Laurent Guyénot, l'excellent et rigoureux historien récentiste, nous propose une vision décapante ( au sens propre) des guerres mondiales. Magistral (comme toujours) et courageux (comme toujours) !
"Dans cette série d’articles, je propose de mettre en lumière un facteur occulté des quatre guerres mondiales (suivant la numérotation des néoconservateurs, qui comptent la Guerre froide comme une Troisième Guerre mondiale, et préparent la Quatrième) [1] : la volonté et l’influence des personnalités et institutions qui, depuis la fin du XIXe siècle, œuvrent avec détermination et coordination au grand projet sioniste, souvent à l’insu des belligérants eux-mêmes – mais aussi à l’insu de l’immense majorité des juifs dont ils façonnent le destin.
Partie 1 : La Première Guerre mondiale
Les causes et le but de la guerre
Il
n’existe aucun consensus sur les causes principales de la Grande
Guerre, qui fit, chez les soldats seulement, 8 millions de morts et
20 millions d’handicapés. La décision du Kaiser Guillaume II de
construire une flotte militaire capable de défier la suprématie
navale britannique est un facteur souvent invoqué. Comme l’a bien
montré Patrick Buchanan, cette décision était l’aboutissement
d’une détérioration de la relation entre l’Angleterre et
l’Allemagne dont l’Angleterre porte la principale responsabilité.
Le Kaiser Guillaume II, petit-fils de la Reine Victoria et donc neveu
du roi Edward VII, était très attaché à cette relation, et sa
politique extérieure était animée par une vision qu’il résuma
ainsi à l’occasion des funérailles de sa grand-mère à Londres
en 1901 :
« Nous devrions former une alliance anglo-germanique, vous pour garder les mers, tandis que nous serons responsables de la terre ; avec une telle alliance même une souris ne pourrait se glisser en Europe sans notre permission. »
Ce
n’est qu’après avoir essuyé de façon répétée les
humiliations de son oncle et du gouvernement britannique, que le
Kaiser décida de doter l’Allemagne d’une puissance navale [2].
Mais
plutôt qu’énumérer les causes de la Première Guerre mondiale,
posons-nous plutôt la question de son but, et faisons l’hypothèse
raisonnable que celui-ci a été atteint, en partie au moins.
Autrement dit, admettons que certains des résultats principaux de la
Grande Guerre figuraient parmi les objectifs, avoués ou non, de
certains de ses instigateurs. La dislocation de l’Empire ottoman
apparaît comme le plus profond bouleversement mondial apporté par
la guerre, devant le démembrement de l’Autriche-Hongrie, qui
n’était qu’un agrégat instable de royaumes. Or, nous allons
montrer que la chute de l’Empire ottoman était l’objectif
prioritaire du réseau sioniste constitué autour de Theodor Herzl,
lequel réseau eut une influence internationale certaine avant,
pendant et après la guerre, comme l’illustre la fameuse
Déclaration Balfour.
La chute programmée de l’empire Ottoman
La
chute de l’Empire ottoman n’avait pas toujours été un objectif
des rêveurs de Sion. Bien au contraire. Considérons Benjamin
Disraeli, premier ministre de la Reine Victoria de 1874 à 1880, et
admettons, en nous fiant à Hannah Arendt, que ce « fanatique
de la race »,
qui se disait « anglican
de race juive »,
était secrètement obsédé par la vision d’un « empire
juif, dans lequel les Juifs seraient la classe gouvernante »,
et qu’au « cœur
de sa philosophie politique »
se trouvait « une
machination fantastique dans laquelle l’argent juif fait et défait
palais et empires et tire les fils de la diplomatie [3] ».
L’action politique de Disraeli démontre que la stratégie
protosioniste, dont il était l’artisan, avait à cœur de protéger
l’Empire ottoman contre l’expansionnisme russe. Il était en
effet intervenu en faveur de l’Empire ottoman au Congrès de Berlin
(1878), pour amputer les conquêtes russes et restituer aux Ottomans
une grande partie de l’Arménie. Cette politique antirusse et
pro-ottomane était un choix contesté à Londres : William
Gladstone, adversaire de longue date de Disraeli et lui-même premier
ministre à plusieurs reprises, déclara que ce dernier « maintient
la politique étrangère britannique otage de ses sympathies
juives ».
Et le journal Truth du
22 novembre 1877, faisant allusion à sa familiarité avec les
Rothschild et son amitié avec Moïse Montefiore (marié à une
belle-sœur de Nathan Mayer Rothschild), y voyait « une
conspiration tacite[…] de
la part d’un nombre considérable d’Anglo-Hébreux [4] ».
- Disraeli en 1878
« Une Palestine juive serait une sauvegarde pour l’Angleterre, en particulier concernant le Canal de Suez [5]. »
En
1878, le Sultan s’opposa catégoriquement à cette perspective.
Vingt ans plus tard, c’est au tour de Theodor Herzl de lui faire
cette offre :
« Que le Sultan nous donne ce morceau de terre et, en échange, nous remettrons ses finances en ordre et nous influencerons l’opinion publique en sa faveur dans le monde entier [6]. » (Herzl, Journal, 9 juin 1896)
Journaliste
et fils de banquier, Herzl promettait en somme de mettre au service
de la Turquie ottomane la banque et la presse mondiales.
Du
côté de la banque, Herzl comptait, entre autres, sur l’appui des
Rothschild. Le baron Edmond de Rothschild, de la branche française,
était déjà très impliqué dans le projet ; à partir de
1881, année de la mort de Disraeli, cinquante mille hectares de
terre furent achetés et plus de quarante colonies fondées sous
l’auspice de son Palestine Jewish Colonization Association (PICA).
Les Rothschild britanniques furent plus réticents, et il est
intéressant de découvrir dans le journal de Theodor Herzl que ce
« père spirituel de l’État juif » (comme le
désigne la Déclaration d’Indépendance de l’État d’Israël
de 1948) leur offrit, en échange de leur aide, de fonder l’État
juif comme une « République aristocratique »
(« je suis contre la démocratie ») avec, à sa
tête, « le premier Prince Rothschild » :
« Si vous vous joignez à nous, nous vous enrichirons une dernière fois. Et nous vous grandirons au-delà des rêves du modeste fondateur de votre Maison, et même de ceux de ses petits-enfants les plus fiers. […] Nous vous exalterons, parce que nous prendrons notre premier dirigeant élu dans votre Maison. Telle est la lumière que nous placerons au sommet de la Tour Eiffel de votre fortune. Aux yeux de l’histoire, il semblera que cela aura été l’objet même de tout l’édifice [7]. »
Les
Rothschild ne donnèrent pas suite. Selon le mot célèbre de Richard
Wagner (La Juiverie dans la musique, 1850), ils préféraient
rester les juifs des rois que devenir les rois des juifs.
Quant
au Sultan, il rejeta catégoriquement l’offre de Herzl, en ces
termes rapportés par Herzl :
« Je ne peux pas vendre un pieds de terre, car elle n’appartient pas à moi, mais à mon peuple. […] Les Juifs peuvent garder leur argent. […] Quand mon Empire sera démembré, ils auront la Palestine pour rien. Mais ce sera notre cadavre qu’ils devront découper ; je ne consentirai jamais à la vivisection [8]. » (Herzl, Journal, 19 juin 1896)
Comme
il l’avait déjà fait au Congrès de Berlin, le Sultan s’oppose
même à l’achat de terre par les juifs et à leur immigration
massive en Palestine. Quatre ans plus tard, après d’autres
tentatives, Herzl en tire la conclusion :
« À
présent, je ne peux concevoir qu’un seul plan : Faire en
sorte que les difficultés de la Turquie s’accroissent ; mener
une campagne personnelle contre le Sultan, peut-être prendre contact
avec les princes exilés et les Jeunes Turcs ; et en même
temps, en intensifiant les activités des Juifs socialistes, exciter
parmi les gouvernements européens le désir d’exercer des
pressions sur la Turquie pour qu’elle accepte les Juifs [9]. »
(Herzl, Journal,
4 juin 1900)
La
fin de non-recevoir du Sultan fermait tout espoir d’obtenir de lui
la Palestine ; il fallait donc que le sultanat et l’Empire
ottoman périssent et que les cartes soient redistribuées. Herzl
comprend que « la
division de la Turquie implique une guerre mondiale [10] ».
Son
partenaire Max Nordau, orateur talentueux, fait devant le Congrès
sioniste de 1903 une fameuse prophétie de cette prochaine guerre
d’où sortira « une Palestine libre et juive ».
La
Déclaration Balfour-Rothschild
L’historien
juif Benzion Netanyahu (père de l’actuel Premier ministre) résume
ainsi l’attente fiévreuse de ce grand cataclysme par l’élite
sioniste, avec le regard fixé sur le destin du peuple élu et une
complète indifférence aux victimes collatérales :
« Le grand moment arriva, comme il [Nordau] l’avait prophétisé, lié à la tempête d’une guerre mondiale, et portant dans ses ailes une attaque exterminatrice de la juiverie mondiale, qui commença avec le massacre des Juifs d’Ukraine (durant la guerre civile russe) et continue à se propager jusqu’à aujourd’hui. L’activité politique de Herzl eut pour conséquence que les Juifs, unis dans une organisation politique, furent reconnus comme entité politique, et que leurs aspirations […] furent intégrées au système politique international. Grâce à la guerre, ces aspirations étaient devenues si importantes que les grandes puissances se tournèrent vers les sionistes [11]. »
On
sait de quelle manière « les grandes puissances [alliées]
se tournèrent vers les sionistes » en 1917. L’Angleterre
se trouvant en grande difficulté face à l’Allemagne, les
sionistes firent entrer les États-Unis dans la guerre en échange de
la promesse britannique de leur livrer la Palestine. Chaïm Weizmann,
juif d’origine biélorusse devenu citoyen britannique en 1910, fut
l’un des plus efficaces agents de cette diplomatie secrète auprès
du Premier ministre David Lloyd George et de son ministre des
Affaires étrangères Arthur Balfour. Le 2 novembre 1917, ce dernier
adresse une lettre à Lord Lionel Walter Rothschild, petit-fils du
Lionel de Rothschild cité plus haut et président de la Zionist
Federation, déclarant :
« Le gouvernement de sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national (National Home) pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays. » [Notons bien l’absence de droits « politiques » accordés aux Arabes de Palestine.]
- La Déclaration Balfour, adressée à Lord Lionel Walter Rothschild
Six
semaines après cette « Déclaration Balfour », le
général britannique Edmund Allenby entrait dans Jérusalem, grâce
au soutien des Arabes, à qui l’autonomie avait été promise en
1915 et qui ignoraient tout de la promesse de Balfour aux sionistes.
La Déclaration Balfour est datée postérieurement à l’entrée en
guerre des États-Unis (le 2 avril 1917), mais peu d’historiens
contestent que l’engagement de l’Angleterre à céder la
Palestine aux juifs était le prix de l’extraordinaire campagne de
lobbying orchestrée par le réseau sioniste américain en faveur de
l’entrée en guerre des États-Unis. Lloyd George expliquera
l’arrangement en ces termes :
« Les leaders sionistes nous ont donné la promesse ferme que, si les alliés s’engageaient à faciliter l’établissement d’un foyer national pour les Juifs en Palestine, ils feraient de leur mieux pour rallier le sentiment et le soutien juif à travers le monde en faveur de la cause des Alliés. Ils ont tenu parole [12]. »
L’efficacité
de la diplomatie secrète qui aboutit à la Déclaration Balfour
reposait sur une coordination étroite entre sionistes anglais et
américains, dont témoigne Nahum Sokolow, secrétaire général du
Congrès sioniste mondial, dans son Histoire du sionisme :
« Entre Londres, New York et Washington il y avait une communication constante, soit par télégraphe, soit par visite personnelle, et en conséquence il y avait une unité parfaite entre les sionistes des deux hémisphères. »
Sokolow
loue tout particulièrement « la
bénéfique influence personnelle de l’Honorable Louis D. Brandeis,
Juge de la Cour suprême [13] ».
Brandeis (1856-1941) avait été nommé au plus haut poste de la
magistrature américaine en 1916 par le Président Wilson à la
demande de l’avocat d’affaire Samuel Untermeyer qui, selon la
rumeur, usa comme moyen de chantage des lettres écrites par Wilson à
sa maîtresse [14].
Brandeis et Untermeyer furent deux des plus puissants intrigants
sionistes, exerçant une influence sans pareille sur la Maison
Blanche. Citons également, parmi les hommes clés de la mobilisation
américaine pour la guerre, Bernard Baruch, nommé en 1916 à la tête
de l’Advisory Commission of the Council of National Defense, puis
président du War Industries Board. C’est sans exagération que ce
banquier qui conseilla trois présidents (Wilson, Roosevelt et
Truman) déclara un jour devant un comité du Congrès américain :
« J’avais probablement plus de pouvoir que n’importe qui d’autre durant la guerre [15]. »
Le
coup de main Dönmeh
Peu
avant le déclenchement de la guerre mondiale, en 1908, le Sultan
Abdülhamid II aura été acculé à la capitulation par la
révolution laïque des Jeunes Turcs, le mouvement qu’Herzl
envisageait de mobiliser dès 1900. Les Jeunes Turcs sont un
mouvement originaire de Salonique et largement dirigé par
d’ « ardents
Dönmeh »
qui, bien qu’officiellement musulmans, « avaient
pour vrai prophète Sabbataï Tsevi, le messie de Smyrne »,
selon le rabbin Joachim Prinz [16].
On sait qu’après avoir attiré dans leur révolution les Arméniens
par la promesse d’une autonomie politique, et une fois au pouvoir,
les Jeunes Turcs réprimèrent l’aspiration nationaliste de ces
mêmes Arméniens par l’extermination d’un million deux cent
mille d’entre eux en 1915-1916. Une ancienne et vivace tradition
rabbinique assimilait les Arméniens aux Amalécites, premiers
ennemis des Hébreux sur le chemin de Canaan, dont Yahvé déclare
vouloir « effacer
le souvenir de dessous les cieux »
(Ex 17.14 et De 25.19), et exterminer, « hommes
et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et brebis, chameaux et
ânes »
(1 S 15.3) [17].
- Scènes du génocide arménien de 1915-1916
À
partir du moment où fut décidée la chute de l’Empire ottoman,
celui-ci a donc été soumis à deux types d’agression : d’une
part, une agression interne, sous la forme d’une révolution
préparée par un réseau crypto-juif redoutablement efficace,
d’autre part, une agression externe sous la forme d’une guerre
mondiale orchestrée par un autre réseau juif opérant de façon
également largement occulte, mais depuis l’Angleterre et les
États-Unis. Le réseau dönmeh de Salonique et le réseau sioniste
transatlantique étaient-ils coordonnés ? Probablement pas au
niveau opérationnel (dans les années 20, les Jeunes Turcs se
montreront hostiles au projet sioniste). On conçoit néanmoins
aisément que des efforts ont été exercés pour diriger ces deux
mouvements en vue d’un même but. Ce niveau supérieur de
coordination serait à chercher dans des cercles très fermés comme
la société secrète des Parushim, à laquelle appartenaient le juge
Brandeis (issu d’une famille disciple de Sabbataï Tsevi, de
tradition kabbaliste) ainsi que son protégé et successeur à la
magistrature suprême, Felix Frankfurter. Sarah Schmidt, professeur
d’histoire juive à l’Université hébraïque de Jérusalem,
décrit cette société comme « une armée de guérilla
souterraine et secrète déterminée à influencer le cours des
événements d’une manière discrète et anonyme ». À la
cérémonie d’initiation, chaque nouveau membre recevait pour
instruction :
« Jusqu’à ce que notre but soit atteint, tu seras membre d’une fraternité dont les liens seront pour toi plus importants que tout autre dans ta vie – plus chers que les liens avec ta famille, ton école ou ta nation. En entrant dans cette fraternité, tu deviens, par ton propre choix, un soldat dans l’armée de Sion. »
L’initié
répondait en jurant :
« Devant ce conseil, au nom de tout ce que je tiens pour cher et sacré, je voue ma personne, ma vie, ma fortune et mon honneur à la restauration de la nation juive. […] Je jure solennellement de suivre, d’obéir et de garder secrètes les lois et les travaux de la fraternité, son existence et ses buts. Amen [18]. »
La chute de la Russie tsariste
Le
démantèlement de l’Empire ottoman, d’une part, et le mandat du
gouvernement Britannique sur la Palestine associé à sa promesse d’y
établir un « foyer juif », d’autre part, étaient le
double résultat prémédité de la guerre et, du point de vue de
l’élite sioniste, le but même de la guerre. Un autre
bouleversement important fut la Révolution bolchevique. Elle ne fut
pas l’un des buts prémédités de la guerre, même si elle a
profité du financement de riches banquiers juifs comme Jacob
Schiff [19],
qui déclara :
« La révolution russe est peut-être l’événement le plus important de l’histoire juive depuis que le peuple [the race] est sorti d’Égypte [20]. »
Du
moins les révolutionnaires russes ne semblent-ils pas avoir œuvré
pour le déclenchement de la guerre, contrairement aux sionistes. La
destruction de la Russie tsariste apparaît plutôt comme le fruit
d’une opportunité saisie à la fin de la guerre. La Russie se
trouvait alors alliée du Royaume-Uni par un jeu complexe d’alliances
(la Triple-Entente). Mais la guerre aggravait le mécontentement
populaire, et en février 1917, le tsar fut contraint d’abdiquer
devant le gouvernement provisoire de Kerenski. Celui-ci céda
néanmoins aux intimidations britanniques et décida de maintenir la
Russie dans la guerre, une décision extrêmement impopulaire qui le
fragilisa. C’est alors que, le 16 avril 1917, l’État allemand
renvoya chez eux, dans le fameux wagon plombé, trente-deux
bolcheviques exilés dont Lénine, bientôt rejoints par deux cents
autres, puis finança leur organe de propagande, la Pravda,
en échange de leur promesse de se retirer de la guerre s’ils
s’emparaient du pouvoir. Cinq mois après la révolution d’Octobre,
Trotski (Lev Davidovitch Bronstein de son vrai nom) signe avec
l’Empire allemand le Traité de Brest-Litovsk, qui met
définitivement fin au front de l’Est. Ainsi donc, pendant que les
Anglais faisaient entrer l’Amérique dans la guerre en soutenant un
mouvement juif (le sionisme), les Allemands s’arrangeaient pour
faire sortir la Russie de la guerre en soutenant un autre mouvement
juif (le bolchevisme).
- Trotski en 1921
Car
la révolution bolchevique fut majoritairement menée par des juifs,
comme l’ont noté de nombreux observateurs de tous bords :
aussi bien, par exemple, Winston Churchill dans un fameux article de
1920 titré « Le sionisme contre le bolchevisme : une
lutte pour l’âme du peuple juif » (prenant parti pour le
premier) [21],
que la revue hebdomadaire The
American Hebrew,
qui admettait avec fierté, la même année :
« La Révolution bolchevique a éliminé la dictature la plus brutale de l’histoire. Ce grand accomplissement, destiné à figurer dans l’histoire comme l’un des résultats majeurs de la Guerre mondiale, fut largement le produit de la pensée juive, du mécontentement juif, et de la planification juive [22]. »
Sionisme
et bolchevisme sont idéologiquement antagonistes, mais ont poussé
dans le même terreau ethnique. Chaïm Weizmann raconte dans son
autobiographie (Trial and Error, 1949) que les juifs de Russie
du début du XXe siècle étaient divisés, parfois au sein d’une
même famille, entre révolutionnaires-communistes
(internationalistes) et révolutionnaires-sionistes (nationalistes).
Ces divisions, cependant, étaient relatives et changeantes ;
non seulement les pionniers du sionisme étaient souvent marxistes,
mais de nombreux juifs communistes devinrent d’ardents sionistes
tout au long du XXe siècle. L’enthousiasme des juifs de Russie
pour ces deux mouvements est lié à leur émancipation en 1855 par
le tsar Alexandre II, qui leur avait donné notamment libre accès à
l’université. Les jeunes intellectuels juifs rejettent le
talmudisme de leurs parents, mais ils ont assimilé leur haine de la
Russie chrétienne et paysanne, et le tsar, qui les a émancipés,
reste à leurs yeux un avatar de Pharaon. L’hostilité des Russes
suscitée par leur fulgurante ascension sociale, et les violents
pogroms qui suivent l’assassinat d’Alexandre II en mars 1881,
alimentent leur aliénation, qui s’exprime soit dans
l’internationalisme révolutionnaire (rejet des nations), soit dans
le nationalisme juif (rêve d’une nation juive), soit dans les deux
à la fois.
Les
masses de juifs ashkénazes qui fuient alors la Russie vers
l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, puis les États-Unis,
emportent avec eux leurs aspirations révolutionnaires et sionistes,
qui deviennent de véritables raz-de-marée. Entre 1881 et 1920, près
de trois millions de juifs d’Europe de l’Est pénétrèrent
légalement sur le territoire américain, principalement dans les
grandes villes de l’Est. Ils forment, dès le début de la Première
Guerre mondiale, la majorité des juifs américains. Bien que
généralement pauvres à leur arrivée, leur influence va croître
rapidement, grâce notamment à leur fort investissement dans la
presse puis dans le cinéma [23].
Ils joueront un rôle majeur dans la propagande visant à retourner
l’opinion publique américaine en faveur de l’entrée en guerre
en 1917, ainsi que dans le mouvement de sympathie que suscita
initialement la Révolution bolchevique.
Préparer la suivante
La
Révolution soviétique, cependant, coupait l’herbe sous les pieds
de la propagande sioniste, qui s’était jusqu’alors fondée sur
les rapports des pogroms de Russie, très amplifiés par la presse
occidentale. Le 25 mars 1906, le New York Timesavait par
exemple évoqué en ces termes le sort des « 6 millions de
Juifs de Russie » :
« La politique envisagée par le gouvernement russe pour la “solution” de la question juive est l’extermination systématique et meurtrière. »
Le
20 juillet 1921, la guerre civile russe permettait encore au même
journal d’écrire, sous le titre « Le massacre menace tous
les Juifs tandis que le pouvoir soviétique faiblit » :
« Les six millions de Juifs de Russie font face à l’extermination [24]. »
Cependant,
un tel argument en faveur du sionisme perdait rapidement en
crédibilité et devint totalement inutilisable après 1921. L’une
des premières mesures des bolcheviques fut en effet une loi
criminalisant l’antisémitisme, et ils le punissaient plus durement
qu’il ne l’avait jamais été dans un quelconque État, par une
exécution sans jugement. Les Russes avaient d’autant plus
conscience d’avoir été conquis par un peuple étranger que, comme
le signale Yuri Slezkine, « la
police secrète soviétique, saint des saints du régime, était une
des institutions soviétiques les plus fortement juives [25]. »
Il était en tout cas impossible d’associer l’Union soviétique à
l’antisémitisme. Chaïm Weizmann, qui jusqu’en 1917 s’était
servi des pogroms de Russie comme levier diplomatique, est alors
obligé de se contredire :
« Rien ne peut être plus faux que de dire que les souffrances de la juiverie russe [Russian Jewry] furent jamais la cause du sionisme. La cause fondamentale du sionisme a été, et est, l’aspiration indéracinable de la communauté juive pour un foyer à lui – un centre national, un foyer national avec une vie nationale juive [26]. »
Il
faudra attendre les années 30 pour que l’Allemagne nazie prenne la
relève de la Russie tsariste comme argument en faveur du sionisme,
bien souvent dans des termes identiques.
Et
il faudra une seconde Guerre mondiale pour que l’édifice sioniste,
dont le « foyer juif » promis par Balfour était la
première pierre, puisse atteindre sa seconde phase. Dans l’esprit
des peuples qui versèrent leur sang, la Grande Guerre était censée
être la « der des ders ». C’est aussi avec cette
utopie que Woodrow Wilson s’était laissé entraîner dans la
guerre par ses conseillers. La Conférence de la Paix qui se tient à
Paris entre janvier et août 1920 sera pour lui une première
désillusion, suivie par le désaveu de sa Société des nations par
le Sénat américain. Emile Joseph Dillon, auteur de The
Inside Story of the Peace Conference (1920), écrit :
« De toutes les collectivités venues promouvoir leurs intérêts à la Conférence, les Juifs avaient peut-être les partisans les plus ingénieux, et en tout cas les plus influents. Il y avait des Juifs de Palestine, de Pologne, de Russie, d’Ukraine, de Roumanie, de Grèce, de Grande-Bretagne, de Hollande, et de Belgique ; mais la délégation la plus grande et la plus brillante était envoyée par les États-Unis [27]. »
Parmi
les nombreux conseillers juifs représentant les États-Unis se
trouve Bernard Baruch, membre du Conseil suprême économique. L’un
des objectifs de Baruch et du réseau sioniste anglo-américain est
de veiller à ce que le traité de Versailles place la Palestine sous
mandat provisoire des Britanniques, et que ce mandat inclue les
termes de la Déclaration Balfour.
Mais
il est aussi admis que les termes du Traité créent les conditions
idéales pour un nouveau conflit mondial. Car le plus sûr moyen de
préparer une nouvelle guerre est une paix injuste. En 1914,
l’Allemagne possède la culture la plus florissante d’Europe et
l’industrie la plus compétitive du monde, sur les plans qualitatif
et quantitatif. Le traité de Versailles lui impose, en plus d’une
contraction abusive de ses frontières et l’interdiction de se
doter d’une armée digne de ce nom, une dette astronomique de 132
milliards de marks-or, dont les conséquences catastrophiques sont
parfaitement prévisibles. Le célèbre économiste John Maynard
Keynes proteste contre ce projet de « réduire à la
servitude toute une génération de l’Allemagne », et
ajoute :
« La revanche, nous pouvons le prédire, ne se fera pas attendre. Rien alors ne pourra retarder, entre les forces de réaction et les convulsions désespérées de la Révolution, la lutte finale devant laquelle s’effaceront les horreurs de la dernière guerre et qui détruira, quel que soit le vainqueur, la civilisation. » (Les Conséquences économiques de la paix, 1919 [28])
Notes
[1]
Par exemple Norman Podhoretz dans plusieurs articles et dans son
livre World War IV : The Long Struggle Against Islamofascism,
Doubleday, 2007.
[2]
Patrick Buchanan, Churchill, Hitler, and "The Unnecessary
War" : How Britain Lost Its Empire and the West Lost the
World, Crown Forum, 2009, k. 325-333.
[3]
Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme, Gallimard, 2002,
p. 309-310.
[4]
Stanley Weintraub, Disraeli : A Biography, Hamish Hamilton,
1993, p. 579.
[5]
Chaim Weizmann, Trial and Error, Harper & Brothers, 1949,
p. 192.
[6]
The Complete Diaries of Theodor Herzl, edited by Raphael Patai, Herzl
Press and Thomas Yoseloff, 1960, vol. 1, p. 362-363.
[7]
The Complete Diaries of Theodor Herzl, vol. 1, op. cit.,
p. 163-170.
[8]
The Complete Diaries of Theodor Herzl, vol. 1, op. cit.,
p. 378-379.
[9]
The Complete Diaries of Theodor Herzl, edited by Raphael Patai, Herzl
Press and Thomas Yoseloff, 1960, vol. 3, p. 960.
[10]
Theodor Herzl, Zionism, State edition, 1937, p. 65, cité dans
Benzion Netanyahu, The Founding Fathers of Zionism (1938), Balfour
Books, 2012, k. 1456-9.
[11]
Benzion Netanyahu, The Founding Fathers of Zionism, op. cit., k.
1614-20.
[12]
Alfred Lilienthal, What Price Israel ? (1953), 50th Anniversary
Edition, Infinity Publishing, 2003, p. 21 et 18.
[13]
Nahum Sokolow, History of Zionism (1600-1918), vol. 2,
1919, p. 79-80, cité dans Alison Weir, Against Our Better
Judgment : The Hidden History of How the U.S. Was Used to Create
Israel, 2014, k. 387-475.
[14]
Gene Smith, When the Cheering Stopped : The Last Years of
Woodrow Wilson, William Morrow & Co, 1964, p. 20-23, cité
dans Curtis Dall, Franklin D. Roosevelt, ou Comment mon beau-père a
été manipulé (éd. anglaise 1968), Sigest, 2015, p. 188-189.
[15]
Robert Edward Edmondson, The Jewish System Indicted by the
Documentary Record, 1937, sur archive.org, p. 9.
[16]
Joachim Prinz, The Secret Jews, Random House, 1973, p. 122 ;
Wayne Madsen, « The Dönmeh : The Middle East’s Most
Whispered Secret (Part I) », Strategic Culture Fondation, 25
octobre 2011, sur www.strategic-culture.org
[17]
Elliott Horowitz, Reckless Rites : Purim and the Legacy of
Jewish Violence, Princeton University Press, 2006, p. 122-125.
[18]
Sarah Schmidt, « The Parushim : A Secret Episode in
American Zionist History », American Jewish Historical
Quarterly n°65, décembre 1975, p. 121-139, à lire sur
ifamericansknew.org/history/parushim.html.
[19]
Un document du Département d’État américain nomme également
« Felix Warburg, Otto Kahn, Mendel Schiff, Jerome Hanauer, Max
Breitung et un des Guggenheim », cité dans Antony Sutton, Wall
Street et la Révolution bolchevique (éd anglaise 1976), Scribedit,
2012, p. 311.
[20]
Bertie Charles Forbes, Men Who Are Making America, 1917, (sur
archive.org) p. 334.
[21]
« Zionism versus Bolshevism : A struggle for the soul of
the Jewish people », Illustrated Sunday Herald, 8 février
1920, sur en.wikisource.org/wiki/Zionism_versus_Bolshevism.[22]
American Hebrew, le 10 septembre 1920, cité dans Michael Jones,
The Jewish Revolutionary Spirit and Its Impact on World History,
Fidelity Press, 2008, p. 747. Lire aussi Angelo Solomon
Rappoport, The Pioneers of the Russian Revolution, 1919, sur
archive.org
[23]
Yuri Slezkine, Le Siècle juif, La Découverte, 2009, p. 191.
[24]
Benton Bradberry, The Myth of German Villainy, Authorhouse, 2012,
p. 198.
[25]
Yuri Slezkine, Le Siècle juif, op. cit., p. 398-399.
[26]
Chaim Weizmann, Trial and Error, Harper and Brothers, 1949, p. 201.
[27]
Emile Joseph Dillon, The Inside Story of the Peace Conference (1920),
Harper & Brothers, Kindle 2011, k. 180-90.
[28]
En pdf sur classiques.uqac.ca.
http://www.egaliteetreconciliation.fr/Combien-de-guerres-mondiales-pour-Sion-38367.html
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