braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

jeudi 23 mai 2013

LA VERTU DORMITIVE DE L'OPIUM




Les insurrections arabes contre les régimes patriarco-klepto-dictatoriaux ont eu, entre autres conséquences bienvenues, d'obliger les partis islamistes à une clarification importante de leurs objectifs politiques. Avant cet événement considérable qui a rappelé tout le monde à cette vérité ressassée par le Vieux (K. Marx) : « Ce sont les masses qui font l'histoire », les partis islamistes, méprisants et arrogants (il n'est que de se rappeler Abbassi Madani dans ses conférences de presse), s'en tenaient à un slogan dont le simplisme était une insulte à l'intelligence humaine la plus fruste : « L'islam est la solution », l'autre variante en étant : « Le Coran est la solution ».

Quel islam ? Celui de Hamdane Qarmate qui avait institué le communisme intégral (donc y compris la communauté sexuelle) et confisqué la Pierre noire de la Kaaba ? Ou celui des Wahabites valets des Saoud et des Yankees, fauteurs de guerres et de troubles partout dans l'Oumma ? À moins que ce ne soit celui des Chi'ites duodécimains au pouvoir en Iran ? Ou celui des Zaïdites du Yémen ? L'islam de 'Ali ou celui de Mo'awiya ? L'islam de Djakarta ou celui de Dakar ? Etc.

Les islamistes répondraient à ce type de questionnement par : Il n'y a qu'un Coran. Certes. Mais combien d'interprétations d'un texte aussi énigmatique -Le verset coranique III, 7 dit : "C'est Lui qui a fait descendre sur toi le Livre il s'y trouve des versets maîtrisés ceux-là sont la mère du Livre et d'autres obscurs..."-, sans ponctuation et sans signes diacritiques (qui permettent de distinguer une lettre d'une autre), un texte dont la recension et la structure sont le fait d'un homme, le calife Othman, dont le népotisme était connu et dénoncé et qui mourra, assassiné, pour cela ?

Il a fallu que les masses arabes se mettent en mouvement pour que cette langue de bois soit remisée au vaste hangar du crétinisme -et encore pas par tous ni partout- et qu'un nouveau discours se fasse jour. Il est question, maintenant, d'un État civil -et par ce terme, il faut entendre un État qui ne soit ni religieux ni militaire- et démocratique, respectant les libertés citoyennes, comme objectif politique des partis islamistes. On est loin de la restauration du Califat, de l'érection d'un émirat islamique ou même de l'État islamique tout court !

Ce slogan d'État civil et démocratique est brandi par En-Nahdha en Tunisie, les Frères musulmans en Égypte, le Conseil national syrien où les Frères musulmans sont présents et même par les Insurgés libyens. Quant aux islamistes marocains de Benkirane, au pouvoir depuis quelques jours, ils ont accepté de jouer le jeu de la démocratie parlementaire. Les Frères musulmans égyptiens ont, de plus, procédé à une séparation entre activité strictemement religieuse -qui relève de l'organisation des Frères proprement dite- et activité politique, prise en charge par le Parti de la justice et de la liberté, nouvellement mis en place. D'aucuns seraient tentés de ne voir là qu'une simple manœuvre tacticienne ; ils auraient tort. Il s'agit là, à n'en pas douter, d'un premier pas vers la sécularisation du politique -ce que sous d'autres cieux, on nommerait débuts d'un processus de laïcisation.

Ce début de clarification -et de révision déchirante des dogmes puérils de la période précédente- fait son chemin partout, au Machrek comme au Maghreb, à une exception remarquable près : celle de l'Algérie. Là, en effet, on n'entend aucun parti de la foisonnante nébuleuse islamiste prendre à son compte, de manière claire et distincte, le mot d'ordre d'État civil et démocratique. Curieux mais pas inexplicable pourvu que l'on veuille bien se rappeler que tous ces partis (y compris le plus radical d'entre eux, l'ex-fis) doivent leur existence à l'État siloviki. Or l'État siloviki étant un pouvoir militaire dictatorial, brandir face à lui le mot d'ordre d'État civil et démocratique sera assimilé à une déclaration de guerre. Et comme l'État siloviki n'aime rien tant qu'une bonne petite guerre, le parti islamiste qui aura eu l'outrecuidance de clamer ce slogan sera promptement amené à résipiscence par quelque coup d'état scientifique. S'il persévère, de mystérieux attentats terroristes risquent bien de viser ses cadres.

Cela étant, il y a aussi une explication plus prosaïque et nullement en contradiction avec la première : c'est celle qui a trait à l'inculture politique générale dans laquelle baigne le pays, aggravée, pour les formations islamistes, par leur lourde hérédité obscurantiste. Combien de ces partis éduquent-ils leurs militants par des références autres que strictement religieuses ? Combien d'entre eux convoquent-ils Benbadis, ses écrits et sa pratique politique d'alliance avec les communistes et les démocrates bourgeois ? Le questionnement est d'autant plus légitime et pressant que ceux parmi les islamistes algériens qui ont la chance d'être bilingues et qui ont donc plus de possibilités d'ouverture sur les disciplines modernes, ne retiennent en général qu'une référence ; et quelle référence : Malek Bennabi ! Vous savez, l'inventeur de la "thèse" célèbre et célébrée de la colonisabilité. Pourquoi l'Algérie a-t-elle été colonisée ? À cette question, l'illustre penseur répondait : « Parce qu'elle était colonisable ».

Au Moyen Âge, durant les siècles rendus obscurs par la police de la pensée qu'exerçait implacablement l'Église catholique, les scolasticiens expliquaient toute chose par son principe... explicatif. Pourquoi l'opium endort-il ? Parce qu'il contient une vertu dormitive, un principe assoupissant, disait, en substance Molière dans le « Malade imaginaire ». Si le public s'esclaffe depuis plus de deux siècles à cette réplique, c'est qu'il comprend bien le ridicule d'une « explication » ronflante qui n'explique rien. Mais peut-être que Bennabi n'avait pas lu Molière. À l'impossible, nul n'est tenu.

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