braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

dimanche 19 janvier 2014

MÉMOIRE EN FRAGMENTS : CHRONIQUES SALADÉENNES (1)



               SOUS LE SIGNE DE STALINGRAD


Février 1943. Le Grand Tournant de la Deuxième guerre mondiale vient d'avoir lieu. La VI° armée allemande commandée par le maréchal Von Paulus -capturé dans une cave- a capitulé. Stalingrad est libérée. Le dix de ce même mois, je faisais mon apparition. Mon père n'était pas là. Mobilisé en 39, démobilisé en 40, remobilisé en 42, il faisait la guerre quelque part, on ne savait où.

Plus tard, il me racontera une histoire qui me marqua de manière indélébile : il est chargé de surveiller des prisonniers allemands. L'un d'eux, un tout jeune homme, lui demande la permission d'aller embrasser ses parents et de les rassurer sur son sort ; ils habitent un village non loin de là. Mon père, dont le tour de garde finissait à 6 heures, demande à l'allemand de lui donner sa parole qu'il serait de retour avant la relève. Le prisonnier la lui donne ; mon père le laisse partir. Un quart d'heure avant l'heure fatidique, l'allemand n'était pas de retour. Mon père se voyait devant le conseil de guerre. Si pour un soldat, il n'était pas indiqué du tout de se trouver face à des galonnés pour qui la vie d'un homme ne compte pas, pour un soldat algérien, encore moins. À six heures moins cinq minutes, le prisonnier arriva en courant comme un dératé. Mon père m'a souvent raconté cette histoire. Il disait que cela aurait pu lui coûter très cher, mais qu'il ne savait pas agir autrement qu'en Arabe pour qui la parole donnée est sacrée.

J'aurai, très souvent, à l'occasion surtout des trahisons qui jalonnèrent l'existence de ma famille, de repenser à cette histoire. J'ai pensé surtout, en vérité, au soldat allemand ; lui qui tenait désormais le sort de son gardien entre ses mains -quel retournement que celui par lequel le vaincu est devenu libre et le vainqueur désormais soumis à la décision de son ex-prisonnier !- et qui a jugé supérieur à tout le respect de la parole donnée. Ce qui donnait raison à mon père. Sur la base de cette histoire, j'ai pu reconstituer grossièrement l'itinéraire militaire de mon père. Lui, à part cette anecdote, ne parlait jamais, au grand jamais, de cette guerre qui avait jeté le petit fellah algérien analphabète qu'il était dans des mondes insoupçonnés.

Quand il rentra en mai 45, le grand massacre qui se déroulait à des centaines de km de là -Sétif, Guelma, Kherrata, dans l'est du pays- donna des idées à certains colons locaux. Mon père ne dut son salut qu'à l'intervention anticipée de la gendarmerie qui vint l'arrêter pour l'incarcérer dans une brigade située à une quinzaine de km de là (Lourmel-El 'Amria), où il se trouva, ainsi, en lieu sûr ! Appartenant à la fois au mouvement réformiste musulman du cheikh Ben Badis et à la Cgt, sympathisant qui plus est du parti communiste, il cumulait les raisons de n'être pas en odeur de sainteté auprès de ceux que l'on nommera les Ultra-colonialistes. Le terme, qui sera abrégé en ultra, avait, sans doute, pour objectif de suggérer qu'il y avait colons et colons, que certains étaient d'honnêtes et paisibles citoyens quand d'autres étaient infréquentables. Un colon n'est-il pas d'abord celui qui s'installe sur les terres d'autrui et se les approprie en camouflant sa rapine sous des oripeaux juridiques ou religieux ? Le terme d'ultra-colonialiste est un pléonasme.

LES BÉNI-AMER

Le village colonial de RIO-SALADO fut créé par un senatus-consulte de 1859 sur une assiette de 3000 ha prélevée sur les terres des Béni-Amer. Les confédérations de tribus arabes Béni-Hillal et Béni-Souleym étaient originaires du Nejd (Arabie saoudite). Particulièrement fougueuses, elles razziaient jusqu'aux confins du Châm (en gros la Syrie actuelle) et de la Mésopotamie (l'Irak actuel). Dernières converties à l'islam, elles participeront au sac de La Mecque par les Qarmates (chi'ites de Bahrein prêchant le communisme intégral). Chassées par la sécheresse et la famine, elles s'étaient établies en Haute-Égypte où les califes fatimides chi'ites les avaient confinées sur la rive orientale du Nil. Leurs vassaux Zirides (dynastie de Berbères sanhajas fondée par Bologhine Ibn Ziri et régnant sur le Maghreb central) ayant abandonné le chi'isme, les Fatimides leur envoyèrent les tribus Béni-Hillal et Béni-Souleym pour les punir. Dans le même temps où ils se débarrassaient d'hôtes encombrants et particulièrement turbulents.

Entrés en Tripolitaine en 1050, les Arabes hillaliens rallièrent l'Ifriqiya (en gros, la Tunisie actuelle) en 1055 pour en découdre avec les Zirides. L'armée sanhaja fut écrasée par les redoutables guerriers hillaliens. Le royaume ziride avait vécu. Reprenant leur marche vers l'ouest (Taghriba), les Béni-Hillal n'atteindront le sud oranais que deux siècles plus tard. Là, ils côtoieront une importante tribu berbère, les 'Abd-El-Wad, qui servait de makhzen (assurer l'ordre et lever l'impôt) aux Almohades dans l'Oranie. Lorsque l'empire almohade implosa, les Abd-El-Wad érigèrent le royaume de Tlemcen avec Yaghmoracen Ibn Ziane à sa tête. Menacé par ses cousins mérinides qui avaient fait appel aux Arabes Maqil (originaires du Yémen) et qui lorgnaient lourdement du côté de Tlemcen, le fondateur du royaume zianide fit appel aux Béni-Amer qui deviendront son makhzen. La fortune de la tribu était, dès lors, faite.


 Les Béni-Amer s'installèrent graduellement dans la plaine qui s'étend de Tlemcen à Oran. Petit à petit, les intrépides et belliqueux guerriers vont se transformer en riches agriculteurs sédentaires. Léon l'Africain, au 15° siècle, disait d'eux : « Ce sont des hommes d'une grande bravoure et très riches. Ils sont dans les 6000 beaux cavaliers, bien équipés. » Les Espagnols les tiennent pour « nobles, seigneurs des Berbères et fiers », et Daumas, le consul de France auprès de l'émir Abdelkader, écrivait en 1839 : « Les Béni-Amer, possesseurs d'un pays immense et coupé de vallées fertiles se livrent beaucoup à l'agriculture et sont très riches en grains et troupeaux de toute espèce ».

Dès leur occupation du pays, les Ottomans engagèrent les hostilités contre les Béni-Amer : ils les chassèrent de la grasse plaine de la Mlta (d'Oran au Tessala) et y installèrent deux groupes faits de bric et de broc, c'est à dire d'éléments détribalisés nommés Douaïrs et Zmalas. Plus grave : les Ottomans prétendirent faire des Béni-Amer, en les scindant en deux entités, des tribus ra'ïas (soumises à l'impôt). La haine inexpiable que vouèrent désormais les Béni-Amer aux Ottomans justifiera l'alliance avec les Espagnols. Un des deux frères Barberousse, les maîtres de la Régence d'Alger, Aroudj Boukefoussa -le manchot- fut ainsi tué lors d'un affrontement avec les Espagnols et les Arabes coalisés, près du Rio-Salado. Durant toute la durée de l'occupation ottomane, les Béni-Amer ne cessèrent de guerroyer et de défendre leurs terres.

RIO-SALADO

Situé sur la route reliant Oran à Tlemcen -la future Nationale 2-, à 60 km de la première et à 80 km de la seconde, devenu rapidement commune de plein exercice, le village était promis à un bel essor. En effet, et en moins d'un siècle, Rio-Salado acquerra ses lettres de noblesse.

Fleuron de la colonisation, Rio-Salado brillait de mille feux à l'occasion de sa kermesse de Pâques et de sa fête des Vendanges durant lesquelles officiaient des vedettes du moment tels Xavier Cugat, Luis Mariano, André Reweliotty (chef du jazz-band qui accompagnait Sydney Bechet), Aimé Barelli et d'autres encore. Ce n'était assurément pas peu. L'autre titre de gloire du village était sa mention dans les livres de géographie des collèges et des lycées de France et de Navarre en tant que première commune viticole de France (distinction que lui disputait, toutefois, son voisin, Hammam-Bouhadjar). Le territoire de la commune était, en effet, une mer de vignoble ; la vigne régnait sans partage et servait, pour l'essentiel, à produire des vins à forte teneur alcoolique destinés au coupage des « piquettes » métropolitaines. La vigne payait bien et les fortunes des grands viticulteurs se constituèrent très vite. Le village de Rio-Salado possédait également cette particularité que la balance démographique penchait du côté du peuplement européen. Le senatus consulte de fondation prévoyait d'installer là 50 feux. En 1954, la population de la commune comptera 12 000 habitants, y compris les deux douars, Tounit et M'saada.



LE DOUAR M'SAADA (MESSADA)


Nous habitions alors le douar M'saada, -orthographié officiellement Messada- situé à peu près à égale distance des trois villages coloniaux, Rio-Salado, Turgot et Er-Rahel.
Le douar M'saada était distant de cinq km de son chef-lieu de commune, Rio-Salado. Il était divisé en deux parties par l'Oued El Maleh, la rivière salée, le Flumen Salsum des Romains : M'saada Fouaga, M'saada du haut, sur la rive droite du cours d'eau et M'saada Thata, M'saada du bas, sur la rive gauche.

Les Ouled-Sidi-El-Messaoud et les Oulad Bouameur, qui s'étaient regroupés dans le douar qui portera le nom des premiers, M'saada, étaient des fractions des Béni-Amer. Après avoir combattu les Ottomans -qui voulaient faire d'eux une tribu « ra'ïa », soumise à l'impôt- les Béni-Amer suivirent l'émir Abdelkader dans sa lutte contre les Français, y compris lors de sa retraite vers le Maroc où il pensait pouvoir rallier le roi à sa cause. Certaines fractions se désolidarisèrent, alors, de lui et ne lui suivirent pas. Celles qui lui emboîtèrent le pas au Maroc vécurent une tragédie : pourchassés par l'armée française et attaqués par les troupes marocaines, les Béni-Amer perdirent le contact avec le gros de l'armée de l'émir et se replièrent sur une montagne ; encerclés par l'armée marocaine, toutes les voies de retraite leur étant coupées, les Béni-Amer refusèrent de se rendre et de livrer leurs femmes et leurs enfants à ceux qui venaient de perpétrer contre eux une trahison aux allures d'apostasie ; alors, ils passèrent au fil du sabre leur progéniture et leurs femmes et se battirent ensuite jusqu'au bout. Après la reddition de l'émir, les rescapés de cette expédition négocièrent avec les Français leur retour au pays où ils découvrirent qu'ils avaient été expropriés en vertu d'un séquestre. 
Durant mon enfance et bien après, j'entendrai toujours les M'saada parler de sikiss -déformation du mot séquestre.


Les M'saada faisaient vraisemblablement partie des fractions Béni-Amer qui avaient suivi l'émir au Maroc car comment expliquer autrement leur exécration du royaume chérifien ? Spoliés plusieurs fois de leurs terres au gré des arrivages de migrants européens, surtout espagnols, les M'saada finirent par s'établir dans cette zone sablonneuse et inhospitalière, entre montagne et oued aux eaux saumâtres et aux débordements ravageurs.

(A suivre)

2 commentaires:

  1. السلام عليكم -من هو المجاهد الله يرحمو الملازم الاول عيساوي مسعود اللدي هو من بلدية المساعدة و لم يتكلم عنه التاريخ اطلب من سيادتكم شيخنا الفاضل السيد مسعود بن يوسف شرح مفصل عن هدا البطل اللدي هو من بلدتكم المساعدة داءرة المالح و شكرا ارجوا منكم الرد سيدي و شكرا mon èmail- khaldi mohamed119@gmail.com 0771317310

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  2. السلام عليكم -من هو المجاهد الله يرحمو الملازم الاول عيساوي مسعود اللدي هو من بلدية المساعدة و لم يتكلم عنه التاريخ اطلب من سيادتكم شيخنا الفاضل السيد مسعود بن يوسف شرح مفصل عن هدا البطل اللدي هو من بلدتكم المساعدة داءرة المالح و شكرا ارجوا منكم الرد سيدي و شكرا mon èmail- khaldi mohamed119@gmail.com 0771317310

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