Eugène Delacroix. Les fanatiques de Tanger |
L'EXPÉDITION TRAGIQUE DE
L'ÉMIR ABDELKADER AU MAROC
1845 : cela faisait 13 ans que l'émir Abdelkader combattait contre l'envahisseur français. Le dernier carré des tribus fidèles entre les fidèles se composait des Hachem (la tribu de l'émir, Mascara), des Béni-Amer (la mienne, Sidi-Belabbès, 'Aïn-Témouchent, cf Chroniques saladéennes 1) et des Ghorabas (Oran, Arzew).
LA GRANDE TRAHISON
Mais le roi du Maroc, cédant
aux menaces et aux promesses des Français, attaqua les arrières de
l'émir, pendant que Lamoricière et le duc d'Aumale lui coupaient
les voies de retraite vers l'Algérie. L'émir perdit le contact avec
les fractions Béni-Amer. Certaines de celles-ci, encerclées par les
troupes du roi, préférèrent passer au fil de l'épée leurs femmes
et leurs enfants plutôt que de les laisser tomber entre des mains
fourbes, puis se battirent jusqu'au dernier. L'émir, qui avait
retrouvé leurs traces, arriva à bride abattue sur les lieux mais
c'était pour constater la tragédie qui venait de se dérouler. Il
réussit encore à briser l'encerclement et à rentrer dans son pays.
Mais c'était pour déposer les armes, profondément marqué par les
atrocités d'une guerre inégale et par les trahisons et
retournements de ses alliés.
Sur le territoire marocain,
des fractions des Béni-Amer, qui étaient parvenues à échapper aux
troupes royales, devaient passer sous les fourches caudines des
Français pour espérer rentrer au pays. Les généraux -Bugeaud,
Cavaignac, Lamoricière- s'y opposèrent catégoriquement ; Pélissier
n'était pas en reste qui exultait : "Leur émigration nous
a laissé un vaste et riche territoire. C'est la forteresse de la
colonisation qui se prépare... ." Le gouverneur général (GG)
de l'Algérie n'allait pas laisser passer cette occasion inespérée
de rafler les riches terres des Béni-Amer. Le 18 avril 1846, il
prenait un arrêté frappant de séquestre les terres des "émigrés".
Il s'agissait, dès lors, de les empêcher de rentrer : le GG et
le ministère de la Guerre donnèrent des instructions en ce sens.
Mais le consul de France à Tanger, De Chasteau, leur désobéit. Il
affréta des bateaux pour ramener ce qui restait des Béni-Amer à
Oran. Puis son gendre, Léon Roches, qui le remplaça un moment,
poursuivit l'opération de rapatriement. Roches raconte que les
familles des Béni-Amer mouraient littéralement de faim, qu'il reçut
une délégation qui lui dit : "Il vaut mieux nous
tuer ici que nous renvoyer au milieu des Marocains qui déshonoreront
nos femmes sous nos yeux, nous assassineront et vendront nos enfants
car c'est ainsi qu'ils ont agi à l'égard de nos frères."
Devant les cris d'orfraie du GG et des généraux (le plus haineux à
l'égard des Béni-Amer étant sans conteste Pélissier, qui
commandait l'Oranie), Roches eut recours à des passeurs clandestins
qui guidèrent les émigrés chez les Béni-Snassen et les
Béni-Bouyahi, tribus rifaines en révolte contre le roi, qui leur
firent passer la Moulouya.
LA SPOLIATION
"En tenant compte de ce
qu'ils étaient, les Béni-Amer n'existent plus." Ainsi pouvait
s'exprimer Cavaignac après ce désastre. Combien les Béni-Amer
perdirent-ils des leurs au cours de cette expédition ? Quatre à
cinq mille selon les estimations les plus raisonnables. Quant aux
terres confisquées, et d'après les premières estimations faites en
1851 par les Bureaux arabes, ce sont cent mille ha de bonnes terres
qui tombèrent dans un premier temps dans l'escarcelle de la
colonisation. Encore que la spoliation ne fît que commencer.
L'Oranie devint ainsi la "forteresse de la colonisation",
ainsi que le souhaitait Pélissier. Le sénatus-consulte de 1863
officialisera les prélèvements fonciers déjà
opérés au profit de la colonisation.N.B. Vous pouvez retrouver l'ensemble des "épisodes" de "Mémoire en fragments" dans la rubrique "PAGES" du blogue.
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