Le journal en ligne "Huffington Post" a publié une pétition initiée par un Européen d'Algérie et demandant "aux citoyens du monde et aux ONG des droits de l'homme" de faire reconnaître "le massacre du 05 juillet à Oran". A quoi a répondu une contre-pétition initiée par des historiens français, intitulée "Ne pas instrumentaliser les massacres du 05 juillet 1962 à Oran".
-Ni dans l'une ni dans l'autre pétition, il n'est fait mention des victimes algériennes de cette journée de malheur que le journal de Pierre Laffont, "l'Echo d'Oran", avait pourtant dénombrées auprès de la morgue de l'hôpital et qui s'établissait à 75 morts (dont 19 femmes et 10 enfants).
-Ni dans l'une ni dans l'autre pétition, il n'est fait mention du témoignage capital du général Katz (commandant du Secteur Territorial d'Oran) qui situe l'épicentre des événements, entre la place Karguentah et la place Jeanne d'Arc et fait porter la responsabilité aux tireurs de l'OAS embusqués dans la Maison du Colon et dans la basilique du Sacré-Coeur.
-La contre-pétition des historiens reprend à son compte ce curieux argument, à savoir que les commandos OAS auraient quitté la ville "aux environs du 27 juin". (On peut apprécier, en passant, le très peu scientifique "aux environs"). Qui donc était présent lors de ce départ présumé ? Des officiels ? Qui précisément ? Comment des historiens censés pratiquer une critique intransigeante des documents et des témoignages peuvent-ils recevoir, sans ciller, cet élément capital comme vérité d'évidence, sans même s'interroger sur sa validité ? Elément capital, dis-je, car on voit bien que si les tueurs de l'OAS avaient effectivement quitté la ville le 27 juin, alors les massacres du 05 juillet seraient imputables aux seuls Algériens. Force alors est de dire que l'inconséquence des historiens devient suspecte.
-Ni dans un texte ni dans l'autre, il n'est fait mention d'un élément qui explique, en partie, le jusqu'au-boutisme de l'OAS à Oran : la présence d'une OAS juive, la Haganah Mongen, qui a à son actif les forfaits les plus atroces de la guerre, comme les voitures piégées à Mdina Jdida, l'attaque de la prison civile et les exécutions de malades et de blessés algériens sur leur lit d'hôpital. Tant de cruauté et de barbarie laissait la population algérienne dans la sidération. J'en sais quelque chose : je vivais à Oran.
Je remets donc en exergue mon témoignage sur cette journée maudite. Ce n'est que mon témoignage personnel. Il vaut ce qu'il vaut. En tout cas, il est honnête.
-Ni dans l'une ni dans l'autre pétition, il n'est fait mention des victimes algériennes de cette journée de malheur que le journal de Pierre Laffont, "l'Echo d'Oran", avait pourtant dénombrées auprès de la morgue de l'hôpital et qui s'établissait à 75 morts (dont 19 femmes et 10 enfants).
-Ni dans l'une ni dans l'autre pétition, il n'est fait mention du témoignage capital du général Katz (commandant du Secteur Territorial d'Oran) qui situe l'épicentre des événements, entre la place Karguentah et la place Jeanne d'Arc et fait porter la responsabilité aux tireurs de l'OAS embusqués dans la Maison du Colon et dans la basilique du Sacré-Coeur.
-La contre-pétition des historiens reprend à son compte ce curieux argument, à savoir que les commandos OAS auraient quitté la ville "aux environs du 27 juin". (On peut apprécier, en passant, le très peu scientifique "aux environs"). Qui donc était présent lors de ce départ présumé ? Des officiels ? Qui précisément ? Comment des historiens censés pratiquer une critique intransigeante des documents et des témoignages peuvent-ils recevoir, sans ciller, cet élément capital comme vérité d'évidence, sans même s'interroger sur sa validité ? Elément capital, dis-je, car on voit bien que si les tueurs de l'OAS avaient effectivement quitté la ville le 27 juin, alors les massacres du 05 juillet seraient imputables aux seuls Algériens. Force alors est de dire que l'inconséquence des historiens devient suspecte.
-Ni dans un texte ni dans l'autre, il n'est fait mention d'un élément qui explique, en partie, le jusqu'au-boutisme de l'OAS à Oran : la présence d'une OAS juive, la Haganah Mongen, qui a à son actif les forfaits les plus atroces de la guerre, comme les voitures piégées à Mdina Jdida, l'attaque de la prison civile et les exécutions de malades et de blessés algériens sur leur lit d'hôpital. Tant de cruauté et de barbarie laissait la population algérienne dans la sidération. J'en sais quelque chose : je vivais à Oran.
Je remets donc en exergue mon témoignage sur cette journée maudite. Ce n'est que mon témoignage personnel. Il vaut ce qu'il vaut. En tout cas, il est honnête.
Le
05 juillet 1962, la ville d'Oran s'apprêtait à célébrer la
proclamation officielle de l'indépendance. Je sortis de chez moi
vers onze heures, rue Saint-André, dans le haut du quartier de
Saint-Antoine, attenant à la Ville-Nouvelle et, pour cela,
déserté par ses habitants européens. Je m'apprêtais à
« descendre » en ville -comme on disait, fort justement
d'ailleurs car la ville européenne s'étend au pied du plateau sur
lequel se niche Oran.
Jusqu'à
ces derniers mois, nous vivions ma tante, mon cousin et moi dans un
immeuble du Derb -le quartier juif- dans lequel ma tante était
concierge. Un matin, de bonne heure, mon cousin, docker de son état,
fut attaqué à l'arme blanche par quatre individus qui s'avérèrent
être des riverains de notre rue. C'est ainsi que nous avions appris
qu'il existait une OAS juive. Mon solide cousin survivra aux coups de
couteau mais, le soir même, nous déménagions à Saint-Antoine dans
un autre immeuble du même propriétaire. Nous étions la seule
famille arabe de cette rue. L'immeuble jouxtait un cinéma (le Magic) qui ne
passait que des films égyptiens ; les habitués de cette salle
étant tous des Arabes, de jeunes riverains européens tentèrent d'y
mettre le feu après avoir enfermé les spectateurs dans le cinéma,
en fermant les issues. Le jeune employé arabe du cinéma (Mohamed Douma, dont la rue du cinéma porte aujourd'hui le nom) ouvrit les
portes et donna l'alerte. Il fut abattu sur place, d'une balle dans
la tête par les jeunes ultras du quartier. Nous partîmes le jour
même en catastrophe pour le haut du quartier, vers la rue
Saint-André où ma tante trouva une pièce à louer.
Le
05 juillet. Avant d'emprunter le boulevard Mascara, je jetai un
regard sur le commissariat de police du 4ème arrondissement, sis
place de la Liberté. J'eus une pensée pour son chef, le commissaire
Jurandon, récemment assassiné par l'OAS. Nous, je veux dire la
population arabe de la Ville-Nouvelle et de Saint-Antoine-le-haut,
l'avions protégé comme nous l'avons pu. La nuit, nous organisions
la surveillance du commissariat depuis les terrasses qui entouraient
la place. À la moindre alerte, nous nous tenions prêts à bombarder
de pierres et de bouteilles les voitures des commandos OAS qui
tentaient, presque chaque nuit, d'investir le commissariat et de tuer
Jurandon. Nous les avons ainsi mis en déroute plusieurs fois. Le
jour, il n'y avait rien à craindre pour le commissaire qui était
chez lui en Ville-Nouvelle;
tout le monde connaissait l'homme européen qui ne sortait jamais
sans sa pipe, signe de reconnaissance : un frère qu'il
fallait protéger. Jurandon ne commit qu'une faute de vigilance et
elle lui fut fatale : il se rendit dans le quartier européen
mitoyen de Saint-Antoine, Boulanger-Magnan, pour y retirer un
courrier au bureau de poste. C'est le receveur qui l'avait appelé au
téléphone. Jurandon devait avoir une confiance totale en cet homme
puisqu'il ne soupçonna pas le traquenard : les tueurs de l'OAS
l'attendaient là. Ce fut un jour noir pour nous, un jour de deuil.
Les
deux dernières années de la guerre avaient été particulièrement
terribles pour la Ville-Nouvelle
que les Européens appelaient le Village-Nègre. Il ne
s'agissait nullement d'habitations de torchis ou d'un bidonville,
moins encore d'une médina traditionnelle mais bien de maisons en
ciment et en moellons, avec des rues spacieuses et des places bien
tenues, des commerces et des cafés en nombre, bref un ensemble
urbain qui ne détonnait aucunement avec son environnement
architectural immédiat. Mais les Européens ne voulaient rien
savoir : c'était un quartier pour les Arabes, donc un village
nègre. C'est le général Clauzel qui avait ordonné la construction
de cette "ville" afin qu'elle serve de refuge aux
tribus arabes qui refusaient de suivre l'émir Abdelkader dans son
combat contre l'envahisseur français. La Ville-Nouvelle
fut érigée hors les murs d'Oran, juste sous les remparts des
casernes militaires qui la ceinturaient. J'eus une pensée en forme
de sourire ironique. Le général Clauzel avait droit à une rue
portant son nom en Ville-Nouvelle.
C'était bien le moins. Sauf que les Arabes l'appelaient la "vilaine
rue", non pas à cause de l'officier dont la plupart des gens
ignoraient
tout
mais
à
cause
des
lupanars
qui
avaient
élu
domicile
dans
cette
artère. Sic
transit gloria Clauzeli.
Avec
l'extension d'Oran, la
Ville-Nouvelle se
trouva prise dans le tissu urbain, entourée de casernes et de
quartiers européens, coupée des quartiers arabes, tous relégués
en périphérie. Le professeur Claude Liauzu a pu écrire que la
ville d'Oran était un exemple de ségrégation raciale de l'espace
urbain : la mixité des populations n'y existait pratiquement
pas1.
De fait, Oran était une ville européenne, architecturalement et
démographiquement : les Européens, en majorité d'origine
espagnole, y étaient plus nombreux que les Arabes. À ces
spécificités, Oran en ajoutera une autre : l'engagement d'une
partie des habitants juifs dans l'OAS ; ils en formeront un
détachement connu sous le nom de Hagana. (C.
Liauzu
la
nomme
Hagana Mongen)2.
La
Hagana
aura
à
son
actif,
entre
autres
hauts
faits
de
gloire,
l'attaque
de
la
prison
civile
(35
détenus tués)
et
celle
des
hôpitaux3
durant
laquelle
des
malades
arabes
étaient
achevés
d'une
balle
dans
la
tête
sur
leur
lit.
Dès
l'automne 61, la Ville-Nouvelle,
quotidiennement mitraillée par les snipers de l'OAS du quartier
voisin dit Le plateau Saint-Michel, pilonnée au mortier, vécut
l'enfer. Complètement encerclée, la Ville-Nouvelle
allait supporter un véritable siège. Souvent, le tabac manquait ;
l'approvisionnement en produits alimentaires courants était
aléatoire. Le summum de la cruauté et de l'horreur fut atteint un
après-midi du mois de ramadan (28 février 1962). Ce fut une
première dans cette guerre : une -ou deux ?- voiture(s) piégée(s) avec des obus
de 105 mm explosa(èrent) en pleine esplanade centrale (Tahtaha)
où il y avait toujours foule. Un carnage. Corps déchiquetés à un
point tel qu'il était impossible de tous les dénombrer. Les
cadavres que l'on put reconstituer étaient au nombre de 75. La
technique étant celle employée par les groupes terroristes
sionistes qui agissaient en Palestine, à l'époque du mandat
britannique, on l'attribua à la Hagana. La population criait
vengeance ; les gens du FLN et l'armée française eurent
beaucoup de mal à empêcher la foule de se lancer à l'assaut du
Plateau Saint-Michel d'où les tueurs de l'OAS nous canardaient
quotidiennement.
Si
j'étais passé dix minutes plus tôt par l'esplanade -qui se
trouvait sur mon itinéraire habituel-, la vie du petit instituteur
remplaçant que j'étais se serait arrêtée là, à dix-huit ans. Je
venais, en effet, d'achever mes études secondaires et il me fallait
travailler pour aider ma tante. Ayant appris que l'académie recrutait des intérimaires pour l'enseignement élémentaire, je me portai candidat. Je reçus très vite une réponse sous forme d'affectation sur un poste d'instituteur intérimaire "en remplacement de M. Schmitt, pour l'année scolaire 1961-62". Une image habite depuis lors ma mémoire : les lambeaux
de chair humaine accrochés aux fils électriques tels de gros
oiseaux perchés là.
Le
05 juillet. Je dévalai le boulevard de Mascara et pris le boulevard
Joffre en pensant à la belle journée que j'avais passée le 3
juillet. Cet après-midi-là, avec mon ami Mimoun -un fou de cinéma-,
nous sommes descendus dans la ville européenne. Nous
avons fait toute la rue d'Arzew -les Champs Elysées
d'Oran, toutes proportions gardées !- et nous nous sommes arrêtés au cinéma Lynx -le plus grand écran de la ville, disait la réclame- qui passait un
film avec Elvis Presley (je crois que c'était Girls ! Girls ! Girls !). Les deux jeunes ouvreuses semblaient
perplexes, sinon inquiètes : deux Arabes en ville européenne !
Nous leur avons souri, elles nous ont souri et souhaité bon
spectacle. Je crois que nous n'étions pas plus de cinq spectateurs.
Le
soir, la Ville-Nouvelle
avait organisé un concert de musique sur la place Sidi-Blal. Ce fut
un moment de très grande émotion quand l'enfant chéri du quartier,
le musicien-chanteur Blaoui Houari, entonna une chanson inédite à
la mémoire de cet autre fils de la Ville-Nouvelle,
Ahmed Zabana, premier guillotiné de cette guerre, dont l'exécution,
le 19 juin 1956, sous le proconsulat de Robert Lacoste, le M(S)inistre
Résidant (et néanmoins militant SFIO guillotineur) sera aux
origines de la bataille d'Alger.
Le
05 juillet. À la bifurcation du cinéma Le Paris, je pris le
boulevard du 2ème Régiment de Zouaves -le 2ème Zouaves- au lieu de
continuer à descendre le boulevard Joffre en direction de la Place
d'Armes où se tenait un meeting. De jeunes scouts remontaient le
boulevard Joffre en chantant. Je traversai le rond-point Karguentah,
longeai la Maison du Colon et arrivai à la place Jeanne d'Arc où un
meeting devait selon toute vraisemblance se tenir. En effet, la place
grouillait de femmes voilées de blanc et d'enfants revêtus d'habits
de fête. Les petits scouts arrivaient.
La
place Jeanne d'Arc est un square adossé à la basilique du
Sacré-Coeur, une cathédrale de style romano-byzantin, érigée au
début du XX° siècle. La basilique ouvre, par de larges escaliers,
sur un parvis où trône la statue équestre dorée d'une Jeanne
d'Arc prête à en découdre, sans doute. La place est bordée, au
nord, par le boulevard du 2ème Zouaves ; à l'ouest, par la rue
Jeanne d'Arc qui borde les bâtiments et les jardins de l'évêché ;
à l'est, par la rue des Lois, parallèle à la première, où
stationnent les autocars Amoros, son seul titre de gloire. L'évêché
et son jardin sont écrasés par l'imposante Maison du Colon qui
surplombe la place Jeanne d'Arc. C'est un bâtiment présomptueux,
tournant le dos au square, avec des frises imitant les mosaïques
romaines et dévolues à la gloire des colons romains et européens,
saisis dans une continuité qui voulait tout dire.
Je
décidai d'observer une halte. Je me tenais face à la basilique, au
bord de la place, donnant le dos au 2ème Zouaves et baignant dans
une sorte d'état séraphique, accueillant au monde et à la vie :
j'avais vécu tout le siège de la Ville-Nouvelle ;
j'avais échappé cent fois à la mort ; je me disais à cet
instant précis que j'étais un miraculé ; ce qui, chez nous,
se dit autrement : j'avais eu la baraka.
Il
était à peu près midi. Les premières détonations, je les situai
du côté du boulevard Joffre. La place devint subitement
silencieuse. Tout le monde dressa l'oreille. Alors, se produisit la
deuxième vague de détonations, terriblement proches, au point
qu'elles semblaient éclater dans mes oreilles. La panique
foudroyante transforma le square en tohu-bohu : nombreux étaient
ceux qui s'étaient jetés à terre, la majorité fuyait, remontant
les deux rues parallèles ; cris, hurlements de femmes et
d'enfants ; souliers et voiles abandonnés. À la première
rafale, je m'étais élancé en avant ; une femme voilée tomba,
me percuta, me fit perdre l'équilibre. Avait-elle été touchée ?
J'essuyai mon visage car quelque chose de chaud l'avait éclaboussé.
Peut-être est-ce cela qui me sauva ? Le fait est que je repris
immédiatement mes esprits et me réfugiai derrière un arbre où
s'était déjà planqué un ATO (policier auxiliaire) qui tirait
avec son pistolet en direction de la Maison du Colon. Le policier
hurlait : "Ne reste pas près de moi !" J'ai
regardé autour de moi : les fenêtres des appartements du 2ème
Zouaves et celles de la rue des Lois étaient fermées. Les tirs ne
pouvaient provenir que de la Maison du Colon, me dis-je. Alors, je
pris mon élan et traversai d'un bond la rue Jeanne d'Arc ; là,
protégé par le mur de l'évêché, je me mis à courir comme un
dératé : rue Jeanne d'Arc, square Garbé, rue Beauprêtre,
boulevard et place Sébastopol, enfin. J'étais arrivé à la porte
d'entrée de la Ville-Nouvelle ;
je ralentis l'allure pour reprendre mon souffle. Je vis un groupe de
quatre jeunes gens arriver derrière moi en courant, fuyant la place
Jeanne d'Arc, et un homme âgé, un Européen bedonnant, qui
descendait le boulevard Sébastopol. Il ne semblait ni inquiet ni
pressé de se mettre à l'abri alors que la fusillade continuait en
contrebas. Le groupe lui asséna quelques coups de poing qui le
mirent à terre et poursuivit sa course. Au moment où l'homme se
relevait péniblement, une voiture qui descendait le boulevard Fulton
à tombeau ouvert, visiblement prise de panique, le percuta de plein
fouet. La voiture ne s'arrêta pas.
Sur
l'esplanade centrale de la Ville-Nouvelle
-Tahtaha-, je vis un attroupement : un jeune couple
d'Européens au milieu d'un cercle formé de jeunes excités,
menaçants, l'insulte à la bouche. Un homme que je connaissais bien,
un ancien de la CGT et du parti communiste expulsé de mon village
natal et interdit de séjour depuis, faisait face, seul, au groupe
vociférant. Calmement : "Soyez raisonnables ! Ces
gens étaient parmi nous ; ils ne peuvent pas avoir fait de
mal." Tout autour, des vieux approuvaient silencieusement.
Mais personne n'osait prendre la parole. Le couple fut amené par les
jeunes, on ne sait où.
Au
début de l'après-midi, un détachement de l'ALN -dont les unités
étaient cantonnées à Pont-Albin, à quelques cinq km à l'ouest de
la ville-, descendait la rue de Tlemcen, qui borde Saint-Antoine. Les
djounouds rasaient les murs, marchant à distance les uns des autres.
À hauteur du cinéma Rex, il y eut des coups de feu qui semblaient
provenir du côté du Derb, le quartier juif. Les détonations
continuèrent un moment, se déplacèrent vers le centre-ville puis
cessèrent. Il était à peu près quatorze heures. Le calme était
revenu sur la ville.
Vers
seize heures, j'allai aux nouvelles au café de mon autre cousin,
place Sidi-Blal. Là, avaient l'habitude de se retrouver de vieux
militants politiques, gens d'expérience, instruits et pondérés.
Selon eux, les tirs de la place Jeanne d'Arc provenaient de la Maison
du Colon ainsi que de la cathédrale et étaient le fait de commandos
OAS irrédentistes. Si les tirs provenant de la Maison du Colon
étaient une certitude pour moi, j'avoue que je trouvai extravagant
de penser que la cathédrale ait pu cacher des tireurs. J'attribuai
ces exagérations au fait que l'évêque d'Oran, Mgr Lacaste, -autre
spécificité de la ville-, témoignait d'un tropisme pro-OAS
notoire, à rebours de la hiérarchie de l'Église d'Algérie qui eut
une position nettement plus honorable.
Des
nouvelles parvenaient de l'hôpital, très proche de là ; on
parlait, à la fin de la journée, de dizaines de morts arabes. (Il
faudra attendre le lendemain et les jours qui suivirent pour avoir
des détails sur les victimes. L'Écho d'Oran et l'Écho du
soir, les deux quotidiens de Pierre Laffont, publieront les
listes des morts et des blessés : 75 Arabes tués, dont 19 femmes et
10 enfants, et 25 Européens. Il s'agissait des victimes recensées à
la morgue de l'hôpital.) En réalité, les victimes européennes
furent plus nombreuses.
Vers
dix-sept heures, parvint la nouvelle qui nous laissa pantois :
il y aurait eu un véritable massacre d'Européens au quartier du
Petit-Lac. Situé à l'extrême sud-est de la ville, près de la
route qui mène à l'aéroport ainsi qu'au port, face au bidonville de Sanchidrian, le
Petit-Lac jouxtait une décharge municipale. Là, ainsi que sur
toute l'enfilade de quartiers arabes (Lamur-Victor-Hugo-Petit-Lac),
régnaient les marsiens du groupe de 'Attou.
J'enseignais durant cette année dans une école située à la limite
du quartier arabe de Lamur et à celle du quartier européen de
Saint-Hubert. Je peux témoigner de la réalité de la peur
qu'inspiraient à la population de ces quartiers, ces jeunes
chefaillons qui défouraillaient pour un oui ou pour un non, et dont
certains d'entre eux étaient mus à l'évidence par des ressorts
autres que patriotiques. La rumeur attribuait à la bande à 'Attou
les massacres qui se seraient produits au Petit-Lac. On disait qu'ils
sillonnaient la ville, enlevaient des Européens et les menaient au
Petit-Lac pour les y massacrer. On dit également qu'ils dressèrent
des barrages sur la route du port et y capturèrent des Européens
qu'ils exécutèrent.
Que
les hommes de 'Attou aient opéré des raids dans le centre-ville,
est hautement probable. Mais pourquoi auraient-ils emmené leurs
victimes jusqu'au Petit-Lac, très loin de là, pour les y exécuter
? Cela n'a pas de sens. Qu'est-ce qui les aurait empêchés de les
tuer sur place ? À moins de supposer que les hommes de 'Attou
fussent en possession de listes nominatives d'activistes de l'OAS et
qu'ils aient procédé à leur arrestation puis les aient emmenés au
Petit-Lac, leur quartier général. Je sais, par exemple, que dans
mon école, un collègue européen fournissait des noms d'activistes
OAS à l'une de nos collègues arabes, Rahmouna de son prénom -nous étions quatre Arabes sur
un effectif de 24 enseignants- qui était en cheville avec le réseau
de 'Attou, car elle habitait Victor-Hugo.
S'agissant
maintenant des barrages sur la route de l'aéroport (et du port), il faut rappeler
que quelque temps auparavant, des commandos OAS déguisés en
militaires du contingent, avaient investi le bidonville de
Sanchidrian (très proche du Petit-Lac). Les habitants accueillirent ceux qu'ils croyaient être des soldats sans méfiance car l'armée française
était devenue une alliée objective dans la lutte contre l'OAS. Les
commandos séparèrent les hommes du reste des habitants et les
fusillèrent devant leurs femmes et leurs enfants. Des dizaines de
morts. (Cf, Et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine, Henri Martinez, mémoires d'un commando OAS qui relate le massacre de Sanchidrian et d'autres). Que des habitants de Sanchidrian et du Petit-Lac aient dressé
des barrages sur la route de l'aéroport, enlevé des Européens et
les aient tués ou emmenés au QG de 'Attou est tout-à-fait
plausible.
Chez Robert Laffont, 1982 |
À
combien se dénombrent les victimes européennes ? Des chiffres
hyperboliques ont été avancés : plusieurs milliers, dit-on.
D'un point de vue simplement matériel, c'est strictement
impossible : les djounouds du capitaine Bakhti Nemiche ont
investi le Petit-Lac vers dix-sept heures. Dans le même moment, les
militaires français se déployaient dans la ville sur ordre du
général Katz, en accord avec le capitaine Bakhti Nemiche. En cinq
heures de temps (de midi à dix-sept heures), une bande de quelques
dizaines de personnes aurait donc pu exterminer cinq mille personnes
(comme cela a été avancé) ? Soyons sérieux. La tragédie de
cette journée de fête qui s'est muée en tuerie est assez
éprouvante dans son horreur pour qu'il soit nécessaire d'en
rajouter et d'attiser encore et toujours les haines, en faisant fi de
la simple vérité des faits. Aujourd'hui, cinquante ans après ces
tragiques événements, et après que de nombreuses bouches se sont
ouvertes, il est raisonnable de situer le chiffre des Européens tués
et ensevelis au Petit-Lac autour de 150.
Dans
tous les reportages et récits que j'aurai l'occasion de lire sur ce
drame, personne ne revient sur le chiffre des victimes arabes mais
tout le monde est obnubilé par le seul chiffre des victimes
européennes. Pourtant c'est le très influent Écho d'Oran,
l'un des plus puissants porte-voix de la colonisation, le plus
fort tirage d'Algérie comme disait sa réclame, qui l'a établi :
75 morts arabes. Des femmes, des enfants, des hommes, sortis la joie
au cœur pour fêter la fin du calvaire de la ville, tués. Qui donc
les a assassinés ? À cette question, particulièrement
gênante, la réponse est systématiquement celle-ci : les
Arabes ont été victimes de règlements de comptes, de l'anarchie
régnant entre groupes armés incontrôlés. Mais les femmes ?
Les enfants endimanchés ? Qui sont tous morts dans la ville
européenne qui plus est ? Pourquoi ces groupes armés seraient-ils
descendus régler des comptes en pleine ville européenne ? Il y
a une égale mesure de cynisme, de malhonnêteté intellectuelle et
de racisme dans ce type de réponse. En vérité, il n'y avait ni
anarchie ni règlement de comptes entre des fidaïs. La ZAO -zone
autonome d'Oran- était, quoi qu'on en ait dit ici ou là dans des
raccourcis et des clichés suspects, relativement bien tenue et ses
deux chefs, Abdelbaki Bachir-Bouyadjra et Abdelhamid
Benguesmia-Chadli, jouissaient du respect général, quoique la vérité de cet état de fait soit à
rechercher dans l'extraordinaire sens de la discipline et des
responsabilités dont fit preuve le bon peuple. (Un jour, le
lieutenant de l'escorte de gendarmes mobiles qui accompagnait les
enseignants européens de notre école et avec lequel j'avais
sympathisé, m'a dit que si les Français d'ici n'avaient pas réussi
à s'entendre avec des gens comme nous, tant pis pour eux. Ce fut un
très bel hommage rendu au peuple d'Oran.)
D'autre
part, une curieuse assertion est constamment martelée par cette même
littérature : les commandos de l'OAS avaient quitté la
ville avant le 1er juillet. Cette affirmation
fonctionne comme une vérité d'évidence qui n'aurait plus à
fournir ses titres de créance. Ce faisant, elle empêche -c'est sa
fonction cachée- de se poser une simple question de bon sens :
qui aurait pu vérifier que les tueurs de l'OAS avaient quitté la
ville ? Encore aurait-il fallu les connaître, les dénombrer et
avoir présidé à leur départ. Voici un témoignage personnel qui
suffit à mettre à mal cette "vérité d'évidence".
En
août 1963, j'entrepris un périple touristique en France, en Espagne
et au Maroc. À Alicante, nous fîmes, mon compagnon de voyage et
moi, une virée dans une boîte de nuit dont l'enseigne nous avait
attirés car c'était la même que celle d'une homologue célèbre
d'Oran (située sous le Café-Riche et proriété, d'ailleurs, de l'un des chefs de l'OAS locale, El Grigui, le Grec, Athanase Georgopoulos), le Whisky à gogo.
Nous nous apprêtions à prendre l'escalier de la cave en devisant
quand un homme, jeune, qui se tenait près du guichet, nous
apostropha.
-Vous êtes Français ?
-Algériens.
-D'où vous êtes ?
-D'Oran.
-Originaires d'Oran même ?
-Non. Moi, je suis originaire de Rio-Salado et lui (mon copain) d'Aïn-Témouchent.
-Tape cinq ! Moi je suis de 'Aïn-El-Arba (un village à 60 km d'Oran et à 24 km du mien, dans la riche plaine de la Mlata).
La conversation se poursuivit et on en vint à parler du... 05 juillet 1962. Notre interlocuteur :
-J'ai été arrêté par les gens du FLN et amené au Petit-Lac. Je crois qu'ils étaient bien renseignés sur moi, j'étais dans les commandos de l'OAS. Puis sont arrivés les gens de l'ALN. Un des soldats qui me fixait avec insistance est venu vers moi : "Tu me reconnais pas ?" C'était un ancien ouvrier de notre ferme. Il m'a fait libérer immédiatement. Sinon, j'allais passer à la casserole. Bon... C'est l'heure où les copains de l'OAS vont venir ; on est tous condamnés et recherchés, on peut pas rentrer en France... Ils vont boire et ils vont devenir dangereux pour les Arabes... Avant-hier soir, ils ont tué deux Marocains qui passaient par là... Finissez vos verres et dépêchez-vous de partir.
-Vous êtes Français ?
-Algériens.
-D'où vous êtes ?
-D'Oran.
-Originaires d'Oran même ?
-Non. Moi, je suis originaire de Rio-Salado et lui (mon copain) d'Aïn-Témouchent.
-Tape cinq ! Moi je suis de 'Aïn-El-Arba (un village à 60 km d'Oran et à 24 km du mien, dans la riche plaine de la Mlata).
La conversation se poursuivit et on en vint à parler du... 05 juillet 1962. Notre interlocuteur :
-J'ai été arrêté par les gens du FLN et amené au Petit-Lac. Je crois qu'ils étaient bien renseignés sur moi, j'étais dans les commandos de l'OAS. Puis sont arrivés les gens de l'ALN. Un des soldats qui me fixait avec insistance est venu vers moi : "Tu me reconnais pas ?" C'était un ancien ouvrier de notre ferme. Il m'a fait libérer immédiatement. Sinon, j'allais passer à la casserole. Bon... C'est l'heure où les copains de l'OAS vont venir ; on est tous condamnés et recherchés, on peut pas rentrer en France... Ils vont boire et ils vont devenir dangereux pour les Arabes... Avant-hier soir, ils ont tué deux Marocains qui passaient par là... Finissez vos verres et dépêchez-vous de partir.
C'est
lui qui a payé à boire et il nous a remboursé l'entrée. La baraka
était encore avec moi ce soir-là et elle avait pris les traits d'un
ex-ouvrier agricole qui a sauvé la vie au fils de son ex-patron. Ce
dernier a remboursé sa dette en sauvant deux jeunes Arabes. Sinon,
j'aurais fini ma courte existence -20 ans- dans une boîte de nuit
d'Alicante.
Trente ans plus tard, je lus l'ouvrage du général Katz, commandant la place
d'Oran à l'époque des faits. Je fus stupéfait d'y lire que les
tirs sur la place Jeanne d'Arc provenaient de la Maison du Colon et
de la cathédrale. Ce qui corroborait les paroles des vieux du café
de la place Sidi-Blal prononcées le soir de ce Cinq juillet de
sinistre mémoire et que je ne voulais pas croire. Le général y
accuse d'ailleurs l'évêque d'Oran d'avoir à plusieurs reprises
caché des commandos de l'OAS traqués par les gendarmes mobiles.4
Le
05 juillet à la nuit tombée, je suis sûr que tout les Oranais -ou
peu s'en fallait- partageaient mon sentiment mitigé : la honte
pour les massacres commis sur des Européens ; la colère contre ceux qui avaient réussi à transformer un jour de fête en jour de
deuil et qui ne pouvaient être que ceux que révulsait le spectacle
qu'offrait Oran du 1er au 5 juillet : des Arabes se
promenant paisiblement en ville européenne ; des Européens se promenant en
Ville-Nouvelle et y faisant leur marché.
C'était cela l'enjeu réel de cette journée : empêcher la cohabitation des Arabes et des Européens car si cela devait se produire, à quoi auraient servi ces mois de folie sanguinaire ? Le lendemain, je quittai la ville pour aller offrir mes services aux élèves d'un douar reculé.
NOTES :
1Cf
Claude Liauzu – Histoire des migrations en Méditerranée
occidentale. Éditions Complexe.
2Idem
3Cf
Rémi Kauffer – OAS, histoire d'une guerre franco-française.
Seuil éditions (2002)
Bonjour Messaoud,
RépondreSupprimerPour des raisons évidentes aucune des deux pétitions ne peut faire référence à la présence de groupes de choc sionistes en Algérie. Je suppose que les deux groupes de pétitionnaires regrettent non pas de Gaulle mais ben Gourion. Le premier ministre israélien est l’auteur de l’idée de la partition de l’Algérie. La proposition avait charmé R. Frey, M. Debré, A. Peyrefitte et tout ce qu’on appelait la classe politique française. De Gaulle s’y était opposé parce qu’il trouvait que le projet présentait une faille majeure.
La présence de soldats israéliens en Algérie aux côtés des troupes françaises est attestée ; le contrat conclu entre le SDEC et Lucky Luciano où ce dernier s’engageait, pour le compte des français, à surveiller les mouvements dans les ports égyptiens en échange de facilités dans les ports d’Oran et de Marseille à ses trafics de drogue et commerces des armes, l’est tout autant. Je ne serais pas étonné si, demain, dans un témoignage ou le résultat d’une recherche, un auteur nous apprend que l’évêque Lacoste, pardon Lacaste, appartenait à l’Opus Dei. En fait, toutes ces organisations auxquelles il faut ajouter ce qu’on appelait les ultras parmi les gros colons, la haute hiérarchie militaire française et la fameuse loge P2 n’étaient que des démembrements du fameux Gladio, une organisation ultra secrète et extrêmement puissante de l’OTAN.
On comprend mieux pourquoi les malheureux Abdelbaki et Abdelhamid Benguesmia étaient systématiquement diabolisés. Ce dernier, que j'ai assez bien connu, trouvait incompréhensible l'ingratitude des gens. Les dernières années de sa vie il détestait tout le monde.
http://www.algeria-watch.org/fr/article/hist/1954-1962/mossad_fln.htm
http://canempechepasnicolas.over-blog.com/article-france-israel-comme-en-1956-par-alain-gresh-80226479.html
Bonjour Z.O. et merci pour tes commentaires.
SupprimerA propos de collaboration entre la France et Israël : en 1956, lors de l'agression tripartite contre l'Egypte, le ministre de la Défense de l'Etat sioniste paria, Shimon Péres, avait un bureau personnel réservé au ministère de la Défense français, rue Saint-Dominique. Les hauts fonctionnaires dudit ministère avaient ordre de satisfaire toutes les volontés de Pérès, en matière d'armement, y compris atomique. Quoi d'étonnant avec les social-traîtres !
Le Gladio était une puissante organisation terroriste mise sur pied par l'OTAN à l'époque où ses dirigeants faisaient semblant de croire à une volonté de l'armée Rouge soviétique d'envahir l'Europe de l'ouest. Le Gladio devait, alors, agir à la manière des commandos parachutés sur les arrières de l'ennemi (sabotage, renseignement...). On attribue au Gladio, entre autres car ses crimes sont innombrables, la mise en oeuvre de la "stratégie de la tension" en Italie.
Oui mais je trouve curieux que Jean Amrouche, romancier et journaliste à la radio, ami d'Abderrahmane fares et de..... Hachemi Chérif, journaliste à la radio lui aussi, ait été membre de cette organisation anti-communiste.
RépondreSupprimerhttp://www.voltairenet.org/article179784.html
Tu m'en diras tant ! Jean Amrouche membre du Gladio ! Pourtant, il défendait l'idée de négocier avec le FLN et a même probablement servi d'intermédiaire entre De Gaulle et ledit FLN... Tu me diras que l'un n'empêche pas l'autre, les gens n'étant pas à une contradiction près. Le père de la profonde "thèse" de la "colonisabilité" -Malek Bennabi- était bien un collabo pétainiste (à Dreux) !
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