braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

samedi 31 janvier 2015

SOUMISSION



Le Monde a publié une tribune libre d'Alain Badiou*. Le philosophe y développe ses réflexions sur les attentats de Paris. En introduction, des considérations générales sur ce monde dominé par le capitalisme financier, sur cette France dominée par le "totem de la République laïque". Puis vient l'analyse de l'affaire.

A. Badiou qualifie la tuerie de crime de type fasciste. "Et les trois jeunes Français que la police a rapidement tués ? Je dirais qu’ils ont commis ce qu’il faut appeler un crime de type fasciste. J’appelle crime de type fasciste un crime qui a trois caractéristiques. D’abord, il est ciblé... parce que sa motivation est idéologique, de caractère fascisant, ce qui veut dire strictement identitaire : nationale, raciale, communautaire, coutumière, religieuse… En la circonstance, les tueurs sont antisémites."


Passons sur la pétition de principe qui consiste à caractériser un crime fasciste de… crime à caractère fascisant. Remarquons également que le crime de type fasciste ainsi défini par sa caractéristique identitaire (nationale, raciale, communautaire, coutumière, religieuse…) ne laisse en dehors de son périmètre que le crime crapuleux, et encore. C'est dire autrement que tout ou presque peut être qualifié de crime fasciste. Un concept à l'extension aussi vaste a une compréhension faible, comme disent les philosophes.


Comme il est impossible que la chose ait échappé à Badiou, cherchons-en la raison cachée. La réponse est dans la phrase qui suit celle reproduite plus haut. "(En la circonstance, les tueurs sont antisémites.) Souvent le crime fasciste vise des publicistes, des journalistes, des intellectuels ou des écrivains que les tueurs estiment représentatifs du bord opposé. En la circonstance, Charlie Hebdo." Qu'est-ce à dire ? Que les tueurs ont perpétré un crime fasciste parce qu'antisémite et que c'est ce qui les a motivés à s'attaquer à Charlie-Hebdo.


J'avoue que je ne comprends pas. D'abord, je ne sache pas que Charlie-Hebdo était un journal "sémite"(ce qui voudrait dire quoi, d'ailleurs ?) ; ensuite, je suis très étonné qu'un philosophe rompu au concept puisse utiliser une notion aussi piégée et arnaqueuse que celle d'antisémitisme, notion bricolée pour désigner la détestation des Juifs et devenue l'arme de destruction massive aux mains des sionistes.


Sans cuistrerie aucune, rappelons que le terme de sémite désigne un groupe de langues (dit chamito-sémitique et comprenant entre autres l'arabe, l'araméen, l'amharique, l'hébreu…) et non une ethnie, encore moins une religion. Mais on sait bien pourquoi les sionistes l'utilisent à tout propos : pour masquer ce fait établi que 9 Juifs sur 10 dans le monde sont d'origine ashkénaze, des caucasiens de l'ancien empire khazar qui n'ont strictement rien à voir avec la Palestine historique ni avec ses langues. Le mot antisémitisme permet de couvrir cette vérité et de légitimer les prétentions des ashkénazes sur la terre de Palestine.


Pourquoi donc A. Badiou, qui n'ignore rien de ces choses, traite-t-il les auteurs de l'attentat contre Charlie-Hebdo d'antisémites ? Pour pouvoir les renvoyer à la nuit du crime fasciste, celui où tous les tueurs sont gris. Et de pouvoir ainsi évacuer toutes les questions gênantes -et elles sont nombreuses !- concernant les circonstances réelles de la commission de l'acte. De plus, A. Badiou, pour la commodité de son argumentation, conjoint implicitement les deux attentats -celui contre le journal et celui contre la supérette casher- en parlant des "trois jeunes Français". Ce petit tour de passe-passe lui permet de justifier la caractérisation de l'attentat contre Charlie-Hebdo d'antisémite. Tout se passe, en effet, comme si l'"on avait voulu", en couplant les deux attentats, s'assurer que la fusillade du journal soit bien vue comme un acte antijuif, ce qui n'allait pas de soi.


Se débarrasser d'un journal qui gênait tout le monde et de toute façon failli, raviver le sentiment d'insécurité des Juifs de France (et les pousser à faire l'alya), mettre sur le dos des musulmans ces crimes barbares et les désigner comme l'ennemi "civilisationnel", voilà objectivement les bénéfices qu'un organisateur potentiel de ces attentats aurait pu attendre de leur commission et dont nul -s'il est honnête- ne peut nier la logique. Par ailleurs, comment expliquer qu'un événement qui ne pouvait être perçu que comme un énorme fiasco sécuritaire se transforme en son contraire et devienne un chant d'amour -grotesque- à la police et un satisfecit au gouvernement ?


Un petit cours d'ingénierie sociale apprendrait aux Parisiens qu'ils ont fait sans nul doute l'objet d'une manipulation retorse. Ceux qui comme moi ont vécu la guerre d'Algérie et la guerre civile contrôlée des années 90 dans ce même pays savent ce que c'est que la manipulation des masses. Nul ne peut nier non plus le bénéfice principal que le gouvernement français a retiré objectivement -qu'il l'ait recherché ou non- de cet événement : la menace existentielle du FN est -pour le moment- écartée.


A. Badiou, par son article, loin d'avoir contribué à éclairer les tenants et les aboutissants de ces attentats, les a rendus plus opaques en sacrifiant au totem de l'antisémitisme. Il faut croire que la force de dissuasion de cette arme est inégalée qui a réussi à détruire l'intelligentsia française, rien de moins. Après cela, Badiou peut vitupérer ce gredin de Voltaire, en appeler à Rousseau, à Robespierre et au drapeau rouge : ça ne mange pas de pain.


Voilà qui me rappelle une anecdote qui avait cours en Algérie dans les années 60. Au cours d'une réunion du comité de l'Union des écrivains algériens (UEA), le prénommé Kaddour propose une motion de dénonciation de l'agression impérialiste US contre le Vietnam mais n'a pas un mot pour le poète communiste -par ailleurs l'un des fondateurs de l'UEA- Bachir Hadj-Ali, emprisonné et torturé par le régime. Le poète Azzegah l'interpelle alors en ces termes :

Mon ami Kaddour
Tu roules sur du velours.


*http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/01/27/le-rouge-et-le-tricolore_4564083_3232.html

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