Le
1er août 1996, Mgr Pierre Claverie, évêque du diocèse
d'Oran -l'évêque des musulmans comme le surnommait le petit peuple
oranais-, rentrait d'Alger où il avait rencontré le ministre
français des Affaires étrangères, Hervé de Charette. Les deux
hommes étaient allés se recueillir sur la tombe des moines de
Tibehirine. L'évêque prit le dernier vol pour Oran. Au moment où
sa voiture, conduite par son chauffeur Mohamed Bouchikhi, un jeune
Algérien musulman, franchissait le portail de l'évêché, une
déflagration la souffla, tuant ses deux occupants. La machine
infernale était une charge explosive télécommandée, curieusement
couplée à une bonbonne de gaz -peut-être pour donner à croire
qu'il s'agissait d'un engin artisanal ?
Pierre
Claverie, natif de Bab-el-Oued (1938), appartenait à l'ordre des
Dominicains. Il n'avait pas pu obtenir la nationalité algérienne.
L'on sait, en effet, qu'en matière de code de la nationalité, les
nouveaux maîtres du pays se sont contentés d'inverser l'axiome
colonial : les Algériens non chrétiens ou juifs ne peuvent pas
être citoyens français/ les Européens non musulmans ne peuvent pas
être citoyens algériens.
J'ai
bien connu Pierre Claverie. Lors du dernier dîner auquel nous avait
conviés Me Nimour (Paix à son âme), il nous disait qu'il ne
savait plus où entreposer la viande que lui apportaient les
habitants du quartier populaire de Saint-Eugène, à l'entrée duquel
se trouvait l'évêché : c'est que l'on était au lendemain de
l'Aïd el Kébir, la fête du sacrifice. Ému, l'évêque disait son
affection pour ces simples gens qui ne mangeaient pas de la viande
tous les jours et qui pensaient d'abord à plus déshérité qu'eux.
(À ses protestations, ces gens lui disaient : « On sait
que les pauvres s'adressent d'abord à toi, alors prends ! »)
Arabisant,
bon connaisseur de l'islam, Pierre Claverie était un homme humble.
Ce soir-là, à la question que lui posa le 4° convive (l'ancien
président de la Cour d'Oran, le très respecté M. Benchehida, que
nous appelions Monsieur le président!) - « Monseigneur, est-ce
que les proches, ceux qui se sont aimés dans la vie, seront de
nouveau réunis dans l'au-delà ? »-, l'évêque répondit
simplement qu'il n'en savait rien et qu'il ne pouvait qu'espérer.
(Ce soir-là, M. le Président me dédicaça son dernier recueil de
poèmes : le président était un virtuose du sonnet classique!)
Quelque
temps après l'affreux attentat, un groupe de jeunes était arrêté,
déféré devant la justice et condamné à mort pour le meurtre de
P. Claverie et de M. Bouchikhi. L’Église demanda que la peine fût
commuée. Personne, à Oran, ne croit que ces jeunes auraient agi de
leur propre chef et monté un attentat aussi perfectionné.
Abdelkader Tigha, un sous-officier transfuge de la SM, affirme qu'il
a été témoin de l'envoi en mission à Oran d'un spécialiste en
explosifs, connu sous le sobriquet de Kamal Dynamite. Cela se passait
en juillet 1996, quelques jours avant l'attentat*.
Le
contexte : 1996 : l'accord de Sant'-Egidio venait d'être
signé par le FLN, le FFS, le FIS auxquels s'étaient joint Benbella,
pendant que le général Zéroual, nommé Président de l’État par
l'armée, négociait avec les chefs du FIS, emprisonnés. En France,
le gouvernement d'Alain Juppé prenait nettement ses distances avec
les autorités algériennes. La riposte de la SM fut foudroyante :
1) elle fit démettre le SG du FLN (le célèbre « coup d'état
scientifique ») ; 2) négocia avec les chefs de l'AIS ;
3) engagea une campagne de presse d'une grande violence contre
Zéroual qui démissionna de crainte de subir le sort de Boudiaf.
Certains ajoutent que l'assassinat des sept moines et celui de P.
Claverie, imputé aux islamistes, était un coup tordu de la SM pour
infléchir la position de Paris.
Pierre
Claverie, je sais que le Dieu d'amour auquel tu as consacré ta vie,
te garde auprès de lui.
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