braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

vendredi 11 avril 2014

LA LONGUE MARCHE VERS LE MAKHZEN



Boukharrouba, encadré par l'âme du Makhzen
( Article écrit en juin 2012... mais qui reste d'actualité.)


Alors que les masses arabes ont entrepris une critique pratique des pouvoirs kleptocrates et sanguinaires qui leur volent leur vie, certains pays arabes continuent d'afficher benoîtement et toute honte bue leur raison sociale familiale : l'intitulé de l'Arabie saoudite énonce clairement que l'État et le pays sont la propriété privée de la famille des Saoud ; le pouvoir d'État algérien, quant à lui, s'autodéfinit comme celui de la « Famille révolutionnaire », proclamant avec arrogance que l'Algérie appartient corps et biens à un groupe fermé uni par des liens qui, s'ils ne sont pas de sang -encore que...- y ressemblent beaucoup.

Le syntagme étrange et passablement oxymorique de "famille révolutionnaire" est né durant les années 90, quand les deux grands clans qui dominent le pays ont décidé d'en découdre. Non pas certes en un conflit ouvert et sur des bases claires mais au contraire en une guerre opaque et par acteurs interposés, ceux dont ils ont encouragé la constitution comme le Front islamique du salut ou qu'ils ont créé de toutes pièces comme les Groupes islamiques armés, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat dont sortira, au moment opportun, Al Qa'ida au Maghreb islamique. Guerre de lâches où le crime n'est jamais revendiqué, jamais jugé dans le respect de l'habeas corpus, où des (prétendues) fetwas de mort sont placardées de façon anonyme sur les murs des villes, où ceux qui avaient le plus de chances de mourir étaient ceux qui refusaient justement de faire allégeance au pouvoir.

Quand le bain de sang fut tel qu'il souleva l'indignation horrifiée de l'humanité civilisée et que le spectre somalien fut en vue, tant les fractures au sein de la société algérienne furent terribles, les deux clans sifflèrent la fin des combats, tombant dans les bras les uns des autres et rappelant qu'ils étaient les membres d'une même famille, indivisible, inaliénable. Mais le prix à payer fut l'élargissement de la famille à de nouveaux membres, les deux cents mille miliciens des groupes d'autodéfense.

On l'aura compris, la notion de "famille révolutionnaire" était le condensé d'un triple aveu : le premier est qu'il s'agissait d'un armistice, la guerre sanglante n'ayant rien réglé ni aucunement entamé les forces de l'un et l'autre clan. Le second est qu'un groupement d'intérêts a dû se mettre en place pour dépasser la contradiction entre les deux clans afin qu'ils pérennisent leur domination sur l'État et le pays. Le troisième est qu'il n'hésiteront devant rien si leur suprématie est mise en cause. Mais qui sont les deux clans qui le composent ?

Quand les dirigeants de l'insurrection du 1er novembre 1954 se mirent à l'abri derrière les frontières égyptiennes, puis de celles du Maroc et de la Tunisie, ils ne savaient pas que de cette décision allait découler un bicéphalisme de fait dans les instances dirigeantes de la rébellion. À l'ouest, s'est mis en place un service de renseignements et d'écoute, ancêtre de ce qui allait faire office de sécurité d'État façon KGB et Stasi, la Sécurité Militaire ; à l'est, se formait une véritable armée, bien équipée, bien encadrée.

La SM, formée au départ de lettrés et d'intellectuels soustraits aux maquis de l'ouest du pays durant la guerre d'indépendance, était plutôt ouverte aux idées modernistes. L'armée, composée d'éléments plébéiens issus en majorité d'une région plus traditionaliste, plus en prise sur l'Orient arabe dont elle a souvent prolongé les grandes idées, particulièrement celles du fondamentalisme religieux, apparaît plus perméable à un nationalisme teinté de religiosité plus ou moins rétrograde.

Ainsi naquirent, fruits vénéneux de la guerre, les deux instances qui s'affirmèrent très tôt comme les futurs vrais maîtres du pays : l'armée des frontières et le service de renseignements et des liaisons. La direction politique de la rébellion, le gouvernement provisoire, n'a jamais été, quant à elle, qu'une coquille vide destinée à la consommation extérieure.

La rivalité entre les deux instances, qu'on aurait pu croire anecdotique et transitoire, s'est, au contraire, consolidée et solidifiée en des postures idéologiques antagoniques. Dès les premières années de l'indépendance du pays, en effet, les deux maîtres recrutèrent à tour de bras, chacun dans son vivier géographique, les services de renseignements à l'ouest et au centre, l'armée à l'est. Dès lors, la nature réelle de ces deux institutions s'obscurcissait et elles se mirent à apparaître sous les traits de clans à caractère régionaliste. Le conflit latent entre elles pouvait apparaître comme un affrontement entre deux régions, alors qu'il oppose, en réalité, deux appareils de pouvoir.

La SM jouera de ce leurre après l'arrivée de Bendjedid au pouvoir : elle popularisera par la rumeur le mot d'ordre de « BTS » (Batna, Tébessa, Souk-Ahras) pour brocarder le pouvoir chadliste accusé de s'appuyer sur un clan régional aussi étroit que le Bec de canard. BTS étant les initiales de « brevet de technicien supérieur », c'était qualifier par antiphrase la camarilla introuvable groupée autour d'un président « analphabète bilingue », comme disaient les simples gens.

Que le pouvoir de Bendjedid fût népotique et régionaliste, personne ne le contestera. Mais que dire de celui de Bouteflika ! Devant la scandaleuse fermeture de ce clan sur un bassin de recrutement de quelques centaines d'hectares, la SM sera contrainte de lui inventer un sobriquet qui lui va comme un gant : « NTM » (Nédroma, Tlemcen, Msirda) qui est le nom d'un groupe de rap célèbre et qui, développé, donne « Nique ta mère » (sauf votre respect).

Ainsi donc, un pays de 36 millions d'habitants, disposant de richesses naturelles considérables, de richesses humaines encore plus grandes, un pays qui a tous les atouts de base pour devenir une puissance émergente (que l'on voudrait non dominatrice, juste, accueillante et fraternelle à ses frères africains et maghrébins), ce pays est encore dans les serres de rapaces dominateurs et corrompus qui le gèrent à la manière d'une propriété privée héritée de leurs parents.

Aucun changement réel, aucun changement vrai ne pourra advenir tant que perdurera ce système de domination clanico-mafieux. C'est à cette aune seule qu'il convient d'appréhender les enjeux des élections à venir pour ne pas se laisser enfumer par les controverses idéologiques frelatées et perdre de vue l'essentiel.

6 commentaires:

  1. Salut Messaoud,
    Je suis de ton avis mais si l'on doit appréhender les choses sous cette forme, je vois un troisième clan. Le clan Z. Ses membres sont influents à la fois dans le BTS (l'armée) et dans le NTM (la dia). Ouyahia, sellal, benyounes, lamamra, sidhom said ont tous tiré un énorme avantage de la chute de zerhouni, temmar, khelil et peut être medelci. C'est quand même étrange de voir tant de kabyles dépenser tant d'énergie pour le 4ème mandant.
    D'autre part, et c'est le plus important, les nouveaux riches, ceux qui dominent les organisations patronales sont pour la plus part des zouaouas. Est-ce un clan qui a su instrumentalisé les deux autres dans le but des les affaiblir (adrob qolla bqolla, comme tu disais) et tirer les marrons du feu ?

    RépondreSupprimer
  2. Salut à toi,

    Je me suis souvent interrogé sur la réalité d'un clan Z. Pour l'heure, je crois qu'on peut seulement affirmer :
    1) que les Z sont historiquement « ouestrogyres » -traditionnellement tournés vers l'ouest où les vagues de migration intérieure (vers Alger, Oran, Sidi-Belabbès, Saïda, Tiaret...) n'ont jamais cessé.
    2) Que les Z ont traditionnellement tourné le dos à l'est et, surtout, à leurs cousins ennemis, les Chaouias, perçus non comme berbères mais comme Arabes orientaux (dans ses études sur l'Aurès, Fanny Colonna montrait que les autochtones se percevaient farouchement comme Arabes, mais originaires de la Seguia el Hamra ! La vérité étant que les Hilaliens s'y sont, là comme ailleurs, mélangés aux berbères zénètes). Que tant de Z s'investissent dans le 4° mandat corrobore et valide cette alliance viscérale avec l'ouest, contre le BTS. La plaisanterie de Sellal est à placer dans ce cadre.
    3) Boukharrouba a établi un équilibre durable entre l'armée (massivement de l'est) et la SM massivement de l'ouest et du pays Z (y compris des Z vivant au Maroc, comme les Khalef). L'émergence d'un patronat Z (avec sa figure de proue, IR) peut signifier que les Z disposent désormais d'un appui significatif dans l'armée (le Mokh étant, c'est connu, l'un d'eux). Reste à savoir si ces patrons sont de véritables capitaines d'industrie ou bien s'ils sont des « oligarques » à la russe, des blanchisseuses d'argent pour galonnés.

    RépondreSupprimer
  3. Il y a en Algérie trois souches bien distinctes, qu'on retrouve à l'état pur ou mélangées.

    L'Arabe hilalien

    C'est le 'roubi. Il peuple les plaines côtières et les vastes étendues des Hauts-Plateaux et du Sahara. Qu'ont en commun le stayfi, le 'annabi et le wahrani? Ils sont tous hilaliens. Ils sont tous trois de bons vivants, je-m'en-foutistes, noceurs, aimant la bonne chère et les belles femmes. Le hilalien n'est pas intéressé par le pouvoir, même s'il a un tempérament de bagarreur et de fonceur, mais il aime la gloire et les honneurs, le faste aussi. Il est vénal. Il peut être un bon soldat. Il aime les chevaux et la fantasia. Il a le verbe facile et il est poète à ses heures. (Ahmed Bencherif, Chérif Rahmani, Saadani le drabki, Ben Bella?, Chadli Bendjedid?).

    Le berbère

    Refoulé par les conquérants successifs, il occupe les montagnes. Toujours prêt à se défendre, il a un œil sur son ennemi de longue date, le nomade hilalien, et un autre sur son frère ou son cousin, dont il craint les coups bas. Le berbère est bosseur, économe, discipliné, endurant. Il ne se permet aucune fantaisie. Il est sentimental, cependant, et peut devenir fanatique, lorsqu'il embrasse une cause. Le berbère aime le pouvoir et le recherche. Il peut être un bon second aussi, fidèle et soumis. Il respecte l'ordre et l'autorité. Se sentant toujours menacé, il prend les devants. Lorsqu'il occupe un poste important, il colonise systématiquement l'institution en plaçant les gens de son village ou sa tribu aux postes clés. Il est en général taciturne et susceptible. (Boumediene, Kasdi Merbah, Nezzar, Ouyahia, Sidi Said)

    L'andalou (arabo-berbère issu de la première vague qui a conquis l'Espagne)

    Il est snob et hautain et considère le hilalien et le berbère comme des êtres vils et répugnants tous justes bons à lui servir de domestiques. Il est le dépositaire du raffinement de Cordoue et Grenade. Il est un peu efféminé et se distingue de l'Arabe hilalien par sa façon de prononcer le qa et le ta (qu'il prononce tsa). On le trouve là où se trouvait le pouvoir turc, à Alger, Constantine, Tlemcen, mais aussi dans les petites villes de la côte comme Dellys, Cherchell ou Ténés. Il est méthodique et calculateur. Il excelle dans le commerce et l'administration. Il n'aime pas le métier des armes, mais il a un penchant pour la conspiration et l'intrigue. (Bouteflika, Zerhouni, Toufiq - un mélange de berbère et d'andalou).

    RépondreSupprimer
  4. Cher ami,

    Ta typologie est séduisante et moi, en tant que hilalien pur porc (j'assume !) j'y retrouve bien des traits de mes congénères (peut-être pas ceux de M.S. Yahyaoui, hilalien revendiqué et pas joyeux luron...). Les Béni-Hillal ont été les derniers à se convertir à l'islam et ils furent le fer de lance des "communistes" qarmates de Bahrein qui avaient mis à sac La Mecque et emporté la pierre noire de la Kaaba. Je revendique fièrement ce patrimoine révolutionnaire ! Par contre, j'élève une vigoureuse protestation contre la présence à mes côtés de Ahmed ben Mahjoub ben Embarek, alias Benbella -dont l'historien Omar Carlier a établi que ses parents et lui-même étaient originaires du Rif marocain-, et celle de Chadli Bendjedid -qui, lui, ne ressemble à rien !

    Plus sérieusement. Quand le type 2 embrasse une cause, Dieu nous protège, en effet ! Car il se distingue par un trait de caractère que tu as oublié de mentionner, le taghenent, l'entêtement, qui l'empêche de tenir quelque distance vis-à-vis de soi-même, d'être capable d'autocritique. Tu dis qu'il "peut devenir fanatique". Et comment ! 'Amirouche a fait massacrer en une nuit environ mille personnes (femmes, vieillards, enfants y compris) dans la vallée de la Soummam pour punir ces villages d'avoir fourni des harkas au sénateur Ourabah -épisode connu sous le nom de "Nuit rouge de la Soummam".

    Le 3° type ne ressemble-t-il pas à s'y méprendre au Koulougli ? Tu dis toi-même qu'on le trouve là où se trouvait le pouvoir turc, et ses traits de caractère (hautain, méprisant, se prenant pour la race des seigneurs) correspondent exactement à ceux du Koulougli : Messali, Boussouf, Bentobbal, Kiouane..., pas sympas, les mecs ! ( J'ai remarqué que des Koulouglis tlemcéniens se disaient andalous pour masquer leur origine réelle dont le caractère gratifiant s'était usé.)

    Hilalement vôtre, cher ami.

    RépondreSupprimer
  5. Salut Messaoud,
    Je ne sais pas pourquoi B Stora pense que la famille Messali tient son nom de la ville irakienne de Mossoul d'où elle serait originaire et que de ce fait elle est koloughlie. Etant originaire du coin, je remarque que les noms messali, messal, mesli, yesli, messahli, Isli sont assez nombreux et dans cette même région, sur le versant sud de la chaine de montagne fellaoucen, vivent, à ce jour, les restes d'une des plus vieilles tribus berbères : les beni messhel que les f'rançais orthographiaient beni mishel et qu'enfant, je prenais pour des familles d'ascendance européenne.

    Adel
    Je te confirme que Ben Bella était berbère de père et de mère.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Salut ami,

      Les trotzkystes (Jacques Simon et B. Stora) ont relayé cette légende (?) dont l'auteur était Messali lui-même. De son vrai nom MESLI AHMED, il a fait Messali Hadj. Ibn-Khaldoun avait signalé cette propension des Berbères à s'inventer un arbre généalogique prestigieux, remontant jusqu'au prophète parfois. Gageons que si Mesli avait eu plus de culture historique, il aurait argué qu'il descend en droite ligne de Salah Eddine El Ayoubi, le grand Saladin, libérateur de Jérusalem !

      Supprimer