Un article de Bernard Lugan, spécialiste de l'Afrique, sur la situation en Algérie.
http://bernardlugan.blogspot.fr/2015/06/francois-hollande-en-algerie-entre.html
Lundi 15 juin, durant quelques heures, François Hollande sera en Algérie, pays en état de pré-faillite, "dirigé" par un président moribond et gouverné par l' "alliance des baïonnettes et des coffres-forts"[1].
L'Algérie
est en effet au bord du précipice économique, politique, social et
moral. Elle est dévastée par des avalanches successives de
scandales comme ceux des détournements de fonds du programme de
l'autoroute trans-algérienne (5 milliards de dollars de dessous de
table pour un chantier de 17 milliards...), de la Sonatrach ou
encore de la banque Khalifa; or, il ne s'agit là que des plus
médiatisés.
L’équilibre
politique algérien repose sur un modus vivendi entre
plusieurs clans régionaux et politiques qui se partagent les fruits
du pouvoir au sein des deux piliers de l’Etat qui sont l’ANP
(Armée nationale populaire) et la DRS (Département du
renseignement et de la sécurité). Quant à l'ordre social
national, il résulte d'un singulier consensus :
-
à l'intérieur, les dirigeants qui vivent de la corruption et
des trafics en tous genres achètent le silence d'une population qui
n'ignore rien de leurs agissements, par de multiples subventions,
-
à l'extérieur, ils entretiennent des mercenaires, journalistes et
hommes politiques stipendiés, qui font fonctionner d'efficaces
réseaux de communication permettant de donner une image rassurante
du pays.
Or,
ce système qui fonctionnait grâce à la rente pétrogazière est
aujourd'hui bloqué par l'effondrement des cours du pétrole. En un
an, le prix du Sahara blend algérien est ainsi
passé de 110 dollars le baril à moins de 60; or, selon le
FMI ( mai 2015), dans l'état actuel de l'économie de l'Algérie,
le prix d'équilibre budgétaire de son pétrole devrait être de
111 dollars le baril.
Résultat:
au premier trimestre 2015, les recettes cumulées du budget de
l'Etat ont baissé de 13% par rapport à la même période de
2014; quant aux recettes de la fiscalité pétrolière, leur recul
fut de 28%. Dans ces conditions, les 200 milliards de dollars de
réserves de change dont disposait l'Algérie avant la chute des
cours du pétrole fondent comme neige au soleil et le Fonds de
régulation des recettes (FRR) alimenté par les ventes des
hydrocarbures et dans lequel l'Etat puise pour tenter de prolonger
la paix sociale n'est plus alimenté.
La
situation est donc gravissime[2]. D'autant plus que les parts de
marché de la Sonatrach en Europe vont
baisser en raison de la concurrence de Gazprom qui
fournit le gaz russe entre 10 à 15% moins cher que celui produit
par l'Algérie. Sans compter que depuis 2014, devenu autonome grâce
à ses gisements non conventionnels, le client américain qui
représentait entre 30 et 35% des recettes de la Sonatrach a
disparu...
Autre
phénomène angoissant pour les autorités algériennes, le prix du
gaz naturel liquéfié lié au prix du pétrole et des produits
raffinés va de plus en plus être aligné sur le prix du gaz
naturel américain, ce qui, selon les experts devrait mettre le GNL
algérien entre 30 et 40% de ses prix antérieurs. L'Algérie est
donc bien au bord du précipice.
Dans
ces conditions, face au double phénomène de baisse de la
production et de baisse des cours, l'Etat-providence algérien est
condamné à prendre des mesures impopulaires: suspension des
recrutements de fonctionnaires, abandon de projets sociaux
indispensables, de projets transport comme de nouvelles lignes de
tramway ou la réfection de voies ferrées. Il est également
condamné à rétablir les licences d'importation afin de
limiter les achats à l'étranger, ce qui va encore amplifier les
trafics. Le coût des produits importés n'est en effet plus
supportable; d'autant que, même les productions traditionnelles
(dattes, oranges, semoule pour le couscous) étant insuffisantes,
leur volume d'importation est toujours en augmentation. Pour ce qui
est des seuls biens de consommation, la facture est ainsi
passée de 10 milliards de dollars en 2000 à une prévision de plus
de 65 milliards de dollars pour 2015. Quant aux subventions et aux
transferts sociaux, ils atteignent 70 milliards de dollars par an,
soit environ 30% du PIB.
L'Algérie
va donc devoir procéder à des choix économiquement vitaux mais
politiquement explosifs. Le matelas de 80 milliards de dollars de
son fonds de régulation (FFR) et ses réserves de change qui
étaient tombées à un peu plus de 180 milliards de dollars au mois
de janvier 2015, ne lui permettront en effet de faire face que
durant deux années puisque les dépenses inscrites au budget 2015
sont de 100 milliards de dollars...
L'Algérie
est donc dans la nasse car, elle qui ne produit rien est pourtant
condamnée à continuer d'importer afin de nourrir, soigner et
habiller sa population. Comme dans les années 1980, l'explosion
sociale semble donc inévitable. Avec en toile de fond les
incertitudes liées à la succession du président Bouteflika.
C'est
donc dans un pays en faillite dans lequel les islamistes sont en
embuscade et dont l'équilibre est vital pour notre sécurité, que
se rend François Hollande, porteur d'un singulier message rédigé
par des associations dont la représentativité prêterait à
sourire si elles ne constituaient pas le noyau dur de l'actuel
régime français. Pour l'Association des anciens appelés en
Algérie et leurs amis contre la guerre (4ACG), pour
l'Association nationale des pieds-noirs progressistes et leurs
amis (ANPNPA) et pour l'Association des réfractaires
non violents (ARNV) " le moment est venu pour la
France de reconnaître, du plus haut niveau politique (...) les
crimes et les horreurs commis pendant les 132 ans que dura la
colonisation de l'Algérie".
Au
mois de décembre 2012, lors de son précédent voyage à Alger,
François Hollande était déjà allé à Canossa mais, comme les
Bourgeois de Calais, il avait tout de même gardé sa chemise. La
conservera-t-il aujourd'hui alors que, candidat aux prochaines
élections présidentielles, il est prêt à tout afin de tenter de
regagner les précieux suffrages des électeurs franco-algériens
qui s'étaient détournés de lui avec le « mariage pour
tous »?
NB
: Les rentiers de l'indépendance qui forment le noyau dur du régime
prélèvent, à travers le ministère des anciens combattants, 6% du
budget de l'Etat algérien, soit plus que ceux des ministères de
l'Agriculture (5%) et de la Justice (2%)...
Bernard
Lugan
14/06/2015
[1] L'expression
est d'Omar Benderra (Algeria-Watch, décembre 2014). En
ligne.
[2] Pour
plus de détails, on se reportera au dossier contenu dans le numéro
du mois de mars 2015 de l'Afrique réelle que l'on peut
se procurer en s'abonnant à la revue.
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