Hervé de Charette. Les deux hommes étaient allés se recueillir sur la tombe des moines de Tibehirine. L'évêque prit le dernier vol pour Oran. Au moment où sa voiture, conduite par son chauffeur Mohamed Bouchikhi, un jeune Algérien musulman, franchissait le portail de l'évêché, une déflagration la souffla, tuant ses deux occupants. La machine infernale était une charge explosive télécommandée, curieusement couplée à une bonbonne de gaz -peut-être pour donner à croire qu'il s'agissait d'un engin artisanal ?

Pierre Claverie, natif de Bab-el-Oued (1938), appartenait à l'ordre des Dominicains. Il n'avait pas pu obtenir la nationalité algérienne. L'on sait, en effet, qu'en matière de code de la nationalité, les nouveaux maîtres du pays se sont contentés d'inverser l'axiome colonial : les Algériens non chrétiens ou juifs ne peuvent pas être citoyens français/ les Européens non musulmans ne peuvent pas être citoyens algériens.

J'ai bien connu Pierre Claverie. Lors du dernier dîner auquel nous avait conviés Me Nimour (Paix à son âme), il nous disait qu'il ne savait plus où entreposer la viande que lui apportaient les habitants du quartier populaire de Saint-Eugène, à l'entrée duquel se trouvait l'évêché : c'est que l'on était au lendemain de l'Aïd el Kébir, la fête du sacrifice. Ému, l'évêque disait son affection pour ces simples gens qui ne mangeaient pas de la viande tous les jours et qui pensaient d'abord à plus déshérité qu'eux. (À ses protestations, ces gens lui disaient : « On sait que les pauvres s'adressent d'abord à toi, alors prends ! »)

Arabisant, bon connaisseur de l'islam, Pierre Claverie était un homme humble. Ce soir-là, à la question que lui posa le 4° convive (l'ancien président de la Cour d'Oran, le très respecté M. Benchehida, que nous appelions Monsieur le président!) - « Monseigneur, est-ce que les proches, ceux qui se sont aimés dans la vie, seront de nouveau réunis dans l'au-delà ? »-, l'évêque répondit simplement qu'il n'en savait rien et qu'il ne pouvait qu'espérer. (Ce soir-là, M. le Président me dédicaça son dernier recueil de poèmes : le président était un virtuose du sonnet classique!)

Quelque temps après l'affreux attentat, un groupe de jeunes était arrêté, déféré devant la justice et condamné à mort pour le meurtre de P. Claverie et de M. Bouchikhi. L’Église demanda que la peine fût commuée. Personne, à Oran, ne croit que ces jeunes auraient agi de leur propre chef et monté un attentat aussi perfectionné. Abdelkader Tigha, un sous-officier transfuge de la SM, affirme qu'il a été témoin de l'envoi en mission à Oran d'un spécialiste en explosifs, connu sous le sobriquet de Kamal Dynamite. Cela se passait en juillet 1996, quelques jours avant l'attentat*.

Le contexte : 1996 : l'accord de Sant'-Egidio venait d'être signé par le FLN, le FFS, le FIS auxquels s'étaient joint Benbella, pendant que le général Zéroual, nommé Président de l’État par l'armée, négociait avec les chefs du FIS, emprisonnés. En France, le gouvernement d'Alain Juppé prenait nettement ses distances avec les autorités algériennes. La riposte de la SM fut foudroyante : 1) elle fit démettre le SG du FLN (le célèbre « coup d'état scientifique ») ; 2) négocia avec les chefs de l'AIS ; 3) engagea une campagne de presse d'une grande violence contre Zéroual qui démissionna de crainte de subir le sort de Boudiaf. Certains ajoutent que l'assassinat des sept moines et celui de P. Claverie, imputé aux islamistes, était un coup tordu de la SM pour infléchir la position de Paris.

Pierre Claverie, je sais que le Dieu d'amour auquel tu as consacré ta vie, te garde auprès de lui.

* Cf http://www.algeria-watch.org/fr/article/just/moines/extraits_francalgerie.htm

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire