La
vallée du Mzab, en Algérie, est à feu et à sang. Plus de 25
morts. L'armée s'y est déployée. Les médias algériens y vont de
leurs analyses, outrancières souvent, racistes parfois, hélas. De
quoi s'agit-il ? D'affrontements entre des fractions de la
population locale qui ont vite pris une coloration religieuse
-Ibadites contre Malékites- et ethnique -Berbères mozabites contre
Arabes Ch'anba.
On
pourra épiloguer longuement sur la notion d'ethnie -quelle est sa
valeur scientifique, au juste ?-, ainsi que sur l'abîme qui
sépare les données objectives, les faits, des représentations que
les gens se font d'eux-mêmes, de leur identité. Il ne sert à rien
de dire à tel groupe qu'il est berbère et non arabe si lui se sent,
se vit comme arabe. L'inverse est également vrai. Et, au fond, quel
intérêt -autre que strictement scientifique, documentaire-,
pourrait avoir cette question ? Le seul intérêt immédiat,
bien réel celui-là, est celui lié à des questions de stratégie.
Yves Lacoste avait prononcé une sentence célèbre : "La
géographie, ça sert d'abord à faire la guerre". Pas que la
géographie certes, car en tant que productions de l'esprit humain et
participant d'un ordre du monde, les sciences, quelles qu'elles
soient, ne sont pas neutres socialement et politiquement parlant.
Quand
l'émir 'Abdelkader reconstitua l'aghalik des Bni-'Ameur -tribu
d'origine hilalienne établie dans le triangle
Oran-Sidi-Bel'abbès-Tlemcen et l'un des fers de lance de la
résistance à l'invasion française-, les experts militaires
français notèrent que dans l'aghalik ainsi unifié, il y avait "deux tribus berbères assimilées" (sic). Dans le camp
algérien, il n'y avait nulle différence entre les Ouled Khalfa ou
les Chorfa Gtarnia -les deux "assimilées"- et les
autres, tout le monde se percevant musulman et arabe. Pour
l'envahisseur, si, dans la mesure où cela pourrait toujours servir
à disloquer le redoutable aghalik (que les Ottomans s'étaient déjà
échinés à diviser).
Le
02 novembre 1954, dans les Aurès -à Arris, précisément-,
l'ethnologue et espion du BDL (bureau de liaison), Jean Servier
réunit les chefs de la grande tribu des Ouled 'Abdi et les informa
que ceux qui avaient fait parler la poudre dans la nuit étaient des
Touabas (tribu de Mostfa Benboulaïd). Servier qui était au fait de la
haine séculaire que se vouaient l'une et l'autre tribu, obtint sur
le champ le ralliement des Ouled 'Abdi avec lesquels il forma la
première harka de la guerre. Le mot et la méthode étaient
démarqués des pratiques de Lyautey au Maroc.
Mais
au lieu de rappeler ces faits, les commentateurs -à la notable
exception de 'A. Hadj-Nacer dont l'analyse est très percutante- font
généralement dans l'approximation -tel ce professeur dune
université algérienne qui qualifie l'Ibadhisme de "branche
du Chi'isme" (sic), c'est dire où en est l'université en
Algérie-, quand ce n'est pas dans le racisme pur et simple -telle
cette cette interminable contribution dans un quotidien francophone,
honteuse et abjecte diatribe contre les "Arabes pillards et
destructeurs" Et tout ce monde-là crie au loup (la main de
l'étranger qui agit sous forme de révolutions colorées) en faisant justement le jeu du loup !
Pour
mémoire : l'Ibadhisme est né de l'enseignement de 'Aïcha et
de 'Abdallah Ibn Ibadh. L'Ibadhisme est rigoriste et ce n'est par
hasard qu'il a donné une branche takfiriste en la personne des
Azraqites (dont l'un d'eux assassinera le calife 'Ali). 'Aïcha était
l'ennemi de 'Ali Ibn Abi Taleb qu'elle "affronta" même
à la bataille dite du Chameau. C'est la question du pouvoir -donc la
question politique- qui a été à l'origine de la discorde et de la
naissance des différentes tendances, Chi'a, Sunna, Ibadhia,
Khawaridj… et non des divergences sur le dogme (pour autant que le
dogme soit séparable de la politique mais cela il n'y a que Jésus
de Nazareth qui l'a énoncé clairement : "Mon royaume
n'est pas de ce monde").
Rappelons
également que c'est le da'i 'Obeïdallah el Mahdi, chef spirituel
des Chi'ites Fatimides, qui a pris Tihert, massacré les Ibadhites et
mis fin au royaume rostémide qu'ils avaient édifié en Algérie.
Les survivants finiront par se poser justement dans la vallée du
Mzab. C'est dire que Chi'a et Ibadhia sont dans le rapport le plus
conflictuel qui soit.
Toutes ces choses sont bien connues mais apparemment pas par ce professeur (d'université ! Hélas).
D'autre
part, il y a longtemps -au moins depuis la guerre d'indépendance
quand l'armée française, craignant le trafic d'armes, a fixé de
force les nomades ch'anba dans la vallée du Mzab- que ce mouvement
de sédentarisation s'est amplifié. Le sociologue Nadir Ma'rouf
avait produit des analyses pénétrantes -les meilleures,
certainement- des espaces oasiens. Il suffisait de le lire. Quoi
qu'il en soit, l'équilibre que le mozabite avait réussi à
instaurer dans cet espace si exigu et si fragile a été rompu. C'est
cela la vérité première. Après, apparaîtront les modalités
d'expression de cette vérité de fond, celles qui emprunteront le
langage de la religion ou celui de la race.
Alors,
les gens de la vallée du Mzab croient qu'ils rejouent une geste
héroïque (Sunna contre Khawaridj, Ibadhites contre Chi'ites, Arabes
contre Berbères…), dans le même temps où ils ne sont en réalité
agis que par les intérêts matériels immédiats, ceux de la survie
dans un espace grandement menacé dans ses équilibres vitaux.
Les
affrontements du Mzab viennent rappeler aux Algériens une leçon que
leur avait déjà administrée la guerre des lâches de la décennie
90 : le grand, l'effrayant potentiel de violence qui gît en
eux. La responsabilité du pouvoir d'état algérien est, à cet
égard, écrasante. On ne reconduit pas impunément le mépris
colonial à l'égard de l'indigène en privant les Algériens de
leurs droits politiques (comme au temps du code de l'indigénat) ;
on n'abreuve pas impunément des générations au discours de la
vulgate de l'action directe, style "la glorieuse génération
de novembre" ; on ne célèbre pas impunément
l'ignorance et l'inculture et le mépris de l'intellect (Benbella,
Boukharrouba, Bendjedid ! Boudiaf, 'Ali Kafi, Zéroual… se
sont succédé au poste de Président de la république, donnant à
croire au dernier des Algériens qu'il n'y avait pas besoin "d'être
sorti de Saint-Cyr" pour accéder au Trône)… Lorsque l'on
ne cultive pas la raison politique et l'observance de ses nécessaires
médiations, on ne peut que renforcer les tendances impulsives et
dogmatiques, ruineuses.
Cela
étant, la réalité de la présence du loup est incontestable comme
est évidente la vérité de son projet : pulvériser les
états-nations (pour n'en laisser subsister que deux, les USA et
l'état de la colonie juive de Palestine). Sauf que ce qui est à
craindre le plus, ce n'est pas le loup -les peuples auront sa peau
tôt ou tard-, mais l'incroyable aptitude des potentats arabes à
mener leurs pays au suicide. Saddam Hussein, Gueddafi, Bachar El
Assad… ont fait le malheur de leurs peuples. Quand on s'approprie
un pays ainsi qu'une mazra'a (une hacienda comme dit le politologue
palestinien 'Azmi Bichara), on ne se donne aucune chance de résister
au loup. L'Algérie marche triomphalement sur cette voie. Et dans ces
ces conditions, il ne faut pas être grand clerc pour voir venir la
suite des événements : pas un pays arabe n'échappera à
l'éclatement, pas même la tribu maudite des Al Sa'oud ni M6, le roi
qui gère le Maroc comme sa propre cassette. L'empire
judéo-anglo-saxon n'a pas d'amis ; il n'a qu'un intérêt.
Celui de dominer le monde.
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