braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

vendredi 22 février 2013

LA COUPOLE


                                                      


Hocine Malti récidive. Après sa lettre aux enquêteurs du DRS (Département du renseignement et de la sécurité), dénomination officielle de la SM (appellation qui présente l'avantage, soit dit en passant, d'occulter le mot « militaire » et donc d'opérer un pseudo-découplage avec l'armée), Hocine Malti, ancien vice-président de la Sonatrach, s'adresse directement à celui qu'il appelle « Rab Dzayer », le Dieu de l'Algérie, le général Mohamed "Tewfik" Médiène, le chef de la SM.

(http://blogs.mediapart.fr/blog/hocine-malti/170213/algerie-lettre-ouverte-au-general-de-corps-darmee-mohamed-tewfik-mediene-rab-dzayer)

Le prétexte de l'interpellation est toujours la faramineuse corruption qui sévit à la Sonatrach et dont les magistrats italiens sont en train de dévider patiemment l'écheveau en s'attaquant au géant pétrolier national, l'ENI, ainsi qu'à ses filiales, dont la SAIPEM, particulièrement impliquée en Algérie. Mais le véritable objet de la missive est la caractérisation et la personnalisation du système mafieux qui s'est installé au cœur du pouvoir politique algérien depuis des décennies.

Si la lettre de H. Malti n'apporte aucune révélation fracassante concernant le scandale Sonatrach, elle présente un intérêt autrement plus important. C'est bien la première fois qu'un ancien haut cadre de l'État n'utilise pas le pronom personnel indifférencié "houma" (ils) pour désigner les responsables d'un état de choses. H. Malti accuse, en effet, nommément le chef de la SM et le président de la République d'avoir mis le pays en coupe réglée en le livrant à la voracité de leurs deux clans. Il apporte cependant deux précisions de taille :

1) les deux clans sont conjoncturellement rivaux mais structurellement solidaires. Inutile donc d'essayer de les jouer l'un contre l'autre car leur intérêt commun prévaudra toujours en dernière instance. Et leur intérêt suprême commun est que le système perdure. Ils ne sont, en effet, pas stupides au point de scier la branche sur laquelle ils sont installés. D'où l'équilibre complexe qui règle leurs rapports.

2) Le « point culminant de la Coupole », dit H. Malti, est le chef de la SM. (Rappelons que le terme "coupole" désigne l'état major suprême de la mafia.) Le chef de l'État est, en effet, dans une position subalterne par rapport à lui. Si le premier peut défaire le second, la réciproque est impossible tant que durera le syndicat du crime qu'est l'organisation des pouvoirs algériens. Le chef de la SM est donc bien "il capo di tutti capi", le boss des boss, celui sans l'aval duquel aucune "famille" ne peut exister, ni, encore moins, s'adonner à la rapine.

Voilà donc qui est clair, net et courageusement assumé. Reste à mettre les choses en perspective historique pour comprendre pourquoi et comment on en est arrivé là. Prenons le relais de H. Malti (que ce développement n'engage en aucune façon, évidemment) et rappelons à grands traits ce que fut la marche de la SM vers le pouvoir sans partage qui est le sien aujourd'hui.

Créé formellement en 1958 sous l'égide du Ministère de l'armement et des liaisons générales (MALG), le service de renseignements et des liaisons devint, après l'indépendance, la SM. Dirigée par 'Abdallah Khalef -colonel Merbah- jusqu'en 1979, elle échut après deux intérims (Lakehal Ayat et Betchine) au colonel Médiène, en 1990. Comment expliquer une pareille -23 ans- longévité ?

Les années 90 marquèrent la montée en puissance d'un homme, Larbi Belkheir, qui allait jouer un rôle de premier rang. Or, Belkheir et Médiène ont longtemps fait partie du l'état major de Chadli Bendjedid au sein de la 2ème Région militaire (Oran). Le tandem -Belkheir au secrétariat général de la Présidence, Médiène à la tête de la SM- allait vite devenir le maître du pays. En effet, le train fou du FIS était lancé. Fort du pacte qu'il venait de passer avec Bendjedid et une partie de l'armée (pour l'essentiel des officiers supérieurs originaires de l'est du pays), le FIS voyait le pouvoir à portée de main. Mais Belkheir sonnait le rassemblement des anciens officiers du cadre français (hostiles par culture aux islamistes) et Médiène, de son côté, manipulait le FIS par le truchement de son adjoint Smaïn Lamari. Un conclave militaire démit Bendjedid et la terrible répression contre le FIS pouvait démarrer.

L'armée (représentée par les anciens officiers du cadre français), la SM et Larbi Belkheir, telle était la configuration de la troïka qui avait pouvoir de vie et de mort sur le pays. Le bain de sang dans lequel elle a plongé l'Algérie et au cours duquel elle s'est débarrassée de l'opposition islamiste mais également de celle de la gauche démocratique, lui a ouvert une longue plage de tranquillité qu'elle a mise à profit pour s'adonner à un pillage fabuleux. À une chose près : il lui fallait rétrocéder le pouvoir nominal -la vitrine- à une personnalité qu'elle pourrait contrôler. Et qui de plus contrôlable qu'une personne qui a un bœuf sur la langue ? Bouteflika qui fut choisi par Belkheir et Médiène (les anciens de l'AF n'en voulaient semble-t-il pas, si l'on se fie aux déclarations de leurs deux figures de proue, Nezzar et Lamari), en avait un, et bien gras : le détournement des fonds secrets des ambassades durant son interminable magistère aux Affaires étrangères.

Mais auparavant, il aura fallu se débarrasser du président Zéroual qui tentait encore de démettre le chef de la SM. Facile pour Médiène et ses coolies des médias ! Il faut dire que celui que Zéroual envisageait de nommer à la place de Médiène n'était autre que Betchine ! Or ce dernier traînait derrière lui une substantielle batterie de casseroles qui teintaient à chaque affaire louche évoquée ; plus grave encore, Betchine était l'homme dont les sbires avaient violé des centaines d'adolescents et torturé des centaines de militants de gauche durant le complot d'octobre 1988 ! (Alors quand on entend des « universitaires » entonner des couplets à la gloire de Zéroual, soudard inculte et borné protégeant un autre soudard, Betchine, criminel celui-là, il y a de quoi douter de la santé mentale de certains).

La scène politique désertifiée comme jamais auparavant, le clan de l'Est effacé, Larbi Belkheir décédé, Lamari acculé à la démission, Nezzar empêtré dans les procédures judiciaires, ne reste, face à face, que la SM (une SM secouée par les désertions et les révélations de beaucoup des siens, ceux du moins qui ont été capables d'un sursaut moral) et le clan de Bouteflika, formé sur une base grossièrement régionaliste-tribale (Nedroma-Tlemcen-M'sirda, M'sirda oui, un douar des Traras qui fournit un nombre surréaliste de ministres), continuateur du clan d'Oujda et des pratiques du makhzen marocain.  

Tout cela explique pourquoi une interpellation comme celle de Hocine Malti -inimaginable il y a à peine quelques mois- soit devenue possible : jamais auparavant, le pouvoir n'a été aussi isolé, ne reposant plus que sur la caste compradore de laquelle participent la haute hiérarchie militaire et l'appareil de la SM.

À quoi, en effet, se trouve réduite la vie politique en Algérie ? À une guéguerre entre deux clans mafieux -qui se tiennent par la barbichette-, pendant que le peuple, occupé à sa survie, leur tourne le dos avec mépris. Médiène lance-t-il ses limiers sur les traces de Chakib Khelil ? Bouteflika riposte en faisant mine de créer une commission d'enquête sur l'assassinat de Boudiaf. Bouteflika met-il en place un tandem formé de Khelil (la cassette doit être gérée par un fils du bled) et Zerhouni (futur ministre de la Défense qui aura à charge de déboulonner Médiène) ? La réponse de ce dernier est foudroyante : exeunt Khelil et Zerhouni. Et tout est à l'avenant. Mais le bon peuple de ce pays sait très bien que cette lutte-là ne se terminera pas par la disparition de l'un des deux adversaires car conformément à l'adage algérien, chacun mastiquera l'autre mais ne l'avalera pas.

Formé au KGB en 1961, Médiène est aujourd'hui très apprécié par les yankees et les Français : les premiers savent parfaitement que c'est lui qui a mis en place le dispositif narco-djihadiste d'AQMI au Sahel -qui ne les gêne pas outre mesure car il est tourné contre les Français-, lesquels Français ne tarissent paradoxalement pas d'éloges sur les services secrets algériens dont ils savent parfaitement de quoi ils sont capables (le souvenir des attentats du métro parisien de 1995 ne doit pas les quitter).

C'est que la SM s'est inscrite dans le projet néoconservateur américain dit de « guerre contre le terrorisme » : Jeremy Keenan, professeur à London University, auteur de « The dark Sahara, America's war on terror in Africa » n'affirme-t-il pas que Médiène se trouvait dans les bâtiments du Pentagone, le 11 septembre 2001, dans l'aile opposée à celle qui a subi l'impact d'un OVNI ? Keenan dit que Médiène a été sauvé deux fois, le 9/11, en échappant à l'attentat d'abord, ensuite en devenant l'une des clés de Washington dans sa stratégie de remodelage du grand Moyen Orient.

Le roi est nu. Nul ne pourra plus dire qu'il ne savait pas. Quant à ceux, pseudo-laïques et démocrates, qui se sont mis sous la protection de la SM, comment pourront-ils justifier leur attitude désormais ?

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