braniya chiricahua




L'ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour. Dans ce clair-obscur surgissent des monstres.
Antonio Gramsci

vendredi 22 février 2013

LE SOUDARD ET LE SCRIBE ACCROUPI



The servant, film de Joseph Losey

Le quotidien « El Watan » (cf lien ci-dessous) a publié une contribution sous forme de dithyrambe à la mémoire de Mohamed Boukharrouba, alias Houari Boumédiène. Ce texte a été commis par un « universitaire » récidiviste qui nous avait déjà infligé un hommage en cire-pompes à un autre ci-devant président algérien, Liamine Zéroual. Le propos était déjà d'une servilité honteuse ; mais force est de reconnaître que là -dans cet hommage à Houari Boumédiène-, notre « universitaire » a franchi le le mur de l'indécence dans le maniement de la brosse à reluire.

Pourquoi relever ce genre d'écrits, direz-vous, et leur accorder, ainsi, une importance qu'ils n'ont pas ? Au contraire : il est important de démonter cette littérature politique qui fonctionne à la contrefaçon et à la flagornerie et qui contribue à aliéner les Algériens et à les culpabiliser. Quelle est, en effet, la conclusion de cet article, c'est-à-dire sa substantifique moëlle, sa morale  ? « HB était trop grand pour l'Algérie ». Donc, vous le « ghachi » (la masse informe) des Algériens, vous ne méritiez pas d'avoir pour chef cet immense personnage qui était à l'égal des plus grands -nous dit l'auteur de l'article-, les 'Abane, Ataturck, De Gaulle, Eisenhower, etc.

D'un universitaire, on aurait attendu un autre niveau d'analyse ; qu'il nous cite Hegel, par exemple, et son célèbre aphorisme : « Les peuples n'ont que les gouvernements qu'ils méritent ». Autrement dit, nous Algériens avons, au contraire hélas, mérité HB. Et pourquoi donc ? Parce que l'état général de notre pays au sortir d'une guerre terrible, durant laquelle il a tout perdu -ses assises sociologiques et territoriales, ses élites citadines (perte irréparable dont Benmhidi porte une grande part de responsabilité pour avoir déclenché le désastre de la bataille d'Alger)-, ne pouvait ouvrir que sur un pouvoir de type nationaliste plébéien autoritaire, en accord avec l'idéologie fruste du FLN de guerre ainsi qu'avec l'anthropologie patriarcale des peuples arabo-musulmans. Également parce que la culture politique était -est- gravement déficitaire chez nous, obérée qu'elle est par un mal très profond : celui qui dérive en droite ligne d'une vulgate islamique dont l'épine dorsale est le Tawhid (principe d'unicité) qui compromet la vision pluraliste des choses et, surtout, empêche de voir que la réalité des choses est dans leur contradiction. Comment promouvoir une culture du débat contradictoire quand triomphe l'injonction simpliste (et paresseuse) d'avoir à se cramponner à la parole de Dieu (et, partant, à celle du chef) et à ne pas se diviser ? (Wa 'tassimou bi habl allahi jami'an wa la tafarraqou).

Plus prosaïquement, maintenant, il n'est pas interdit d'aimer ou même d'idolâtrer Boukharrouba. À condition toutefois -et ce dans un souci d'honnêteté intellectuelle qu'il est, normalement, superflu de rappeler à un « universitaire »- de dire qui était Boukharrouba et comment il est parvenu au pouvoir suprême. Notre « universitaire » se garde bien d'aller patrouiller dans ces contrées. Et pour cause. Boukharrouba était le parfait soudard (au sens propre) qui n'a, de toute la guerre, pas tiré une seule cartouche ni n'a posé le pied sur le sol de sa patrie martyrisée, qui a attendu, silencieux et sournois comme un vautour que son heure vienne, qui s'est caché chez Rachid Casa (Messaoud Zeggar) à Casablanca justement quand Boussouf voulut lui faire la peau, qui a décampé en Allemagne (chez Mouloud Kassim) quand Benkhedda l'a démis de ses fonctions de chef d'état-major, qui a fait deux coups d'état (en 1962 contre le GPRA et en 1965 contre le paltoquet qui lui avait servi d'âne pour franchir le Rubicon) et qui a trahi à peu près tout le monde quand l'honneur du soldat commande obéissance et fidélité au pouvoir civil légalement constitué. Un soudard sous influence, celle de Bouteflika et de Cherif Belkacem, rompus aux moeurs politiques du makhzen marocain dans lequel le second nommé était bien en cour.

Comparer Boukharrouba à Ataturck, Eisenhower et De Gaulle ? Soit. Alors que Mustapha Kemal n'a jamais fait que prendre la tête de ses armées pour infliger, entre autres, aux Anglais une défaite dont ils se souviendront dans les siècles des siècles, créer un nouvel état moderne sur les ruines du califat et doter cet état d'une constitution moderne et laïque ; alors que Eisenhower n'était que le généralissime commandant suprême des forces alliées en Europe durant la Seconde guerre mondiale; alors que le général De Gaulle n'a rien fait d'autre que participer au premier conflit mondial et anticiper le second en mettant en exergue, dans un livre de stratégie militaire, le rôle capital qu'y joueraient les blindés ; Boukharrouba, quant à lui, luttait vaillamment à Oujda et à Ghardimaou contre des simulacres, ses propres frères, planqués comme lui.

Comparer Boukharrouba à 'Abane ? Soit. Quand 'Abane dévorait des centaines d'ouvrages dans sa prison d'Ensisheim (Alsace), qu'il méditait sur le conflit fratricide entre Aymon de Valera (chef du Sinn Fein, la branche politique du mouvement nationaliste irlandais) et Michael Collins (chef de l'IRA, la branche militaire), et qu'il en tirera cette grande leçon que le politique doit toujours commander au militaire, Boukharrouba était assis sur une natte d'alfa dans un « jamaa » (une école coranique) et il ânonnait des versets incompréhensibles à la suite d'un taleb fruste et ignare.

Quand 'Abane s'entourait de 'Amar Ouzegane -ancien secrétaire général du PCA-, de Ferhat 'Abbas -chef de l'UDMA-, de Benyoucef Benkhedda -SG du MTLD-, des dirigeants 'Oulamas et passait des accords avec les dirigeants du PCA clandestin –Bachir Hadj-Ali et Sadek Hadjerès-, Boukharrouba envoyait F. 'Abbas en résidence surveillée au Sahara (non sans l'avoir spolié de sa pharmacie, la classe !), agissait pareillement avec Benkhedda (et deux pharmacies spoliées, deux !) et faisait emprisonner et torturer B. Hadj-Ali dans une villa où les paras de Massu officiaient il y avait peu. Ce sont là, assurément, de hauts faits de gloire que notre "universitaire" a curieusement oublié de rappeler.

Que Boukharrouba fût un jacobin ? Sans blague ! Pour cela il eût fallu qu'il connaisse la signification du terme. Le véritable jacobin était Ahmed Médeghri (bachelier mathélem en 1954), qui paiera de sa vie sa tentative de construire un État civil moderne en opposition à la volonté de Boukharrouba de doubler toutes les institutions étatiques par l'ANP et la SM. En somme, un état de soudards et de flics.

Boukharrouba n'avait pas de culture politique : d'où auriez-vous voulu qu'il l'ait tirée ? Du jamaa d'Héliopolis ? Et ce n'est pas l'armée ni une carrière de soudard qui peuvent ouvrir les horizons intellectuels ! En vérité, Boukharrouba n'a eu qu'un (re)père politique : Nasser, le modèle qu'il n'aura de cesse de singer sa vie durant. Comme Nasser, il est arrivé au pouvoir par un coup de force à double détente, en utilisant un baudet puis en s'en débarrassant (Naguib pour Nasser, Benbella pour Boukharrouba). Comme Nasser, Boukharrouba voulait sa charte nationale, sa réforme agraire, son assemblée du peuple, son parti unique, sa politique arabe... Tout, littéralement tout provenait de la matrice nassérienne. Un immense leader arabe d'un côté et un épigone grincheux de l'autre. Pourquoi "grincheux" ? Parce qu'il s'agit d'un processus psychique classique où l'objet identificatoire (ici, Nasser) est aimé et haï en même temps. Haï, parce que l'imitateur sait qu'il ne fait que singer ce qui, toujours, le dépassera.

Quant à la structure psychique de Boukharrouba justement, laissons le spécialiste en dire un mot : Frantz Fanon déclarait à un cercle d'intimes, en 1960, à propos des luttes intestines au sein des instances de la « lutte » établies à Tunis : « Un homme leur réglera leur compte à tous. C'est HB, car chez lui la soif de pouvoir tient de la pathologie ».

Un « universitaire » qui a troqué sa liberté de penser contre le plat de lentilles d'une position de scribe accroupi, ne peut évidemment pas produire un discours crédible car aussi bien sur le plan de la méthode que sur celui des faits empiriques, il ne peut retenir que ce qui agrée à ceux qu'il a choisi de servir. Lui qui était censé servir la vérité et l'éthique...

L'idéologie nationaliste-plébéienne (le plébéio-nationalisme tenace qui a infecté jusqu'au PAGS) a occasionné des dégâts incommensurables à l'Algérie. Le plus étonnant de ses tours de force est d'avoir produit une classe de rapaces milliardaires qui continuent à seriner l'antienne nationaliste au peuple -aidés en cela par les scribes accroupis- pendant qu'eux pillent les richesses de leur pays et les transfèrent à l'Étranger.

C'est ce que Hegel nomme une ruse de l'histoire.

Article d'El Watan :
http://www.elwatan.com/contributions/l-heritage-laisse-par-houari-boumediene-29-12-2012-197584_120.php

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