Radio France Internationale a convié, à l'occasion de la sortie du tome I de ses mémoires ("Quand une nation s'éveille", éditions Inas), Sadek Hadjerès à un entretien mené par Yasmine Chouaki. C'est ici : http://www.rfi.fr/emission/20150208-sadek-hadjeres/
Sadek Hadjerès |
Docteur
en médecine, chercheur en sciences médicales, sa carrière de
brillant professeur en faculté de médecine semblait toute tracée.
La vie en décidera autrement. Fils et petit-fils d'instituteurs -ce
qui, en ces années 20 du XX° siècle était exceptionnel pour un
Algérien-, Sadek Hadjerès va mener un cursus scolaire sans faute
qui le mènera au doctorat de médecine à l'université d'Alger.
Mais le chemin de l'élève studieux aura croisé auparavant la
politique sous les espèces du scoutisme puis du militantisme
étudiant. C'était inévitable. En ces années marquées par la
réforme morale et politique engagée par le cheikh Benbadis, l'idée
nationale prenait forme à une vitesse que l'on n'aurait pas
imaginée : le code de l'indigénat à peine levé (1936), un
bouillonnement politique prodigieux sortait l'Algérie de la
sidération dans laquelle l'avaient plongée les horreurs de la
conquête coloniale.
Le
jeune Sadek s'engage dans le PPA (parti du peuple algérien) dont il
sera le président de sa section universitaire. L'étudiant aura tôt
fait de découvrir l'étroitesse idéologique de ce parti : la
parution d'une brochure intitulée "L'Algérie libre vivra" provoquera ce qu'il est convenu d'appeler improprement "la
crise berbériste" (1949). Sadek a été l'un des trois
rédacteurs de ce document. Il quitte alors le PPA. Président de
l'AEMAN (association des étudiants musulmans d'Afrique du nord). Il
rejoint le PCA (parti communiste algérien) dont il deviendra très
vite l'un des dirigeants les plus importants en même temps qu'un
élu (conseiller général dans la circonscription d'El-Harrach - Maison-Carrée).
La
guerre d'indépendance éclate. Le PCA est interdit quelques mois
après (septembre 1955). Sadek plonge dans une clandestinité dont il
ne sortira qu'en juillet 1962, à l'indépendance. En 1956, il aura
rencontré à deux reprises 'Abane Ramdane et Benkhedda, deux des
cinq responsables du CCE (comité de coordination et d'exécution,
l'organe suprême du FLN), afin de régler la destination des armes
détournées par le militant du PCA, Henri Maillot, et le sort des
CDL (combattants de la libération, structure de guerre du PCA) -qui
seront versés dans le FLN. Durant toute la durée de la guerre,
Sadek ne quittera pas l'Algérie. Condamné aux travaux forcés par
contumace, il échappera constamment à l'armée et à la police
colonialistes.
À
l'indépendance, le PCA est immédiatement interdit par le FLN qui le
somme de le rejoindre. S'ensuit alors une période de confusion
durant laquelle le PCA aura un pied dans le FLN et un pied dehors,
les dirigeants communistes ne voulant pas lâcher la proie pour
l'ombre mais sont également désireux de ne pas gêner un FLN qui
s'engageait, avec la Charte d'Alger, dans l'édification socialiste.
Le coup d'état du colonel Boukharrouba (alias Boumédiène) allait
clarifier les choses. Après une courte période d'opposition
frontale au nouveau pouvoir (dans une structure dite ORP-
organisation de la résistance populaire), les dirigeants communistes
revinrent à l'essentiel, la refondation du PCA. Ce qui fut fait avec
la création du PAGS -parti de l'avant-garde socialiste-(janvier
1966).
Depuis
le coup d'état du 19 juin 1965, Sadek avait replongé dans la
clandestinité. Il en sortira en 1989, à la faveur de la fin du
régime du parti unique. Mais le multipartisme décrété par le
pouvoir allait se révéler comme un jeu mortellement piégé. Les
deux seules forces réelles d'opposition étant le PAGS et le FIS
-front islamique du salut-, le pouvoir fit tout pour les lancer l'une
contre l'autre, escomptant se débarrasser d'elles à moindres frais.
La direction du PAGS, infiltrée jusqu'au sommet par les services
secrets, ne voulut pas suivre la ligne de la modération et
d'intelligence de la situation prônée par son Premier secrétaire,
Sadek ; elle suivit la ligne éradicatrice des milieux de la
hiérarchie de l'armée et des services de sécurité. Le résultat
final en fut bien la disparition des deux partis.
Certainement
la mort dans l'âme, pressentant ce qui allait advenir, Sadek s'était
mis en congé du parti en 1991. Il prit peu après le chemin de
l'exil. Juste décision.
Marié à Aliki Papadomichelaki, dont la vie de militante communiste grecque (et cadre de Syriza) est aussi incroyable que celle de son époux, Sadek vit en France et en Grèce. Il achève la rédaction de ses mémoires, les mémoires d'un homme hors du commun, doté d'une grande culture et par dessus tout d'une modestie sans pareille. Mais il est vrai que la modestie est l'apanage des grands. Écoutez, amis du blogue, cet entretien ; vous entendrez des choses qui ne vous laisseront pas insensibles. Comme celle-ci, par exemple : durant la bataille d'Alger, Sadek trouve refuge auprès du diocèse d'Alger. Arrive l'abbé Scotto, (curé de la paroisse de Bab-El-Oued) au moment du repas. Il voit "l'invité" et au lieu de dire la prière chrétienne ordinaire, il dit "Bismallah" (qui est l'invocation des musulmans à Dieu). Ou cette autre : Sadek circulait dans Alger quadrillé par les parachutistes, munie d'une carte d'identité de l'ami et sympathisant juif. Qui sera tué dans l'attentat contre le Casino de la corniche !
En ces temps, où certains s'efforcent d'allumer la guerre des religions, Sadek dit NON à sa manière, simplement en rappelant comment les gens vivent. Et c'est bien pour cela qu'il est un politique fin et avisé. Vivement le tome II !
P.S. Vous aurez droit également à des chansons choisies par Sadek : "Ya Rayah" de Dahmane (pour le harrachi de coeur qu'il est), Louiza Tounsia (juive tunisienne, manière de rendre hommage à l'Andalous) et "l'ensorcelante" Asmahane dans sa bouleversante prestation "Ya habibi ta'ala".
Merci pour la description du contenu et ne nous avoir révélé ce livre.
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