Un ami m'avait envoyé un écrit dans lequel il développait ses réflexions sur la crise algérienne et m'avait demandé ce que j'en pensais. Voici ce que je lui avais répondu :
Très
cher ...
Merci
pour ton message et pour ton exposé.
Je
suis d'accord avec toi sur l'analyse -excellente- que tu fais du
populisme, cette maladie infantile de l'Algérie (que je choisis
d'appeler le plébéio-nationalisme, puérile
glorification du petit peuple, de la plèbe, à quoi on a réduit le
nationalisme véritable, c'est-à-dire la volonté de construire une
nation moderne et pérenne). J'ai été souvent porté à me demander
si cette aberration ne ressortissait pas de l'influence dominante de
la capitale où le poids des couches déracinées, déclassées et
marginalisées a toujours été très important. Deux épisodes à
plus de 50 ans de distance paraissent le montrer : la soi-disant
bataille d'Alger (où tout sens politique semble avoir été submergé
par la volonté de rendre coup pour coup, dans une sorte de western
où les houmistes à la Omar-Gatlatou-er-redjla ont entraîné le
PCA, les libéraux algériens et européens ainsi que toute
l'organisation FLN dans leur fuite en avant) et l'ascension
fulgurante du FIS algérois avec ses dirigeants ignares et
incroyablement jusqu'au-boutistes.
S'agissant
de la construction de la nation, ne penses-tu pas que nous sommes
encore prisonniers de la vision typiquement française qui veut que
la nation s'édifie à partir d'un centre politique ? Ce que
l'on nomme par raccourci le jacobinisme centralisateur ? (Mais
la Convention n'a fait que poursuivre le travail accompli au moins
depuis Louis XI, c'est-à-dire la soumission progressive de la
périphérie plurielle à un centre unique et normatif). Cette vision
a bien fait les affaires de notre pouvoir d'état qui a jusqu'à
présent dissimulé sa véritable nature de despotisme oriental sous
des apparences d'État jacobin. Le concept d'État moderne est
synonyme de redistribution des pouvoirs au sein de la société. Or,
de ce côté, il n'y a rien à attendre de la caste
militaro-compradore qui règne en maître sur notre pays ;
d'autant moins à en attendre que le pouvoir d'État est le lieu de
la réalisation de la rente avec la formidable corruption qu'elle
génère. Il faut, dès lors, avoir l'audace de penser l'édification
de la nation à partir de la base ; ce qui suppose de travailler
à l'affaiblissement du pouvoir despotique.
De
la même manière, je pense que nous avons le devoir de produire une
évaluation plus objective de la colonisation française. Le
mouvement national moderne, à partir de l'émir Khaled, a été le
fait des avant-gardes formées par l'école française ; ce qui
veut dire qu'en même pas un siècle, les Algériens ont commencé à
accéder à une conscience politique moderne, alors que ce processus
a pris des centaines d'années à d'autres peuples. Comme nous
devrions produire une évaluation tout aussi objective des 3 siècles
de domination ottomane à laquelle on fait très rarement référence,
comme si les diktats de Mouloud Kassim -qualifiant cette domination
de « nationale »- avaient toujours cours. Et pourtant, il
y aurait à dire sur cette séquence historique et ses graves
séquelles : confiscation du pouvoir par une junte (les
Janissaires), économie de prédation (piraterie et pression
fiscale), exacerbation des rivalités tribales (tribus ra'iya contre
tribus makhzen), etc..
Je
ne suis pas d'avis de considérer l'ANP comme une institution
étatique (d'ailleurs, il n'y a pas d'institutions au plein sens du
mot, chez nous). L'ANP est encore et toujours un appareil répressif
obéissant à une logique, même pas étatiste, mais clanique et
régionaliste. L'ANP est toujours à l'est comme la SM est toujours à
l'ouest et à la Kabylie : l'héritage des équilibres de
Boukharrouba court toujours. L'épisode tragique du FIS a illustré
avec éclat cette vérité : le FIS a bien passé un accord avec
l'ANP, via Bendjedid (cf les révélations de Taleb Ahmed); mais
la SM, de concert avec les officiers du cadre français tractés par
Larbi Belkheir, a promptement saboté cet accord et mené la
répression dans les deux sens.
Pour réprimer les islamistes, la SM et l'ANP ont utilisé les mêmes méthodes que celles de l'armée française durant la guerre d'indépendance. Combattre la barbarie par les moyens de la barbarie est une aberration que la simple conscience morale ne peut admettre. En outre, du point de vue politique et idéologique, c'est un désastre : l'hypothèque de l'islamisme n'est pas levée pour autant et les blessures terribles de cette guerre ne sont pas près de se refermer. Les islamistes sont partis à l'assaut du pouvoir ; le pouvoir -la SM- a réussi à détourner la violence qui le visait, sur la société, la divisant ainsi davantage. À mon avis, toutes ces choses maléfiques nous reviendront en pleine face dans les années qui viennent.
Voilà, cher ..., quelques considérations que m'inspire ton texte trop riche pour être ramené à ces quelques points ; mais je voulais te répondre sur quelques questions que je trouve essentielles.
Porte-toi bien, cher ami et à bientôt.
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