braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

mercredi 8 mai 2013

DU BON USAGE DES FEMMES EN POLITIQUE

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Le pouvoir siloviki algérien a consenti un quota inhabituel de femmes -147- à l'assemblée-leurre qu'il vient de coopter. D'aucuns -et d'aucunes- se sont empressés de mettre la chose au crédit de Bouteflika, arguant que le président s'est toujours montré soucieux de l'émancipation des femmes algériennes. La secrétaire d'état américaine, Hilary Clinton, a été la première à dégainer après l'annonce des résultats des « élections législatives » ; elle s'est félicitée de l'accession de ce nombre aussi important de femmes à l'arène politique.

Que Bouteflika fût sensible au sort des femmes algériennes, voilà qui relèverait de la plaisanterie de mauvais aloi. Si cela avait réellement été, qu'est-ce qui aurait empêché un président muni de tous les pouvoirs -sauf un, celui de toucher à la SM- de décréter quelques mesures bien senties en faveur des femmes de son pays ? De déclarer, par exemple, le code de la famille obsolète et de l'amender dans le sens de l'égalité de droits entre hommes et femmes ? Car, dans cette république soi-disant démocratique et populaire, soi-disant régie par une constitution, l'égalité citoyenne proclamée par ladite constitution est grossièrement démentie par un code de la famille fondé sur les prescriptions coraniques, lesquelles consacrent l'infériorité de la femme par rapport à l'homme.

De quelque côté que l'on examine la question de l'égalité des droits, en effet, on se heurte à cette situation de bicéphalisme juridique, de double pouvoir, étatique et religieux. Si, en terre chrétienne, cette situation s'est trouvée également vérifiée, elle le fut -l'est- sous la forme d'un conflit latent -quelque fois ouvert comme en France- entre deux instances : l'État et l'Église. En terre d'islam, il n'y a pas de clergé (exception faite de l'islam chi'ite, minoritaire). On pourrait donc penser que le double pouvoir en terre d'islam n'a pas de réalité propre contrairement à ce qu'il fut en terre chrétienne où l'Église disposait d'une puissance (économique, idéologique, militaire) fantastique, qu'il a fallu aux pouvoirs séculiers des siècles pour amener à merci. Les États en terre d'islam ont face à eux une autre puissance : un livre qui édicte, entre autres, des règles de conduite pour la vie civile. Et la sacralisation de ce verbe ne leur laisse qu'une petite marge de manœuvre, celle justement qu'ils s'échinent à exploiter pour tenter de concilier ce qui ne peut pas l'être.

En terre chrétienne, c'est au nom même de la parole christique -Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu- que la séparation de l'Église et de l'État fut rendue théoriquement possible, à condition de délimiter au préalable ce qui ressortit au sacré, Dieu, et ce qui ressortit au profane, l'État. Pour ce faire, il fallait introduire au sein même de l'individu une séparation entre sa personne « civile » et sa personne « privée ». Il fut dès lors possible de trouver un équilibre qui permît de gérer la contradiction de manière civilisée, Dieu et le sacré relevant de la sphère privée, c'est-à-dire des croyances intimes ; le civil, c'est-à-dire la relation aux autres, relevant de l'État, c'est-à-dire du droit positif. Remarquons que le droit positif moderne n'en finit pas de métaboliser l'énorme somme juridique produite au long des siècles par l'Église. On ne souligne pas assez cet aspect du processus de sécularisation : l'assimilation -au sens de rendre compatible- historique du droit canon produit par l'Église.

On voit immédiatement où se situe la différence avec l'islam et le judaïsme qui sont des religions fondées sur un livre prescripteur : le christianisme, par sa rupture avec le judaïsme, rompait de facto avec le concept de Livre sacré. (La notion oxymorique de judéo-christianisme n'existe que dans les approximations d'un penseur... approximatif comme Nietzsche, ou bien chez les adeptes du soi-disant choc des civilisations, par quoi ils veulent fabriquer de toutes pièces un ennemi, en l'occurrence l'Islam.) Il en est résulté que, l'architecture juridique produite par l'Église ne pouvant exciper d'aucun titre de sacralité, il était plus facile (tout étant relatif) de la démonter. Au lieu de quoi l'islam et le judaïsme, empêtrés dans les rets du Coran et de la Chari'a pour le premier, de la Torah et du Talmud pour le second, n'en ont pas fini avec les archaïsmes, aussi insupportables qu'injustifiables dans la vie moderne où l'aspiration à la liberté et à l'égalité est la norme. (Une écrivaine française de confession juive s'indignait récemment de ce que la femme juive ne peut encore aujourd'hui obtenir le divorce que si son mari lui accorde le Guett, l'accord qui la délie, et de ce que cela donne lieu à un chantage souvent ignoble où l'argent ne compte pas pour peu).

Alors ? Alors, gageons que fort de ce bataillon d'amazones à ses côtés, le Président Bouteflika entreprendra une audacieuse politique d'égalité des sexes, notamment par :
- l'interdiction de la polygamie. Par souci d'équité et d'équilibre du foyer, le Président prendra cette mesure radicale en sa qualité de représentant de la Nation et garant de son équilibre. Il s'appuiera, pour ce faire, sur une lecture littérale du célèbre verset -autorisant les croyants à prendre une, deux, trois, quatre épouses, mais à la condition d'être justes envers elles-, et en particulier sur sa chute : « Mais si vous craignez d'être injustes, alors une seule. »
- L'égalité devant l'héritage. Puisque la Chari'a dispose que l'héritier mâle recevra le double de la part de l'héritière de sexe féminin, les amazones, justement indignées, présenteront un projet de loi en vertu duquel la part de l'héritier mâle sera surtaxée du double de la valeur de la taxe qui frappera l'héritière de sexe féminin, surtaxe qui ne saurait être inférieure à la valeur de cette dernière part.
- Afin de mettre un terme aux drames qui accompagnent les répudiations unilatérales, celles-ci seront interdites ; une procédure de divorce par consentement mutuel devant un magistrat sera établi en lieu et place de ces pratiques d'un autre âge. Ce seront, évidemment, les 147 femmes cooptées qui en prendront, là aussi, l'initiative, et ce par le dépôt d'une proposition de loi en ce sens. Elles ne s'en tiendront pas là et proposeront que soit durement réprimée par la loi l'inqualifiable violence ordinaire faite aux femmes en tant que femmes. Oui. De grands changements sont à attendre !

Ainsi iraient les choses au sein d'une législature véritable dans un pays civilisé. Au lieu de quoi, craignons que les 147 cooptées, d'une voix unanime, nous assènent : « Laqad a'ta el islam el marea haqqaha ! » (L'islam a donné à la femme ses droits). Circulez ! Y a rien à voir !

La réaction béate d'Hilary Clinton (mais on ne voit bien que ce que l'on veut voir et les femmes saoudiennes sont invisibles) est le révélateur de ce que le pouvoir siloviki escomptait en nommant 147 femmes à la soi-disant assemblée : un effet bœuf sur les opinions occidentales. Très sensibles à la question de l'égalité des sexes, elles fermeraient les yeux sur le reste. Il n'y a qu'à se rappeler comment les silovikis ont assuré la promotion littéraire de l'un des leurs en France, durant les premières années de la guerre des lâches : en l'affublant de deux prénoms féminins. C'était la pâmoison dans les salons de Saint-Germain des Prés. Pensez donc : une femme qui résiste à la barbarie par la plume !

Imprégnons-nous de cette vérité : le pouvoir siloviki n'a et ne peut jamais avoir qu'un rapport instrumental aux hommes et aux femmes de ce pays.

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