braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

mercredi 15 mai 2013

LE CONFLIT SYRIEN, UNE EQUATION A n INCONNUES


La révolte d'une large composante du peuple syrien contre le pouvoir alaouite que soutiennent des Chrétiens, des Druzes et quelques notables sunnites, ne faiblit pas au bout de deux années de ce qui était au départ des manifestations pacifiques -réprimées avec sauvagerie par le pouvoir central-, et qui est devenu maintenant un conflit armé qui menace de s'étendre à toute la région. Pourtant, l'opposition est très désunie. On objectera que cette désunion est justement le signe que des forces sociales très disparates sont à l'oeuvre dans cette insurrection. En effet, le problème syrien est un complexe de problématiques religieuses, ethniques, sociales, politiques et géostratégiques.

C'est la minorité alaouite (excommuniée par une fetwa d'Ibn Taymiyya au 14° siècle, fetwa que les néo-hanbalites estiment toujours valable), longtemps persécutée et dominée, qui détient un pouvoir sans partage, particulièrement dans les appareils de force : police, armée, sécurité d'État. La bourgeoisie sunnite marchande, longtemps au pouvoir, méprisait le métier des armes qu'elle jugeait subalterne et qu'elle a abandonné à la plèbe alaouite. En 1970, Hafedh El Assad, un alaouite, s'empare du pouvoir au terme d'un pronunciamiento militaire. La minorité alaouite bricole alors un pouvoir de type siloviki avec parti unique « socialiste » comme devanture et dictature militaro-policière comme réalité. C'est cette dictature féroce qu'une majorité de la population syrienne a entrepris de contester, d'abord pacifiquement, puis, face la barbarie de la répression, par les armes.

Le régime a trois alliés internationaux de poids : la Russie, la Chine et l'Iran. Il a un allié régional stratégique en la personne du Hezbollah chiite qui tient l'ogre sioniste en respect depuis la spectaculaire déroute qu'il lui a infligée en 2006. Le Hezbollah est fourni en armements par l'Iran via la Syrie. D'un autre côté, la Syrie a des ennemis nombreux au premier rang desquels l'empire yankee, son maître sioniste et ses valets arabes, les Al Saoud et le Qatar, ainsi que l'Europe, sénescente et suiviste. La Russie, instruite par l'expérience libyenne, dégaine son veto plus vite que son ombre à l'ONU où pas une motion contraignante contre la Syrie ne risque de passer ; la Russie n'entend pas perdre un allié qui offre à sa flotte de guerre un port de mouillage en méditerranée (Tartous), qui plus est client pour ses ventes d'armes. Avec Kadafi, s'est, en effet, envolée une fabuleuse commande d'armements qui attendait juste d'être paraphée.

Cet état des lieux, c'est celui que dressent les médias -avec leurs « spécialistes »- depuis le début de l'insurrection populaire en Syrie. À cette représentation des choses, il ne manque qu'une chose : le mouvement. Mais voir les événements dans leur développement contradictoire et non dans leur fixité apparente n'est pas donné spontanément ; cela s'acquiert. Ce qui ne veut nullement dire que le respect de ce mode de pensée (dialectique) nous garantisse ipso facto d'atteindre la vérité. Non. Simplement, on se donne plus de chances d'y parvenir. Par contre, le mode de pensée métaphysique, celui qui ne voit que la fixité des choses, celui-là vous garantit de ne jamais atteindre à la vérité des choses.

Voyons, maintenant, comment les dialecticiens supposés, héritiers d'un certain marxisme, appréhendent les événements qui ont affecté le monde arabe et la Syrie. Tout se passe pour eux selon un mécanisme simple : les insurrections des peuples arabes ne sont que les épiphénomènes des « révolutions colorées » fomentées par la CIA, un énième complot de l'empire yankee et de ses laquais arabes contre les États-nations qui refusent l'inféodation à Gog et Magog (= l'empire et son maître sioniste). Cette position,relève de la logique des blocs qui prévalait dans le contexte de la guerre froide. Ce qui semble accréditer cette thèse, c'est que l'on retrouve, s'affrontant dans le dossier syrien, les deux chefs de file de la guerre froide, l'empire yankee, épaulé par l'Occident, et la Russie, soutenue par la Chine.

Personne ne doute que, derrière le faux drapeau de la démocratie, l'empire yankee et l'État sioniste travaillent en effet d'arrache-pied à renvoyer les Arabes à l'abrutissement religieux qui réussit si bien à conserver aux deux monstres la suprématie sur la région. Le vecteur de cette politique est les islamistes en général, Frères musulmans et/ou djihadistes. Il suffit de lire la littérature des officines néoconservatrices pour être édifié. 

(NB : il est plaisant de constater que certains polygraphes arabes qui s'illustrent par un anti-islamisme véhément participent à la propagande néoconservatrice en écrivant dans les revues de cette mouvance. Ils n'ont pas compris que l'objectif du discours islamophobe ambiant est justement de pousser le monde arabo-musulman au repli sur soi et sur sa religion. Mais que ne ferait-on pas, n'est-ce pas, pour placer un article dans une revue parisienne ?)

Cela étant dit et entendu, cette position néo-stalinienne considère les peuples comme des pantins qu'on agite par le truchement de ficelles invisibles, au mieux comme un ensemble d'êtres immatures -des enfants- au discernement chancelant et, par suite, incapables de voir où est leur intérêt véritable. Les néo-staliniens, ce faisant, se retrouvent sur les positions mêmes des affidés des régimes sanguinaires et mafieux qui ont empêché les peuples arabes de concrétiser leurs aspirations à la liberté et à la dignité. En triste compagnie. Pourtant, la réalité est aveuglante : aujourd'hui, le niveau culturel général des peuples est plus élevé qu'il y a cinquante ans. Et les peuples arabes ne font pas exception : les progrès de l'alphabétisation, celle des femmes en premier lieu, ont été souvent relevées. Ajouter à cela que ces peuples ne vivent pas derrière des murailles étanches, qu'ils sont, au contraire gavés d'images, qu'ils voient comment on vit ailleurs, qu'ils ont ainsi des critères de comparaison, toutes choses qui rendent leur vécu insupportable.

Il n'est pas question, par ailleurs, de passer sous silence l'inquiétude légitime des amis sincères du peuple palestinien pour qui un affaiblissement de la Syrie signifierait un affaiblissement consécutif du Hezbollah. Mais croire que la force du Hezbollah, c'est l'armement, ce serait se tromper lourdement : la force du Hezbollah lui vient d'abord et essentiellement de la foi en la victoire de ses combattants et de leur lien étroit avec le peuple chiite libanais.

Voici pour finir quelques lignes de force qui travaillent le théâtre des événements et qu'il faut garder présentes à l'esprit :

La montée au créneau des Saoudiens et des Qataris les exposera tôt ou tard -les Al Saoud plus que les Al Khalifa- à l'inévitable effet boomerang qui leur reviendra dans les gencives, eux qui sont dans la ligne de mire de leurs propres djihadistes ainsi que de leurs Chiites -qui habitent les zones pétrolifères qui plus est. De même que la Turquie n'est pas à l'abri d'un retour de bâton qui prendrait la forme d'actions de solidarité des Alévis turcs avec leurs cousins 'alaouites syriens.

[Un exemple de ce retour de boomerang est la position française : elle se déclare ennemie résolue de la camarilla alaouite régnante, alors que c'est elle qui, à l'époque de son mandat sur la Syrie (1920-46) avait dépecé ce pays et créé de toutes pièces un État pour la minorité maronite (le Liban), et une enclave alaouite avec pour chef-lieu Lattaquieh. Il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les régler, comme dirait l'autre !]

Après avoir longtemps considéré l'allié turc comme la divine surprise, le trèfle à quatre feuilles ou le mouton à cinq pattes si l'on veut (comprendre par là le MUSULMAN SIONISTE), l'empire yankee et son maître sioniste ont déchanté : l'épisode de l'attaque sauvage contre le bateau d'humanitaires turcs a ouvert grand les yeux de la population turque sur la cruauté de l'État sioniste et son indifférence à tout ce qui n'est pas juif. La Turquie n'est déjà plus un allié sûr. De plus, elle entend se tailler un rôle de poids et de choix dans la région, ce qui la mettra, à terme, en contradiction absolue avec l'État sioniste.

La Russie se prépare à de profonds changements dans sa doctrine militaire ; en particulier, elle va se lancer dans la construction de porte-avions qui lui assureront une présence permanente en Méditerranée, sans les aléas inhérents aux bases en pays étranger. L'importance de Tartous deviendra moindre, à terme. Par ailleurs, la Russie dispose d'une carte maîtresse future : la présence de plus d'un million de Juifs (ou prétendus tels) russes dans l'état sioniste : nul ne peut prévoir, à l'heure qu'il est, comment évoluera cette masse; mais, d'ores et déjà, on peut voir que le Big Brother yankee fait une place  à la Russie dans l'échiquier du Moyen Orient : ce n'est certainement pas par hasard ni par sympathie mais parce qu'il mesure l'influence réelle de son ennemi héréditaire sur le terrain.

Les USA, avec leur production record de gaz et de pétrole de schiste, sont en passe de devenir grands exportateurs d'hydrocarbures. C'est dire, en d'autres termes, que leur dépendance énergétique à l'égard du Moyen-Orient sera moindre mais ils persévéreront dans leur volonté d'imposer leur contrôle à la région pour gêner -et/ou empêcher- les approvisionnements de la Chine.

À ceux qui craignent une future domination des islamistes et qui s'en servent comme prétexte pour délégitimer les révoltes arabes, faisons la seule réponse qui vaille maintenant et pour le futur : les sociétés civiles arabes doivent apprendre par elles-mêmes à se battre contre la régression islamiste, à développer des anticorps. Ceux qui ne comprennent pas cette nécessité n'ont rien d'autre à nous proposer que de nous mettre sous la protection des silovikis. Comme en Algérie. Et nous savons ce que coûte cette protection.

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