Article publié en juin 2013... et plus que jamais d'actualité.
Les
Algériens vivent depuis plus d'un mois avec une présidence de la
République en déshérence. Lorsque l'on sait le poids -exorbitant-
du président de la République dans le prétendu système
institutionnel algérien -en vérité, il n'y pas de système
institutionnel, il n'y a qu'un despotisme primitif camouflé derrière
des oripeaux institutionnels - la situation actuelle est paradoxale à
plus d'un titre.
Les
Algériens se sont-ils aperçus que le pays n'a pas été foudroyé
ni pulvérisé en l'absence de « l'homme providentiel »?
Les Algériens ont-ils compris le sens réel de cet état de faits ?
À savoir qu'ils n'ont aucunement besoin d'un « sauveur »,
qu'ils ne sont pas de grands enfants indisciplinés demandant la
présence d'un père fouettard afin de les sauver d'eux-mêmes. Les
Algériens sont-ils, dès lors, capables de se pénétrer de cette
réalité et d'en mesurer toutes les implications ? L'accès à
leur être politique en tant que seule source de la souveraineté est
à ce prix.
De
manière générale, pourquoi l'absence du chef de ce qu'il faut plus
sûrement appeler le makhzen algérien passe-t-elle inaperçue ?
Il en est du pouvoir comme du système des vases communicants : plus
il y en a à un bout, moins il y en a à l'autre. Plus il y a de
pouvoirs concentrés entre les mains d'un seul homme, moins il y en a
dans les institutions -et c'est bien pour cela qu'elles ne sont que
des simulacres d'institutions. Plus il y en a dans les appareils de
pouvoir et moins il y en a pour la société civile. Ce qui veut dire
que ce système, qui empêche le libre déploiement du fluide du
pouvoir, est thrombosé.
Habitués
depuis 50 ans à vivre sans pouvoirs et sans droits, les Algériens,
retirés sur l'Aventin du mépris, ruminent leur vengeance à l'égard
de la caste militaro-policière qui leur a volé leur vie et l'avenir
de leurs enfants. Et leur vengeance risque d'être terrible car,
durant plus de soixante ans, on leur a seriné que l'on ne peut rien
obtenir d'un pouvoir autrement que par la violence. Il s'agissait
évidemment du pouvoir colonial, sourd, aveugle, lâche,
génétiquement incapable de se placer dans le sens de l'histoire.
Mais les pouvoirs arabes qui ont succédé aux pouvoirs coloniaux
valent-ils mieux que leurs prédécesseurs ? Des penseurs et des
révolutionnaires noirs et arabes avaient proposé, dans les années
70 et dans un cadre conceptuel fanonien, la notion de colonialisme
intérieur pour
caractériser les régimes post-coloniaux -ainsi d'ailleurs que les
USA. On pourra toujours ergoter sur la validité de cette notion mais
l'essentiel de ce qu'elle dit est ici : le mépris dans lequel
ces régimes tiennent leurs peuples qu'ils
privent de tous les droits civiques, politiques et économiques.
Il
n'est que de voir la délectation avec laquelle les vrais maîtres du
makhzen, c'est-à-dire la SM, préparent les prochains jeux de cirque
au cours desquels s'affronteront leurs coolies, qui seront autant de
lièvres et de leurres car la désignation du chef nominal du makhzen
est de la seule compétence des maîtres. La désignation du dey
d'Alger n'était-elle pas déjà de la seule compétence de l'Odjaq
des Janissaires ? Maîtresse d'un jeu politique qu'elle a
perverti à un point rarement vu dans les annales internationales, la
SM, s'amuse à souffler le chaud et le froid, à envoyer des
ballons-sondes, à souffler à ses larbins des médias des noms de
probables futurs deys -Benbitour, Benflis, Hamrouche, Zéroual...-, à
brouiller les pistes pour égarer les Algériens et leur faire croire
que la situation est hautement indécise et gravement dramatique,
dans le même temps où elle réprime par la violence et le complot
tout mouvement citoyen libre sous le fallacieux prétexte qu'il
participe d'une tentative de déstabilisation de l'Algérie
par ses ennemis extérieurs. Antienne mille fois ressassée à
laquelle ne font semblant de croire que les coolies de la SM.
L'alpha
et l'oméga de la philosophie de la SM est -et a de tout temps été-
son opposition à l'émergence d'un État civil de droit, ce qui
passe par le torpillage systématique de toute tentative de bâtir
des institutions pérennes. C'est cela la vérité de 50 ans de vie
politique : l'impossibilité d'édifier un état digne de ce nom
en Algérie parce que la SM ne le veut pas. Et il est, de ce point de
vue, aussi faux que perfide de donner à croire (comme le font les
officiers propagandistes de la SM) que les militaires de la nouvelle
génération pourraient prendre l'initiative de défaire le système
de l'Odjaq : d'abord parce que la SM fait régner la terreur en
priorité sur l'armée ; ensuite parce que l'armée et la SM
sont dans une relation ambivalente dans laquelle la SM garantit le
pouvoir nominal de l'armée et l'armée, le pouvoir réel de la SM.
Ces liens consubstantiels entre les deux appareils -l'ANP n'est pas
une institution, elle est un appareil- sont aujourd'hui raffermis par
leur gestion commune de la Grande Corruption : les
rétro-commissions sur les contrats internationaux, l'accès
discrétionnaire aux devises (un membre de la « famille »
importateur de bière a accès aux devises ; un Algérien lambda
atteint de cancer, lui, ne le peut pas), le monopole des activités
stratégiques et fortement rémunératrices (les technologies
nouvelles, le médicament...), etc.. Hocine Malti ne parle pas de
Coupole mafieuse à la tête de laquelle trône le chef de la SM,
pour rien !
La
seule vraie question qui doit agiter les gens de la Coupole dans la
conjoncture présente est celle de savoir si un retour de balancier
vers le BTS est opportun ou non. Le BTS (clan de l'est symbolisé par
les villes de Batna, Tébessa, Souk-Ahras) a connu une période faste
durant le règne du roi-fainéant, Bendjedid, 13 ans, qui s'est
achevé dans la guerre civile. Une tentative de prolonger la mainmise
de ce clan sur le pouvoir par le truchement de Zéroual a vite avorté
en provoquant une grave crise interne qui a poussé Zéroual à la
démission. La voie était dès lors ouverte devant le clan de
l'ouest tracté par Bouteflika, le NTM (Nédroma, Tlemcen, Msirda),
dont le règne -14 ans- a marqué le tournant mafieux du makhzen.
Voilà très exactement à quoi a mené la malédiction de
l'assassinat de 'Abane Ramdane : le règne de soudards
tribalistes et mafieux qui ont mené le pays à la guerre civile et à
la généralisation de la corruption.
Croyez-vous
que cela ait servi de leçon ? Pas du tout ! Le politologue
de la SM, M.C. Mosbah, vient de se fendre d'une tribune dans la
presse française dans laquelle il appelle de ses vœux le retour au
pouvoir... de Zéroual, oubliant opportunément que c'est la SM qui
avait terrorisé ledit Zéroual et poussé à prendre une prudente
retraite s'il ne voulait pas subir le sort de Boudiaf.
La
presse algérienne a fait état, parallèlement, d'une démarche qui
a toutes les allures de la Moubaya'a (serment d'allégeance)
médiévale et makhzénienne : 150 membres de la « famille
révolutionnaire » ont sollicité une entrevue avec
l'ex-président Zéroual, retiré sous sa tente dans les Aurès, pour
le supplier d'accepter de revenir au pouvoir.
Cent-cinquante
prébendiers qui s'arrogent le droit de décider à la place du
peuple algérien ! Quel mépris pour ce peuple ! On a
souvent parlé de la fameuse hiérarchie du mépris dans l'Algérie
coloniale ; le système du makhzen algérien la reproduit, en effet, scrupuleusement.
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