braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

mardi 19 mars 2013

GLOSES SUR PROLÉGOMÈNES



                                             Picasso : La joie de vivre

L'article Prolégomènes a soulevé des questions. Certaines d'entre elles méritent un développement.


PROLÉGOMÈNES EST-IL UN PROGRAMME ?


Non, surtout pas. « Tout pas fait en avant, toute progression réelle importe plus qu'une douzaine de programmes. » disait Karl Marx dans sa Critique du programme de Gotha, justement. Il s'agit simplement de garder le cap sur deux discriminants qui sont autant d'objectifs stratégiques ( = à très long terme) :1) La société deproducteurs libres associés. 2) Le dépérissement de l'État.
Dès lors, toute action, aussi minime fût-elle, qui sera de nature à faire avancer la société vers ces deux objectifs, est la bienvenue. À l'inverse, toute action qui éloignerait de ces deux phares, doit être évitée, combattue.


"LA SOCIÉTÉ CIVILE EST LA VRAIE SCÈNE DE L'HISTOIRE"


Ce célèbre aphorisme de Marx devrait être martelé à tout moment. L'essentiel est de bien comprendre qu'il s'agit d'engager une longue « guerre de position » pour conquérir « l'hégémonie » (comme dit Gramsci). Il faut également se rendre à cette évidence qu'il n'y a pas de raccourcis capables d'accélérer cette étape. Il faut combattre impitoyablement la tendance récurrente qui consiste à croire que l'on peut utiliser impunément les appareils d'État en lieu et place de l'investissement personnel dans le travail auprès des masses. La maturation de la société civile et des contre-pouvoirs qui lui sont intrinsèquement liés prendra le temps qu'il faudra mais elle a besoin de ce temps pour émerger, forte et invincible. Chacun devrait se rappeler le désastre moral, économique, social dans lequel a été plongée la Russie des années 90 : un ivrogne pour président, des anciens des jeunesses communistes qui mettent en coupe réglée le pays et ses incalculables richesses avant d'aller élire domicile dans l'état sioniste paria, des glorieux vétérans de Stalingrad qui mendient et fouillent les poubelles, des jeunes femmes qui se prostituent par milliers... Et tout cela parce que l'État socialiste, soi-disant protecteur, avait infantilisé la société, l'empêchant de développer les anticorps nécessaires pour résister à la brutale chute dans le capitalisme mafieux le plus noir.

Voilà à quoi a mené l'assistanat généralisé et la neutralisation de la société civile et voilà ce qui menace, à terme, l'Algérie : ce pays est dans une phase de déliquescence morale et politique avancée. Déjà est venu le temps où l'on parle de « l'homme malade » et de partage de ses dépouilles, comme on l'avait fait pour l'empire ottoman et l'ex-URSS. Et il ne se trouvera personne, le moment de la curée venu, pour esquisser le moindre geste de défense en faveur de ce régime honni. Ses chefs, d'ailleurs, ont déjà assuré leurs arrières et tiennent prêts les avions qui les exfiltreront vers l'Étranger. Quant à leurs chiens (et chiennes) courants, ceux qui insultent des chômeurs courageux et dignes, capables de se battre et d'envoyer promener le guignol qui occupe la fonction fantôme de Premier ministre, ils ne perdent rien pour attendre parce que le jour où leurs maîtres se feront la malle, ils les abandonneront sur place. Car tel est le sort immuable des supplétifs.

De temps à autre, s'élèvent des voix appelant directement l'armée à la rescousse ou bien indirectement, sous couvert de considérations stratégiques. L'officier supérieur de la SM, M.C. Mesbah, vient de faire mieux : il conseille vivement à l'armée de se retirer de la politique -ce qui veut dire abandonner le pouvoir-, et à la SM de recadrer ses missions exclusivement autour de la sécurité nationale. Autrement dit, MCM demande au crabe de marcher droit afin de sauver l'essentiel, c'est-à-dire le pouvoir de la SM, l'armée étant profondément gangrenée par la corruption et l'impéritie. Mais la SM l'est tout autant, M. MCM ! (Dans un pays où tout va mal, où tout fonctionne au bakchich, pourquoi diable en irait-il autrement pour la seule SM ?) Et les deux, l'armée et la SM, se tiennent par la barbichette depuis la grande boucherie des années 90. Inutile donc de chercher à les découpler ! De toute façon, il est trop tard. Les solutions de replâtrage, encore moins les coups d'état -si scientifiques fussent-ils-, ne résoudront rien.

À ceux, maintenant, qui pensent qu'il y a des "patriotes" -c'est le terme utilisé par l'un des internautes qui m'interroge- dans l'armée, la SM et, de manière générale, dans tous les appareils de l'État, la réponse est que charité bien ordonnée commence par soi-même : que ces "patriotes" mettent de l'ordre chez eux, dans leurs appareils, qu'ils prêchent par l'exemple ! Qui peut le plus, peut le moins ! Depuis le temps qu'on en parle de ces fameux "patriotes", en a-t-on vu un seul, ne serait-ce que démissionner avec fracas (par exemple pour protester contre le carnage d'octobre 1988, quand la glorieuse ANP a tiré sur de jeunes manifestants désarmés) ? En a-t-on vu un seul prendre sa plume -comme le fait aujourd'hui Hocine Malti-, pour dénoncer des malversations ? Des injustices ? en nommant les coupables (et pas en se cachant derrière le pronom houma=eux) ? Les flatter en leur donnant du "patriotes" ne peut que les conforter dans leur si prudente réserve : si, à ne rien faire, on ne risque que d'être traités de "patriotes", continuons à ne rien faire. Bien au contraire, il faudrait les houspiller, leur faire honte de leur silence complice.

Élargissons le propos pour bien prendre conscience de l'affaissement moral du pays. Durant la guerre d'indépendance (pour la libération, on attend encore), des Français ont pris la parole et la plume pour dénoncer la sale guerre faite ici par leur propre pays. Ils n'ont pas hésité à mener ce qui sera une véritable campagne de démoralisation de l'armée coloniale, sans crainte de passer pour des traîtres à leur pays. Mais combien de voix algériennes autorisées en ont-elles fait autant durant la décennie sanglante ? Les intellectuels, écrivains, hommes de religion... ont-ils dit : Non à la torture ! Non aux exécutions sommaires ! Non aux disparitions forcées ! ? Hélas ! En majorité, ils se sont mis sous la protection du système militaro-policier. Comment pourraient-ils le critiquer maintenant ou tenir un discours crédible devant la société ?

Bertolt Brecht disait : « Malheur au pays qui a besoin de héros ». Si la société algérienne est incapable de se prendre en main pour devenir une véritable société civile avec ses contre-pouvoirs bien établis ; si elle est incapable de se détacher de sa fascination pour la violence et de son symbole, l'armée ; si elle est incapable de battre en brèche l'omnipotence de la police politique, alors elle méritera de vivre en esclave, dans l'état de semi-ensauvagement que lui réservent ses maîtres.


DE L'INANITÉ DES DÉBATS SUR UNE CONSTITUTION


Marx se gaussait du« pompeux catalogue des droits de l'homme » ; il estimait qu'on devrait pouvoir se suffire d'une « Magna carta » (une grande charte)de protection des seules libertés individuelles et collectives fondamentales. En cela, Marx acquiesçait au pragmatisme anglo-saxon. Rappelons que la « Magna carta libertatum »a été adoptée en 1215 par les barons anglais pour poser des limites claires au pouvoir du roi (Jean Sans Terre). Cette charte posait déjà le principe du droit civilisé, l'habeas corpus, qui interdit l'emprisonnement illégal. (Alors qu'en 2013, en Algérie, on peut encore disparaître en pleine rue, kidnappé par des équarrisseurs non identifiés mais qui sont ceux de la SM). La Magna carta sera sans cesse remaniée au cours des siècles mais elle demeurera toujours la référence fondamentale de la législation anglaise (et américaine). Elle est considérée comme le document fondateur de la démocratie moderne.

Cheikh Imrane Hossein -qui n'a rien à voir avec les imams stipendiés, incultes et bornés de l'hacienda des Saoud ou ceux d'Égypte, ni, bien sûr, avec Marx- a pris vigoureusement à partie les Frères musulmans égyptiens et a condamné leur prétention à imposer une constitution au pays, ce qui créerait des fractures destructrices au sein d'un même peuple, a-t-il prévenu. Le cheikh prend ainsi courageusement la défense des chrétiens égyptiens et renvoie les FM à l'épisode de la grande concertation menée à Médine par le prophète Mohammad avec l'ensemble des tribus et des confessions pour asseoir un vivre ensemble pacifique.

[Par ailleurs, le cheikh Imran Hossein propose de rendre Sainte Sophie -devenue mosquée d'Istamboul- à sa destination première de cathédrale orthodoxe, et de présenter des excuses aux chrétiens. C'est avec de semblables démarches, inspirées par le sens de la justice et l'intelligence politique, que l'on aura des chances de mettre en échec le plan perfide des néo-conservateurs visant à coaliser chrétiens et juifs contre les musulmans. Qui ne voit, en effet, que les vociférations et la violence des groupes prétendument « djihadistes » -alors que ce ne sont que des mercenaires manipulables à merci- font très exactement le jeu des néo-conservateurs criminels et de leur stratégie de « guerre des civilisations ».]


RAPPORTS RATIONNELS À LA NATURE


La société des producteurs libres associés constituera la seule et unique possibilité de résoudre le très inquiétant problème du productivisme insensé et de la destruction consécutive de la planète. Le capitalisme est voué à une production sans fin et toujours plus élargie de marchandises. C'est son ADN, il ne peut fonctionner autrement qu'en soumettant la nature à une pression maximale. Cet "arraisonnementde la nature -selon le mot de Heidegger-, cette exploitation forcenée d'une nature sommée de livrer à l'homme toujours plus d'énergie, toujours plus de richesses, de se plier encore et encore à sa volonté absurde, a mené l'humanité au bord de la rupture. Si tout le monde voulait vivre selon les standards yankees, il faudrait plus d'une quinzaine de planètes terres pour que cela soit possible. Sauf que nous savons qu'il n'existe qu'une seule planète terre. Le capitalisme est une marche aveugle vers l'abîme, tout un chacun saisit aujourd'hui cette vérité concrète à partir de simples faits de la vie courante : pollution de l'atmosphère et des océans, destruction du cadre naturel (Les monts Appalaches n'existeront bientôt plus sur les cartes de géographie des USA, arasés par l'exploitation des schistes bitumineux), destruction accélérée d'espèces vivantes... sans compter les dégâts terribles de la mondialisation qui ruine la diversité des identités et des cultures et impose la standardisation yankee. Mais contrairement à ce que l'on entend ici ou là, ce désastre n'est pas le fait du seul capitalisme financier. Ce dernier est constitutif du capitalisme en tant que mode de production et d'échange. Marx avait résumé le Capital dans la formule : A-M-A (argent-marchandises-argent). L'alpha et l'oméga du capitalisme, c'est l'argent ; il se trouve à son commencement et il est sa fin.

Les voix de plus en plus nombreuses s'élèvent qui dénoncent le productivisme et le consumérisme, son pendant obligé. Certaines vont plus loin, prêchant carrément la décroissance. Partout dans le monde, des organisations citoyennes oeuvrent à la protection de l'environnement. Partout se développe une agriculture respectueuse de la terre. Tout cela témoigne d'une réelle prise de conscience que le capitalisme menace la vie sur terre. Et il n'y aura pas d'autre remède à cette situation que celui de faire advenir, au plus vite, la société des producteurs libres associés qui, seule, sera en mesure de changer de fond en comble notre rapport à la nature.

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