1)
Aït-Ahmed, automne 1962
Attablé
au café Davos, dans mon village de Rio-Salado, je lis le journal
Alger républicain qui rend compte des débats à l'assemblée
constituante. Cette dernière -comme s'il n'y avait rien de plus
urgent à faire !-, était saisie d'un projet de loi visant à
interdire le PCA. C'est Ahmed ben Mahjoub ben M'barek (alias
Benbella) qui en était à l'initiative. Un seul député osa refuser
cette interdiction -Aït-Ahmed- et prit la parole pour ce faire. Un
homme, un seul, avait eu le simple courage d'exprimer une opinion en
porte-à-faux avec le lâche unanimisme du troupeau bêlant. Ce qui
n'empêchera pas, hélas, le PCA de rejoindre le troupeau bêlant du
FLN en se sabordant (1964). Il faut imaginer la tête de Aït-Ahmed !
2)
Aït-Ahmed, automne 1964
Attablé
à la terrasse d'un café du square Bresson (à Alger), je lis sur
Alger rep le compte-rendu de la capture de Aït-Ahmed dans son
maquis de Kabylie. Lui aussi -que je prenais pour un politique
civilisé- avait succombé à l'appel des sirènes de la violence
primaire !
[Pour
la petite histoire, j'étais venu à Alger pour me présenter à
l'examen d'entrée à l'ENS. L'école devait ouvrir cette année-là ;
en tant qu'enseignant titulaire (prof au CEG de mon village), j'avais
été informé par l'académie que, à condition de réussir à
l'examen, je serais considéré comme en détachement avec maintien
de mon salaire. Une fois l'épreuve de français passée (un sujet de
dissertation sur Balzac et le roman réaliste), je voulus aller
visiter l'école. Là, surprise : au secrétariat de la fac
centrale, on m'apprit que l'école n'était pas prête, que les
futurs élèves seraient logés dans les cités universitaires. Je
notai qu'il n'y avait même pas un embryon d'administration
spécifique. Une ENS virtuelle, en somme. Soutien de famille, je ne
pouvais me permettre de rester des mois sans salaire. Je renonçai
donc à l'ENS fantomatique. Comme je renoncerai, pour les mêmes
raisons, à quitter le pays pour Paris où mon cousin -employé à la
BNCI, boulevard des Italiens- m'attendait avec promesse d'embauche
ferme dans cette banque. C'est qu'en cette année 64, le triomphe de
Benbella (que j'abhorrais), ajouté au régionalisme d'Aït-Ahmed et
à l'autosabordage du PCA, m'avaient désespéré de l'avenir
politique de l'Algérie. La situation de ma mère –sans ressources,
la guerre nous ayant complètement ruinés- et celle de ma soeur,
veuve d'un combattant de l'ALN de l'intérieur, avec 4 enfants à
charge [aujourd'hui, un village nouveau, non loin de notre douar, El
Messaada, porte le nom de mon beau-frère, Aïssaoui Bouziane]
m'interdisaient de penser à moi-même.]
3)
Aït-Ahmed, décembre 1991
Entre
les deux tours des soi-disant élections législatives, une marche
est organisée à Alger, à l'appel de différents partis et
personnalités dits « démocratiques ». La manifestation,
qui regroupa quelque 300 000 marcheurs, fut une indéniable réussite.
On en attribua le mérite au seul Aït-Ahmed et à son mot d'ordre :
« Ni Etat policier, ni république intégriste ».
Si le mot d'ordre était clairement un sophisme (la république
intégriste n'est-elle pas, elle aussi, un Etat policier?), on ne
voulait y voir que le rejet de l'alternative FLN/FIS.
Au
Champ de manœuvres, je croisai le coordinateur de ce qui restait du
PAGS -i.e. presque rien. On se salua. Après s'être interrogé sur
les intentions réelles de AA, il me dit, au mot près : « De
toute façon, les patriotes vont les (i.e. les islamistes)
faire sortir du bois ! ». Sous-entendu « tout
ce cirque est inutile ».
Oran,
10 janvier 92 : je participe à une manifestation squelettique
-deux ou trois dizaines de personnes au square Port-Saïd- pour
mettre en garde contre ces élections dont nous
étions quelques-uns -assez bien renseignés- pour nous douter
qu'elles étaient piégées. Alors que je devisais avec un
ami, un peu à l'écart, une berline allemande de luxe, vitres
teintées, nous accosta. « Ne vous tracassez pas, les
gars ! Demain ça sera fini ! Salut. » Et
la voiture démarra. Celui qui nous avait apostrophés était un
général de notre connaissance dont j'appris plus tard qu'il
faisait partie du cercle des « décideurs ». Le
lendemain, nous vîmes, au JT de 20H, un Bendjedid blême, défait,
remettre sa lettre de démission à un Socrate (A. Benhabylès,
président du soi-disant conseil constitutionnel) sceptique.
Aït-Ahmed
réagit en s'alliant
avec le FLN et le FIS ! Donc avec l’État policier et la
république intégriste. Misère de la politique en Algérie !
4)
L. Addi récidive
Dans
un récent entretien accordé à El Khabar (qui ne l'a pas
publié!), Addi a déclaré que « l'ALN a créé en 1962
l’État algérien » et que « l'ANP a empêché
qu'il ne tombe entre les mains des capitalistes ». Addi
devra expliquer ce paradoxe subtil : comment quelque chose qui
n'existe pas (l'ALN en 62, laminée par les opérations Challe et
dont les chefs avaient calté en Tunisie et refusaient de rentrer en
Algérie -seuls Lotfi, Benchérif et Zbiri obtempérèrent à l'ordre
du GPRA) peut créer quelque chose qui n'existe pas plus (il n'y a
pas d’État algérien, seulement un pouvoir de fait, de type
despotisme asiatique). Quant à la seconde assertion, il suffit de
regarder ce qu'est devenue la hiérarchie de l'ANP (une caste
compradore) pour comprendre pourquoi elle avait (et a) intérêt à
empêcher l'émergence d'une classe de capitalistes nationaux.
La
reptation devant l'uniforme reste le sport favori en Algérie. Est-ce
un hasard que le pays soit si malade de sa violence ?
5)
Les 19 ayants-droit
19
ayants-droit sur la mazraa (l'hacienda Algérie) ont interpellé
publiquement le Dey pour savoir si c'était bien lui qui tenait la
barre de la felouque Algérie ! Manoeuvre pathétique d'une SM
en perte de vitesse pour essayer d'enfoncer un coin dans l'alliance
(Dey+Odjaq) qui s'est nouée contre elle. Les porte-parole de ce
groupe sont les inénarrables et vociférantes Louiza Hanoune et
Khalida Toumi. La première se pose crûment et sans vergogne comme
l'avocat de la SM, renvoi d'ascenseur obligé en faveur de la police
politique qui lui a permis d'occuper le créneau ouvrier laissé
vacant par le sabordage du PAGS. Quant à la seconde, Saïd Mekbel
nous apprend, dans Mort à la lettre, qu'elle est la nièce du
tortionnaire en chef de la SM, Abdallah Benhamza -celui qui a donné
du gourdin de chien, hraouat el kleb, comme le lui
recommandait Boukharrouba, en ces propres termes-, aux militants
communistes, et que durant les années de plomb, elle résidait chez
cet oncle. C'était plus facile dans ces conditions de jouer au
boute-feu !
Ce
que sont en vérité les prétendues pasionarias de l'Algérie
militaro-policière.
[L'enquête
minutieuse menée par le chercheur en histoire Boumédiène Lechlech
nous apprend que A. Benhamza était, jusqu'au 19 mars 1962,
secrétaire de la mairie de Oued-Berkèche (aujourd'hui Hsasna, près
de 'Aïn-Témouchent), membre du conseil général d'Oran et l'une
des figures locales de la 3° Force. Comment cet homme s'est-il
retrouvé à la place qui fut la sienne dans le système
Boukharrouba-Merbah -responsable du service Action de la SM? Tout simplement parce qu'il a été désigné (par qui?) membre de la commission locale de cessez-le-feu, comme nous l'apprend encore B.Lechlech. Voilà en tout cas qui jette une lumière révélatrice sur le prétendu nationalisme ombrageux de Boukharrouba.]
L'épisode
lamentable des 19 me rappelle 2 anecdotes.
*
Lors de je ne sais plus quelle assemblée du PAGS et durant une
interruption de séance, j'entendis cette conversation qui se
déroulait derrière mon dos. À quelqu'un qui lui demandait où il
comptait passer ses vacances, A. Chergou, membre de la direction,
répondit avec véhémence : « Tu es fou ! Et s'il
arrivait quelque chose dans le pays et que je ne sois
pas là ? » ( Mahboul ! Kanch' ma yasra haja fel
bled ou ma nkounch' hna!).
Cette
réaction, comme la lettre des 19, sont de même nature : elles
témoignent d'une identification pathologique au pays, au sens où
ces gens croient que l'Algérie leur appartient de droit et qu'ils
sont comptables de son destin. Et tous, les dominants comme ceux qui
croient s'opposer à ces derniers, procèdent d'une même tare :
le patrimonialisme patriarcal tribal. Et tous protestent de leur
républicanisme alors que la république est d'abord et avant tout la
chose publique, le bien commun qui n'appartient justement à
personne en propre.
**
Lors de son voyage en Algérie, et visitant le musée d'Oran, Fidel
Castro tombe en admiration devant les deux superbes pistolets de
l'émir Abdelkader exposés dans une vitrine. Ce que voyant, son
accompagnateur, le colonel Bendjedid chef de la région militaire
d'Oran, saisit un tournevis, force la vitre et offre les pistolets à
un Castro stupéfait. Le directeur du musée dut attendre que
Bendjedid -promu chef d’État entretemps, c'est dire !- fût
chassé du pouvoir pour exposer cette affaire si éclairante dans
colonnes du journal El- Watan.
Les
soudards incultes (pléonasme!) qui ont fait main-basse sur l'Algérie
en 1962, révèlent par leurs pratiques l'essence exacte de leur
nationalisme aboyeur : s'approprier littéralement le pays comme
on le ferait d'une mazraa. Et, bien sûr, sans considération
d'aucune sorte pour les indigènes qui y vivent. La preuve en est
qu'ils empêchent encore les Algériens d'accéder au jeu politique
civilisé -ce qui était l'objectif fondamental du Code de
l'indigénat-, ne leur laissant d'autre voie que la violence -ce qui
permet de justifier l'usage de la violence militaro-policière contre
eux !
merci bcp pour cette annalyse aussi cinglante que précise. Nous savons tout cela sans les détails ni la mise en phase. Et il faut te remercier. Il faut penser au futur aux nouvelels générations. Comment traduire en leçons ces errements destructeurs dont la cause tient bien sûr à l'état social et moral d'un peuple dont la colonisation ne fut pas quelconque et dont le régime apparaît comme un production alchimique aussi singulière que représentative de l'ordre du monde tel que figuré par les situations de la région Pakistan /Afghanistan, du Moyen orient dominé par les cheikhs richissimes dégoulinat de bijoux et patisseries londoniennes, de l'Egypte et de la Libye , du Soudan, de l'Afrique piquée de Boko Haram, etc. etc.
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