braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

jeudi 21 mars 2013

LE CAS MOURAD DHINA




Mourad Dhina est un physicien algérien de haut niveau, vivant et travaillant en Suisse. Il fut, pendant une période, adhérent du Front islamique du salut (Fis) qu'il quitta pour fonder un autre mouvement politique, Rachad. Dhina est actuellement détenu en France, où il s'était rendu pour soutenir une manifestation pacifique à l'occasion de l'anniversaire du coup d'État de janvier 1992. Le statut de Dhina est celui de détenu sous verrou extraditionnel : l'Algérie réclame, en effet, son extradition afin qu'il réponde de « faits de terrorisme ». Elle avait saisi pour cela Interpol.

Une pétition à l'adresse du gouvernement français afin qu'il n'obtempère pas à la demande d'Alger a recueilli plusieurs centaines de signatures parmi lesquelles il convient de signaler celles d'intellectuels de gauche comme Mohamed Harbi, Gilbert Meynier, Olivier Roy, Noam Chomsky ainsi que celles d'hommes politiques, également de gauche -Hocine Aït Ahmed- et même d'anciens du Pags, à côté d'islamistes de tout bord et de leurs amis traditionnels (tel François Burgat). Il s'agit là d'un fait nouveau et même -ne craignons pas l'hyperbole- exceptionnel. Que des gens de gauche se mobilisent à côté d'islamistes pour défendre un militant classé islamiste a quelque chose de roboratif, en tout cas d'éminemment positif. Le makhzen d'Alger ne s'y est pas trompé qui a tenté une riposte sous la même forme : une pétition rendue publique par le quotidien « Le soir d'Algérie » (que l'on peut aisément trouver sur internet) et intitulée « Jugez le terroriste Mourad Dhina ».

Lorsque l'on examine la liste des signataires de cette pétition, on s'aperçoit qu'elle ne comporte que des noms inconnus du grand public, pour l'essentiel des « journalistes » -c'est ainsi du moins qu'ils se présentent- oeuvrant dans des titres encore moins connus, à l'exception notable de « Le soir d'Algérie ». Ici, point de « sénateurs » ni de « députés », encore moins de ministres et surtout pas d'intellectuels connus ni de juristes confirmés comme ce fut le cas pour la pétition en faveur du général Nezzar, qu'il s'agissait d'arracher à la justice suisse. Il semble bien que le makhzen ait raclé les fonds de tiroir. Il était, en effet, relativement plus gratifiant et moins culpabilisant de défendre un compatriote en butte à une justice étrangère -même si cette défense était en soi une forfaiture en même temps qu'un tissu d'absurdités-, ce qui était le cas de Nezzar. Mais comment justifier le fait de réclamer livraison d'un autre compatriote -fût-il islamiste- à la « justice » expéditive du pouvoir siloviki ? Il n'est pas un seul Algérien qui ne soit terrifié à la seule pensée de tomber entre les mains des équarrisseurs de la SM ; il n'est pas un Algérien qui ait une once de confiance dans l'appareil judiciaire de son pays. Il n'est dès lors pas un Algérien qui approuverait au fond de lui-même cette démarche de supplétif servile. Face à cette réalité qu'ils connaissent parfaitement, les volontaires-signataires n'ont pas dû se bousculer au portillon. Ceux qui l'ont fait ne pouvaient pas faire autrement pour toutes les raisons que l'on peut imaginer. Cela étant, il aura fallu faire avec ce qu'on avait sous la main : un quarteron de seconds couteaux.

Cette haineuse et honteuse pétition n'a, d'ailleurs, pas d'autre argument à faire valoir que d'accuser Mourad Dhina d'être le fondateur du soi-disant Front islamique pour le djihad armé (Fida), spécialisé, nous dit-on, dans l'éradication des intellectuels laïques. La manœuvre est cousue de gros fil blanc : son objectif est, évidemment, de rameuter les intellectuels francophones et les laïques de façon générale derrière le pouvoir siloviki, en réactivant le climat de terreur à l'ombre duquel il avait pu éliminer tous ses adversaires -et pas seulement islamistes- et plonger le pays dans un bain de sang. Cela dit, si le pouvoir a des preuves de ce qu'il avance à propos de ce Fida, qu'il les expose à la lumière du jour. Que craint-il ? Ce serait, au contraire, le seul moyen pour lui de gagner l'opinion à sa cause. Et qu'il expose également -tant qu'à faire- la genèse des Gia, celle du Gspc et celle d'Aqmi.

Cette affaire Dhina démontre, à sa manière, deux choses :

Un, que les séquelles de la guerre des lâches n'en finiront pas d'empoisonner et de diviser les Algériens tant qu'ils ne se montreront pas capables de mener une grande catharsis nationale en faisant la vérité sur ce qui s'est passé durant la décennie sanglante, ainsi qu'en faisant passer la justice sur les crimes des uns et des autres. Les bouches doivent s'ouvrir mais pas uniquement (comme c'est malheureusement le cas aujourd'hui) sur le mode de la victimisation ; il faut que chacun fasse son examen de conscience et évalue sa propre responsabilité dans ce qui est arrivé. C'est à ce prix seul qu'il se montrera digne d'un pays qui n'est grand que par son immense souffrance.

Deux, que ce que le pouvoir siloviki redoute au plus haut point, ce sont bien les méthodes de lutte pacifiques et civilisées. S'il s'acharne sur Mourad Dhina, c'est bien parce que ce dernier a rompu avec le Fis et son aventurisme irresponsable (couplé à une débilité profonde du sens politique), et qu'il a choisi de combattre avec les moyens modernes et pacifiques -telle la création d'une chaîne de télévision, ce que le système pardonne encore moins.

Mais, pour l'heure, savourons l'augure de cette pétition oecuménique en défense de Dhina : puisse-t-elle enclencher le processus de formation de la nouvelle intelligentsia nationale, loin des sectarismes mortels et loin -surtout- des centres de pouvoir armés.

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